L’absentéisme chez les jeunes, en forte hausse
L’absentéisme de moyenne durée augmente fortement chez les jeunes. Evidemment, le Covid-19 a eu un impact certain sur le besoin essentiel de socialisation et d’accompagnement des moins de 35 ans, mais il n’a fait qu’accélérer une tendance déjà à l’oeuvre. Une tendance qui symbolise les besoins différents des générations X et Y, ainsi que leurs excès.
On ne cesse de le répéter: l’absentéisme est un fléau dans les entreprises belges. Le phénomène est en augmentation constante. Jusqu’ici, nous nous focalisions surtout sur les chiffres hallucinants des absences de longue durée, soit celles de plus d’un an – nous approchons des 500.000 malades de longue durée et des neuf milliards d’euros de coût pour l’ensemble des indemnités liées aux incapacités de travail. Dans cet absentéisme, la tendance est en train de changer. Récemment encore, les jeunes de moins de 35 ans étaient surtout absents de façon courte mais régulière, un jour par-ci, par-là. Les absences de moyenne et de longue durée étaient surtout l’apanage des travailleurs plus âgés, davantage enclins à souffrir de pathologies plus lourdes. Depuis quelques années, l’absentéisme de moyenne durée (entre le premier jour du deuxième mois et le dernier jour du 12e mois) augmente fortement chez les jeunes.
Quand on débute sa carrière, on peut avoir du mal à dire non ou à ne pas être disponible, mais la déconnexion digitale est essentielle.”
François Lombard (SD Worx)
Du sens et des valeurs
Les chiffres récents communiqués par SD Worx, le prestataire de services RH, sont implacables. De janvier 2019 à juillet 2021, l’absence de moyenne durée a doublé chez les moins de 25 ans. L’évolution est à peine meilleure pour les 25-29 ans (+33%) et les 30-34 ans (+24%).
“La tendance est à l’oeuvre depuis quelque temps, explique François Lombard, senior consultant chez SD Worx, mais elle s’est accélérée avec la pandémie et continue depuis cet été. Pour deux raisons principales. D’une part, l’absence de socialisation en entreprise, en raison du télétravail obligatoire. Beaucoup de jeunes ont fait leurs débuts professionnels sans avoir vu leurs collègues ou très peu, sans avoir reçu le parrainage et l’encadrement nécessaires ou sans avoir eu l’occasion de se faire à la culture d’entreprise. D’autres ont vu leur formation stoppée net. Il faut bien comprendre que les générations X et Y sont plus sensibles que les anciens, et moins fidèles aussi. Singulièrement au niveau de la relation avec l’employeur. Elles ont besoin de sens dans leur travail et veulent que les valeurs de leur employeur soient conformes aux leurs. Ça ne va pas? On quitte la société ou on se met en maladie. D’autre part, comme facteur aggravant, les mesures sanitaires liées à la pandémie les ont aussi privées de contacts sociaux hors du boulot: pas d’horeca, contacts réduits avec la famille et les amis, etc.”
Un troisième facteur structurel contribue à expliquer la poussée de l’absentéisme de moyenne durée chez les jeunes: l’explosion du burn-out chez les 25-35 ans. Elle a plusieurs explications dont, par exemple, l’absence de sens ou de reconnaissance. Mais elle part aussi des excès de ces générations. “Les jeunes sont beaucoup trop connectés, poursuit François Lombard. Parfois même jusque dans la chambre à coucher, avant de s’endormir. Quand on débute sa carrière, on peut avoir du mal à dire non ou à ne pas être disponible, mais la déconnexion digitale est essentielle. Et pour ces jeunes, biberonnés au digital, ce n’est pas toujours simple. Il faut faire rentrer cette déconnexion de façon structurelle en Belgique, comme cela existe déjà en Allemagne, notamment dans le secteur automobile. Le burn-out, c’est la cause principale de l’absentéisme de moyenne durée chez les jeunes, et sa nature interpelle.”
Inadéquation avec l’entreprise
La poussée de l’absentéisme chez les jeunes ne surprend pas Hélène Feuillat, coach et formatrice en entreprises depuis des années, qui vient de lancer une formation digitale axée sur la confiance en soi dans le monde du travail appelée With Greater Impact. Elle confirme les propos de François Lombard, mais voit aussi d’autres raisons, certaines étant même antérieures à l’entrée dans la société.
“Il est certain que les jeunes d’aujourd’hui ont un sentiment de liberté plus grand et se distancient plus vite de leur employeur quand cela ne va pas. Mais cette inadéquation a parfois une source plus ancienne. Certains ont fait des études qui ne leur correspondent pas et se retrouvent en porte-à-faux sur le marché de l’emploi. Ensuite, le recrutement: il est sous pression, vu le marché du travail et la pénurie dans certains secteurs. Il conduit parfois à des engagements qui sont de véritables mismatches. Parfois, cette inadéquation est le fait du jeune lui-même, qui n’ose pas demander ou ignore les questions à poser. Le réveil est parfois douloureux. Enfin, il y a la question de la culture d’entreprise. Certes, il faut veiller, lors du recrutement, à ce que le candidat puisse s’y adapter. Mais certaines entreprises ont une culture tellement spéciale qu’elles ne font plus qu’engager les mêmes profils. Elles ratent la richesse de la diversité culturelle. Et quand elles élargissent, elles ne font rien pour s’adapter et pour les nouveaux arrivés, le choc culturel peut être violent. Enfin, sur la question du burn-out, j’ajouterais aussi le bore-out. Des jeunes qui s’ennuient profondément là où ils sont et qui prennent le temps, en se mettant en maladie, de préparer leur prochain projet.”
> Lire aussi: Le télétravail réduit l’absentéisme de courte durée
Le rôle du manager
Comment lutter contre l’absentéisme de moyenne durée chez les jeunes? C’est un fameux défi, aux multiples facettes. D’autant qu’il doit être pris très tôt. Les résultats des études sont assez parlants. Plus de 90% des absents de longue durée ne réintègrent pas leur poste. En cas d’absence de contact signifiant (pas simplement de l’administratif) avec l’employeur ou le manager pendant les huit premières semaines, il est probable que l’employé ne reviendra pas. Simplifier la procédure, assez lourde en Belgique, est nécessaire mais il faut aussi, dans le cas qui nous occupe, agir en amont. Que les entreprises apprennent à gérer ces nouvelles générations aux besoins si différents. Cela commence par le département des ressources humaines. Mais c’est le manager de proximité qui a le rôle central. Car, c’est bien connu, on quitte, dans la vaste majorité des cas, son manager plutôt que la société elle-même…
“Tout est une question de leadership, conclut François Lombard. Dans les formations que je dispense en entreprise, je suis toujours étonné par le nombre de managers qui ne connaissent pas la différence entre un manager et un leader, ou qui se demandent pourquoi donner de la reconnaissance à ceux qui font du bon travail et atteignent leurs objectifs. Les managers ont un rôle important à jouer pour détecter les changements de comportement qui conduisent à l’absentéisme. Parallèlement, le style de leadership a un impact certain sur le niveau d’absentéisme dans une équipe. Il faut trouver l’équilibre entre intelligences rationnelle et émotionnelle, entre les objectifs et l’humain. Il faut apprendre à connaître son équipe et développer du capital confiance.”
“Les jeunes ont aussi besoin d’outils pour appréhender la culture du feed-back quand ils débutent, renchérit Hélène Feuillat. Cela s’apprend. Comme l’art de communiquer vers le haut et de dire à son manager ce qu’on peut avoir sur le coeur. Il m’apparaît, à cet égard, que dans les entreprises qui mettent en place des trajets de formation, et c’est hautement souhaitable, celles liées aux soft skills ne doivent pas arriver trop tard.”
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