Réunions, conférences, présentation, etc. En interne ou en externe, prendre la parole en public est un exercice auquel doivent se soumettre les dirigeants et managers. Un exercice qui a évolué au fil des ans, mais dont les éléments de base restent les mêmes et leur maîtrise, nécessaire !
Une réunion en comité de 5 à 20 personnes, une conférence dans un cercle d’affaires devant un parterre de journalistes, une présentation devant un auditoire d’investisseurs, une annonce officielle au personnel, etc. Les occasions de parler en public sont légion dans le cadre professionnel. Et plus les responsabilités sont élevées, plus il y a de chances qu’elles se multiplient. Pour certains, l’exercice est une récréation. Pour d’autres, une épreuve. La peur de rougir, de balbutier, de se sentir mal à l’aise devant les paires d’yeux qui vous fixent, de perdre le fil, de ne pas savoir gérer un imprévu, de ne pas être pris au sérieux… Autant de facteurs qui amplifient le stress lié à l’exercice. Et pour le mener à bien, les orateurs doivent impérativement faire preuve de qualités essentielles, mais aussi s’adapter aux évolutions de la société, tant technologiques que psychologiques.
En finir avec les cours ex cathedra
” On ne parle plus en public comme on le faisait voici encore cinq ans “, lance Nathalie van Ypersele, partner chez Akkanto, agence de communication corporate stratégique. Différents éléments sont à prendre en compte. L’évolution de l’image du leader d’abord. En 2016, une étude publiée dans Harvard Business Review révélait que les employés attendaient d’un bon leader qu’il soit, entre autres, capable de créer un climat de confiance et de sécurité, qu’il puisse entretenir des valeurs et une éthique, mais aussi qu’il fasse preuve de transparence et communique clairement. ” Le leader ne doit plus montrer qu’il est juste le chef. On ne veut plus de leader à la Jack Welch ( ex-patron de General Electric, Ndlr), assure Nathalie van Ypersele. On veut des chefs de cordée qui emmènent tout le monde avec eux. ” La mentalité des employés a elle aussi évolué. En particulier parmi la génération Y. ” Ils sont moins enclins à obéir au doigt et à l’oeil comme leurs prédécesseurs, poursuit l’experte en communication. Ils posent plus de questions, ont davantage besoin de donner du sens à ce qu’ils font et nourrissent d’autres attentes par rapport à leur hiérarchie. ” Si ces employés ne trouvent pas de sens à leur implication, leur engagement en pâtit. De quoi influencer la communication interne, mais aussi externe, car si les employés ne veulent plus de discours aux allures de cours ex cathedra, les auditeurs d’une conférence non plus. ” Voilà pourquoi il est aussi important de savoir à qui l’on s’adresse lorsqu’on va parler en public. Et d’adapter son discours au besoin. ”
Les orateurs ont modifié leur façon de discourir, laissant notamment plus de place à l’interaction, pour garder l’auditoire éveillé.
Un public qui, par ailleurs, est de plus en plus sollicité au quotidien par… les écrans. L’augmentation de la consommation des médias et activités numériques (ordinateur, smartphones, montres connectées, etc.) a considérablement réduit la capacité de concentration de chacun. Estimée à 20 secondes par le passé, elle est aujourd’hui descendue à 12, voire à huit selon certaines études ! Des changements qui ont poussé les orateurs à modifier leur façon de discourir, laissant notamment plus de place à l’interaction, pour garder l’auditoire éveillé. ” On joue de plus en plus sur le retour participatif, explique Christophe de Rassenfosse, chief product officer chez Stepstone, habitué à s’exprimer tant dans des réunions en petit comité que lors de conventions internationales de quelque 3.000 personnes. Cela peut se faire par l’intermédiaire d’un voting button par exemple. On donne la possibilité aux gens de voter ou de répondre à des questions à choix multiples. Et on rebondit en fonction de la réponse. Cela permet une réelle interaction. Il faut vraiment générer en permanence l’attention. On évite au même titre les slides statiques, pour leur préférer des animations, des petites vidéos. Il faut se démarquer, accrocher. ” Nathalie van Ypersele abonde dans le même sens : ” Les nouvelles technologies offrent un tas de possibilités pour favoriser l’interaction. On peut prévoir un hashtag particulier qui permet aux participants d’envoyer des tweets ciblés, de poser des questions durant un discours. ” Tweets sur lesquels l’orateur peut alors rebondir également. ” C’est facile d’usage et cela maintient le contact. ” Résultat ? L’auditoire se sent plus impliqué, plus écouté aussi. Plus attentif, plus actif, il retient d’autant mieux les messages diffusés.
Test micro, un, deux…
Quid des bonnes vieilles présentations façon Powerpoint ? Elles ne sont pas à jeter aux oubliettes, mais ont dû, elles aussi, évoluer. Pour Christophe de Rassenfosse, ce type de support reste utile, surtout pour le public. ” Je ne fais jamais de présentation sans un support visuel derrière moi, explique-t-il. Pas pour m’y raccrocher, mais pour que le public puisse le faire. Cela permet à quelqu’un dont l’attention aurait été détournée de reprendre le fil de la communication. ” Pour Nathalie van Ypersele, cela reste un bon support à condition ” de jouer davantage sur les images – plus efficaces que des chiffres -, d’adopter un style épuré. Il faut bannir les slides illisibles remplis d’informations “.
Et en parlant de slides, cela semble tomber sous le sens, mais il faut aussi veiller en amont à ce que la technique suive ! ” J’ai assisté à des conférences où l’orateur ne savait pas utiliser l’appareil qui diffusait ses slides, témoigne l’experte en communication. C’est un point auquel tout le monde ne pense pas toujours : vérifier le matériel que l’on va utiliser durant son discours. ” Penser à des jeux de lumière, des animations, à diffuser de la musique : voilà qui participe à tenir le public en éveil. Mais un micro qui ne fonctionne pas, des casques de traduction mal branchés, une musique qui démarre au mauvais moment… et c’est la catastrophe ! D’une part, l’orateur risque de perdre ses moyens, de l’autre, le public reçoit l’image négative de quelqu’un qui n’a pas la maîtrise de l’événement. ” Quand je participe à des conventions internationales devant des milliers de personnes, rien n’est laissé au hasard, témoigne Christophe de Rassenfosse. On se croirait dans les coulisses de shows télévisés à l’américaine. On passe des heures à tout tester : les micros, la musique, la lumière et même… le maquillage ! ” S’assurer de la qualité de la logistique est primordial, car cela placera l’orateur en confiance et lui permettra de se concentrer pleinement sur ce qu’il a à dire.

L’élément clé
L’orateur reste l’élément clé. C’est sur lui que les regards vont se poser, vers lui que les oreilles vont se tendre. Pour Christophe de Rassenfosse, ” il doit à la fois maîtriser son sujet et s’exprimer clairement. C’est indissociable ! Il faut avoir aussi la capacité de rebondir, tant pour répondre à des questions éventuelles que pour réagir en cas d’imprévus. Et puis, il faut aussi adopter une gestuelle en phase avec son propos. On n’arrive pas tout sourire, les mains dans les poches pour annoncer un fait grave, par exemple. ” ” L’orateur doit jouer sur l’instinctif, l’émotionnel et le rationnel “, ajoute Nathalie van Ypersele. D’instinct, il doit inspirer la confiance, donner envie d’être écouté, renvoyer l’image qu’il souhaite. ” On prend la décision de faire confiance à un interlocuteur en moins d’un dixième de seconde. Cela se base sur l’apparence. Il faut être en adéquation avec son discours et sa personnalité. Un patron habitué à porter le costume cravate qui débarque en jeans pour avoir l’air plus cool, cela risque de sonner faux. Cela passe aussi par la gestuelle, la façon dont on pose sa voix, dont on utilise ses mains, le sourire, le débit de parole, dont on se déplace. De grands orateurs se distinguent par leur respiration, longue, qui donne à leur discours un côté apaisant, serein. ” Quant à l’émotion, il faut la solliciter, la faire passer, faire vibrer son public. ” Cela se fait via un bon storytelling, précise encore Nathalie van Ypersele. Il faut jouer sur des émotions fortes comme la fierté, le courage, la peur, qui parlent à tous. On estime que l’émotionnel est cinq fois plus puissant que le rationnel ! ” Le rationnel, justement, concerne plutôt la maîtrise même du sujet. Cela se traduit par des faits, des chiffres, montrés et expliqués avec clarté.
Il n’est évidemment pas donné à tout un chacun de maîtriser parfaitement ces éléments, mais bonne nouvelle : tout cela se travaille. Avec un ou plusieurs coachs, selon les points à aborder. Certains sont spécialisés dans l’apprentissage du langage corporel, d’autres, comme Catherine Piana, directrice de Gecko Strategies, travaillent sur la gestion des peurs. ” Je donne des techniques de centrage, de respiration et de relaxation, qui vont aider à apaiser, explique-t-elle. Je cherche les origines des peurs et aide les orateurs à les surmonter. Souvent, ils cherchent juste à bien faire et mettent la barre tellement haut que ça part en sucette. Je leur apprends à rester centrés et concentrés et à mettre de côté les auto-jugements, qui les font parfois se mettre à douter, puis à bafouiller ou perdre le fil. Et surtout, je leur renvoie une image d’eux positive : je les aide à amplifier leurs points forts, ce qui va automatiquement diminuer leurs faiblesses. J’évite de les filmer pour leur montrer ensuite à quel point ils ont été mauvais, et j’évite aussi de donner un modèle d’orateur parfait. ” Les modèles existent bel et bien. De Steve Jobs à Barack Obama, en passant par Bill Gates et les TED Talks (des formats courts, de 20 minutes maximum, dans lesquels les orateurs racontent une histoire, diffusent un message, qui génèrent des millions de vues sur les réseaux sociaux), mais comme le conclut Nathalie van Ypersele, ” il ne faut pas à tout prix vouloir devenir Steve Jobs ou Barack Obama. Il faut par contre apprendre à les observer en détails avec une grille d’analyse, et s’en inspirer “.
Par Sigrid Descamps.
L’humour est une arme de communication redoutable. Mais encore faut-il l’utiliser à bon escient. ” Cela fonctionne très bien au niveau de l’instinctif, commente Nathalie van Ypersele. C’est une bonne façon de briser la glace, de créer un lien avec le public, de le ‘réveiller’ de temps de ne temps. Mais il ne faut pas aller contre sa nature. Si vous n’avez pas naturellement le sens de l’humour, évitez de sortir des punchlines qui risquent de tomber à plat. ” Et Christophe de Rassenfosse d’ajouter : ” Les Américains sont très forts à ce jeu. L’humour ne fonctionne pas tout le temps, mais certains canevas s’y prêtent, quand le contenu est plus léger, plus anecdotique. Cela permet de réveiller le public pour passer au sujet suivant par exemple. Mais il faut veiller à ce qu’il soit aussi compris par tous, surtout dans un contexte multiculturel, pour éviter les dérapages. ” Une fois encore, il faut donc bien savoir à qui on s’adresse.
Un orateur et une oratrice, à compétences égales, sont-ils sur le même pied ? ” Les critères de qualité sont identiques, estime Nathalie van Ypersele. L’un et l’autre doivent focaliser leur attention sur les mêmes points : la préparation, la respiration, l’importance accordée au public, la gestuelle, l’apparence, etc. Mais il est vrai que lorsqu’une femme monte sur un podium, certains auront tendance à la juger d’abord sur la taille de ses talons, la longueur de sa jupe ou la profondeur de son décolleté. C’est regrettable, mais c’est le cas. N’oublions pas qu’un homme est lui aussi jugé sur son apparence. Un orateur qui se présente avec une chemise mal repassée ou une cravate tachée suscitera aussi des réactions négatives. “