Petite révolution tarifaire pour la SNCB : depuis le 15 octobre, elle adapte ses prix selon les heures et les jours. Objectif : attirer des voyageurs aux heures creuses, stimuler la fréquentation… et doper les recettes.
Cela faisait plus de 10 ans que la SNCB souhaitait lancer une tarification variable pour remplir les trains hors des pointes de trafic. La flexibilité des prix avait été demandée par le CEO du transporteur, Jo Cornu, dès 2014. Il se désespérait de voir les trains si peu fréquentés aux heures creuses, sans pouvoir y attirer des clients avec des tarifs réduits.
“Va-t-on être obligé de vivre dans une situation où non seulement les tarifs sont bas et en prime pas flexibles du tout ?, nous disait-il dans une interview à l’été 2014. Nous vivons dans un monde de yield management (optimisation des prix, ndlr). Je suis allé un week-end à Toulouse, en juillet, j’ai réservé longtemps à l’avance pour moi et mon épouse deux tickets au départ de Lille, pour 280 euros. Par hasard, j’ai vérifié la veille le tarif pour le lendemain : 1.400 euros ! Le tarif varie selon l’heure, la destination, le délai avant la réservation.” Il notait : “Cette approche est généralisée, y compris pour les hôtels.”
Après des années de tractation
Le projet a fini par aboutir après des années de tractation avec l’État fédéral, son actionnaire. Sous la forme d’une carte Train+ donnant droit à 40% de réduction hors des heures de pointe – avant 6h01, entre 9h et 16h ou à partir de 18h – et encore 40% de réduction supplémentaire le week-end. Rien ne change pour les abonnements. Ce type de carte payante (6 euros par mois ou 48 euros par an) s’inspire des dispositifs existant depuis longtemps chez nos voisins français ou néerlandais.
La tarification flexible vise à contribuer à l’un des objectifs du contrat de service public de la SNCB 2023-2032, signé avec l’État fédéral : augmenter la fréquentation de 30% d’ici 2032, et encourager le transfert modal.
Une flexibilité à la belge
La tarification flexible de la SNCB est très différente de celle qui prévaut dans l’aérien, chez Ryanair ou Brussels Airlines, ou encore sur les trains Eurostar, où les prix varient selon l’offre et la demande. La SNCB applique le yield management tempéré par le rôle de service public du train sur les lignes intérieures. Une approche pure et dure ferait grimper le prix des tickets aux heures de pointe. Ici, elle ne fonctionne qu’à la baisse.
Ainsi, pour les porteurs de la carte Train+, le tarif heures creuses restent identique quelle que soit la demande et la fréquentation du train. Le trajet Bruxelles-Liège, qui revient à 18,4 euros au tarif plein (2e classe), coûte, avec la carte Train+, 11,1 euros pour les départs aux heures creuses et 7,7 euros le week-end. La carte Train+ plafonne le prix du ticket à 14 euros.
La nouvelle politique tarifaire est entièrement orientée vers la fidélisation. Les passagers occasionnels, sans carte Train+, ne sont guère courtisés. Il n’y a pas de formule d’achat de tickets discount à l’avance, comme cela se fait aux Pays-Bas où ces tickets se vendent jusqu’à 60% moins cher hors des pointes (PriceTime Deal), au moins un jour à l’avance. Le prix est fixé selon la prévision de fréquentation du train. Les voyageurs ponctuels de la SNCB bénéficient tout même d’une réduction de 30% le week-end et d’une rectification de la tarification pour les longs trajets, plafonnée à 20,9 euros (ou 120 km), contre 26 euros (150 km) auparavant.
Un parc de trains surdimensionné
“Le parc et le réseau sont dimensionnés pour les heures de pointe, explique Bart Jourquin, professeur à l’UCLouvain et qui a été administrateur de la SNCB. Ils sont surdimensionnés pour les heures creuses et le week-end. Il y a des trains P qui ne circulent qu’aux pointes et sont garés durant la journée en attendant la pointe suivante.”
“Ces trains de pointe coûtent cher et sont beaucoup utilisés par des navetteurs bénéficiant d’abonnements souvent financés par les employeurs, formules plutôt bon marché”, ajoute Henri-Jean Gathon, professeur d’économie à l’ULg.

Comme le ferroviaire est une activité à coût fixe, cela signifie que la SNCB doit couvrir d’énormes dépenses pour les pointes avec des revenus limités. “Nous prévoyons en effet que les recettes augmenteront grâce à une hausse de l’utilisation du train, indique Tom Guillaume, porte-parole de la SNCB. Sans cette augmentation du nombre de voyageurs, la nouvelle offre tarifaire aura un impact négatif sur les recettes.”
“Sans augmentation du nombre de voyageurs, la nouvelle offre tarifaire aura un impact négatif sur les recettes.” – Tom Guillaume, porte-parole de la SNCB
C’est un défi : l’an dernier, le nombre de voyageurs a stagné à 245 millions de passagers, sous l’effet du télétravail, et n’est pas revenu au niveau d’avant le covid. Les revenus du trafic intérieur ont augmenté grâce à l’indexation des tarifs, pour arriver à 964,2 millions d’euros, sur un total de 2,79 milliards d’euros. La majorité des recettes est constituée par des compensations versées par l’État fédéral.
Jeunes et seniors y perdent parfois
La nouvelle tarification n’est pas avantageuse pour tout le monde. La SNCB a dû ajuster les tarifs en fonction de son équation économique. Elle reconnaît que 80% des utilisateurs y gagneront, selon des enquêtes de marché qu’elle a commanditées. Ce qui signifie que 20% des voyageurs paieront plus cher. C’est surtout le résultat des changements opérés pour les catégories bénéficiant de tarifs spéciaux : seniors, jeunes, BIM (intervention majorée). La réduction famille nombreuse (- 50%) est supprimée. Et remplacée par les tarifs jeunes et un nouveau tarif mini-groupe de – 40% (de 4 à 14 personnes). Tous les tarifs forfaitaires (seniors, jeunes, Multi) ont été abolis.
Les jeunes, les seniors et les BIM bénéficient désormais d’une réduction de 40% sur le tarif plein. Cela rend en fait les trajets longs plus chers. Le forfait senior de 8,3 euros pour un aller-retour se transforme, pour le trajet Bruxelles-Verviers par exemple, en un tarif de 20,9 euros. Même souci pour les jeunes qui ont perdu le forfait de 7,7 euros par trajet. Ici aussi, la carte Train+, facturée 4 euros par mois pour ces catégories, récompense les voyageurs réguliers, qui ne payent que 5,5 euros maximum par trajet, soit 11 euros pour un aller-retour, ce qui reste très raisonnable.
“Les forfaits, tels qu’ils existaient pour les jeunes et les seniors, ne donnaient pas de réduction pour les courtes et moyennes distances, réplique Tom Guillaume. En réalité, la majorité des trajets concerne des distances courtes et moyennes.”
Quelles chances de succès ?
Ces nouveaux tarifs vont-ils fortement pousser le trafic ? Bart Jourquin a quelques doutes. “Cette stratégie est basée sur des incitants par les prix. Mais ce n’est pas le seul facteur qui peut inciter à prendre le train. Il y a aussi le confort, la ponctualité, l’accès aux trains, les services aux gares, les fréquences.”
“Le prix n’est pas le seul facteur qui peut inciter à prendre le train. Il y a aussi le confort, la ponctualité, les fréquences…” – Bart Jourquin, professeur à l’UCLouvain et ex-administrateur de la SNCB
Hélas, le public convoité – ceux qui n’utilisent pas le train – entend parler du rail dans les médias surtout quand il y a des soucis (retards, grèves, etc.). Et bien que 90% des trains soient à l’heure. “En voiture aussi, il y a des retards, poursuit Bart Jourquin. Quand j’ai un rendez-vous dans une autre ville (il habite Tournai, ndlr) et que j’y vais par la route, je calcule une marge de 30 minutes pour les éventuels encombrements. Dans le train, on peut se reposer, travailler.”
La SNCB cherche par ailleurs à se rendre plus attractive en annonçant une augmentation de l’offre de 2% à partir de décembre prochain. Avec davantage de trains roulant après minuit, plus de fréquences le week-end.
Le prix influence-t-il la demande ?

Toujours est-il que le prix joue un rôle, si l’on en croit l’expérience du Grand-Duché, qui a introduit la gratuité en mars 2020. Le transporteur CFL y connaît une fréquentation record de 33,1 millions de passagers en 2024, contre 28,7 millions en 2023 (+ 9%), bien au-delà de la fréquentation d’avant le covid : 25 millions en 2019. Mais la gratuité a un prix que l’État fédéral belge n’est pas prêt à payer.
La SNCB a de la marge pour affiner son dispositif. Nos voisins aux Pays-Bas, au réseau comparable à celui de la SNCB, ont multiplié cartes et incitatifs adaptés à différents profils, avec la formule “Voordeel” juste pour les week-ends et les jours fériés (2,3 euros par mois), avec 40% de réduction y compris pour trois autres voyageurs, ou encore l’abonnement “Weekend Vrij”, à 36,95 euros, pour voyager librement les week-ends et les jours fériés.
NS, le rail néerlandais, avait même envisagé d’augmenter les prix aux heures de pointe à partir de 2026 pour réduire davantage les prix aux heures creuses. Cela a toutefois été refusé par le gouvernement. Il y a des limites à la flexibilité…
Le pivot de la réforme : la carte Train
Les tarifs moins chers sont essentiellement accessibles en souscrivant à la carte Train+. Elle revient à 6 euros par mois ou 48 euros par an. Elle donne droit à une réduction de 40% pour les trains hors des heures de pointe – avant 6h01, entre 9h et 16h ou à partir de 18h00 – et une réduction supplémentaire de 40% le week-end et les jours fériés. Elle plafonne le prix par trajet à 14 euros (2e classe) ou 22,4 euros en première par trajet.Les jeunes (moins de 25 ans), les seniors (65 ans et plus) et les BIM bénéficient d’office d’une réduction de 40%. La carte Train+, qu’ils paient 4 euros par mois ou 32 euros par an, ajoute une réduction supplémentaire de 40% aux heures creuses, les week-ends et les jours fériés, et plafonne le ticket à 5,5 euros (8,4 euros en première).
Les cartes Train+ sont vendues à moitié prix jusqu’au 4 janvier 2026.
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