La Sabca redécolle
Entreprise historique de la construction aéronautique en Belgique, la Sabca connaît une renaissance. Elle a engrangé des contrats, notamment avec Airbus, qui lui donnent un nouvel avenir. Elle avance aussi sur le marché des drones.
Thibauld Jongen, CEO de la Sabca depuis 2016, respire mieux. En six ans, il est parvenu à relancer le carnet de commandes de l’une des principales entreprises aérospatiales du pays, qui occupe un millier de personnes. Née en 1920 pour fabriquer des avions (son nom raconte ses origines: “société anonyme belge de constructions aéronautiques”), la compagnie est devenue un fabricant d’éléments pour avions et fusées dans l’après-guerre. Notamment des éléments de structure des Airbus et de tuyères des fusées Ariane.
En 2016, l’avenir de cette entreprise basée à Haren (Bruxelles) était en point d’interrogation. Les comptes étaient dans le rouge et plusieurs contrats arrivaient à terme. Par exemple les fournitures d’éléments pour Ariane 5 et l’A380, l’Airbus géant dont la construction a été arrêtée, faute de succès. “L’entreprise n’avait pas réinvesti pour capter de nouveaux marchés, nous étions face à un gouffre”, explique Thibauld Jongen.
La société, qui fait partie depuis 2020 du groupe belge Orizio, a aujourd’hui reconstruit un carnet de commandes, amélioré son image dans le secteur et retrouvé le chemin de la rentabilité. Les comptes sont légèrement positifs, avec 1,9 million d’euros de bénéfice net pour 146 millions d’euros de chiffres de vente en 2021.
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Le résultat reste certes modeste mais se révèle tout de même meilleur que celui de son voisin belge actif dans le même secteur: la Sonaca (Gosselies), qui affichait des pertes pour cette même année 2021. “Nous subissons toujours les effets de la pandémie, avec les baisses de cadences de production des longs-courriers, assure le patron de la Sabca. Le secteur n’a pas encore retrouvé les chiffres de 2019.” A noter que les nouveaux contrats signés n’ont pas encore eu d’influence sur les chiffres. Thibauld Jongen espère ainsi dépasser les 200 millions d’euros de ventes en vitesse de croisière.
Electrifier les avions
Parmi les moteurs de cette renaissance, il y a l’innovation, principalement avec le développement d’actuateurs électriques. Les actuateurs sont des systèmes qui permettent de bouger des éléments mobiles d’ailes d’avion (lors des décollages ou atterrissages par exemple) ou de tuyères de fusée. Ils sont aussi méconnus du grand public qu’indispensables au contrôle de la trajectoire.
“Nous sommes entrés dans ce marché il y a une quarantaine d’années, avec le contrat pour les F-16”, rappelle Thibauld Jongen. La Sabca fabriquait sous licence des actuateurs hydrauliques pour ces chasseurs, acquérant une réelle compétence sur ce type d’élément. Elle a conçu des actuateurs pour les fusées Ariane dès le début de l’aventure spatiale européenne. Ces dernières années, elle a aussi mis au point des versions électriques pour les fusées italiennes Vega et Vega C, ainsi que pour la future Ariane 6.
“Nous faisons même désormais partie du conseil des fournisseurs d’Airbus.”
Le passage aux actuateurs électriques relève de cette tendance forte, dans l’aéronautique, d’électrifier ce qui était assuré habituellement par des systèmes pneumatiques ou hydrauliques. Objectif: limiter le poids, notamment. “C’est devenu une spécialité forte de la Sabca”, se réjouit Thibauld Jongen. L’entreprise a ainsi signé un contrat pour équiper tous les Airbus A350 longs-courriers existants en actuateurs électriques disposés sur un élément d’aile mobile, qui freine l’avion à l’atterrissage et contribue à sa stabilité en vol.
“Nous avons décroché le contrat face à de gros acteurs mondiaux, car nous avons une excellente technologie.” La Sabca est ainsi prête pour les futures générations d’avions, qui seront gourmands en actuateurs électriques. Comme le nouveau single aisle (appareil à fuselage étroit) qu’Airbus pourrait lancer un jour pour succéder à la famille des A320, commandés à plus de 17.000 exemplaires.
Nouvelles relations avec Airbus
En 2018, lorsque le magazine Trends-Tendances avait rencontré Thibauld Jongen pour parler de son plan de relance, il était moins positif sur les contrats Airbus, peu rentables et soumis à de régulières révisions de prix à la baisse. Mais depuis la crise du covid, la relation a changé. La Sabca aussi.
“Airbus a modifié son approche. L’entreprise est mieux reconnue pour ses innovations, son nouvel actionnariat. Nous sommes devenus un fournisseur de premier rang, nous faisons même désormais partie du conseil des fournisseurs d’Airbus, c’est nouveau. Bien sûr, nous sommes petits par rapport à d’autres acteurs, par exemple le français Spirit. Mais maintenant Airbus tient compte aussi du caractère stratégique de ses fournisseurs, pas seulement de leur taille. La présence forte d’un actionnariat public dans le groupe Orizio, dont nous faisons désormais partie, est rassurante (lire l’encadré “Après Dassault, Orizio”), c’est le gage pour les clients d’un engagement à long terme, cela n’aurait pas forcément été le cas avec un private equity.”
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Pour assurer une certaine compétitivité, la Sabca a en outre initié une nouvelle approche: elle développe les éléments en Belgique mais quand la phase d’assemblage nécessite beaucoup de main-d’œuvre, elle l’assure dans ses installations au Maroc, qu’elle a agrandies.
Quatre sites
Le groupe Sabca, basé à Bruxelles, occupe un millier de personnes, dont 600 au siège, le long de la chaussée de Haecht, pas loin de l’Otan. Il dispose d’une filiale à Lummen, dans le Limbourg. Il est présent en Wallonie à travers Sabca Technologies, créée cette année à Louvain-la-Neuve pour organiser une collaboration avec l’UCLouvain dans le développement de systèmes d’actionnement (actuateurs) du futur pour des usages spatiaux. Il dispose aussi d’une base industrielle au Maroc, à Casablanca, pour la production en série. Celle-ci compte 300 personnes.
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Ce succès des actuateurs console du redémarrage encore lent de l’activité spatiale. Le passage à de nouvelles générations européennes de fusées (Ariane 6 et Vega C) se fait en effet attendre. “On nous demande parfois pourquoi nous investissons dans le spatial, mais c’est grâce à ce secteur que nous avons développé une compétence dans les actuateurs électriques pour la fusée Vega, maintenant utilisée dans des applications aéronautiques”, explique Thibauld Jongen, qui ne voit donc pas le spatial comme une activité marginale. La Sabca est d’ailleurs actionnaire à 2,7% d’Arianespace et participe au développement d’un lanceur expérimental européen réutilisable, Themis, pour concurrencer SpaceX.
Quant au marché militaire, il reste également d’actualité. L’entreprise a construit naguère des avions comme les F-16 et en a assuré la maintenance, activité reprise par une société sœur du groupe Orizio, Sabena Engineering. Mais le remplacement des F-16 par des F-35 apportera aussi des activités à la Sabca, à travers la fabrication de gouvernes arrière dont elle fournira les panneaux en matériaux composites. Le contrat sera assuré par une joint-venture, BeLigthning, qui réunit la Sabca, la Sonaca et l’entreprise Asco, installée à Zaventem. Il pourrait représenter 400 millions de dollars de revenus.
Avancée des drones
La Sabca a aussi suivi d’autres pistes. Elle s’intéresse aux nouveaux objets volants, notamment les drones. L’entreprise procède à des vols d’essai et développe ses compétences pour construire ou adapter des engins de ce type. Elle souhaite à terme fournir des systèmes complets pour utilisation dans des conditions critiques.
“Nous ne parlons pas de simples vols pour prendre des photos de biens immobiliers, explique le CEO. Nous visons un usage avec un haut niveau de sécurité, au-dessus de zones urbaines, d’usines. Par exemple de la surveillance de zones d’éoliennes en mer, que nous expérimentons avec DEME, pour contrôler la présence de mammifères marins et permettre de travailler durant la nuit afin de terminer plus vite un chantier. Nous avons aussi déjà effectué des vols au-dessus d’Anvers, et travaillé sur le transport de tissus humains entre hôpitaux en collaboration avec la société Helicus. Mais tout cela est encore dans une phase expérimentale, en attendant un cadre régulatoire clair. La phase commerciale n’est pas encore autorisée.”
Parmi les autres objets volants qui intéressent aussi la Sabca, il y a aussi les dirigeables, dont l’attrait pour ces engins connaît un renouveau. L’entreprise a signé un accord avec la start-up française Flying Whales, qui ambitionne de produire des engins de ce type pour transporter du fret. “Nous leur fournirons tous les actuateurs électriques pour commander les gouvernes”, dit Thibauld Jongen. Ils équiperont notamment ce que la start-up présente comme le plus grand dirigeable jamais construit…
Enfin, la Sabca revient aussi à ses premières amours, la construction d’avions. Elle a conclu un contrat avec le fabricant suisse Pilatus pour assembler dans ses nouvelles installations marocaines un avion d’affaires, le PC12, qui connaît un joli succès. Le premier exemplaire est sorti de l’usine il y a quelques mois. Mais il ne décolle pas du Maroc: “Nous ne sommes pas détenteurs du certificat de l’avion. Celui-ci est donc fourni en quatre morceaux à Pilatus, en Suisse, qui assure l’assemblage final, installe le moteur et l’avionique, et le peint avant de le faire parvenir à son client”.
Après Dassault, Orizio
La Sabca a longtemps été contrôlée par le groupe français Dassault, qui a mis sa filiale en vente en 2019. Elle appartient depuis 2020 au groupe Orizio, détenu à 50% (plus une action) par Sabena Aerospace, le solde étant propriété de la SFPI, le fonds souverain de l’Etat fédéral, qui estime l’activité stratégique pour le pays. Le nouveau groupe, 100% belge, est dirigé par Stéphane Burton. Ce dernier avait racheté en 2014 Sabena Technics, actif dans la maintenance d’avion, au groupe français TAT, élément du groupe Sabena tombé en faillite en 2001. La structure a été rebaptisée Sabena Aerospace.
Orizio comporte deux filiales principales: Sabca, pour la construction aérospatiale, dirigée par Thibauld Jongen, et Sabena Engineering, spécialisée dans la maintenance d’avions, dirigée par Stéphane Burton, qui a repris au passage les activités de maintenance d’avions militaires de la Sabca. Le groupe Orizio a réalisé des ventes à hauteur de 325 millions d’euros en 2021 et occupe plus de 1.300 personnes.
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