La mort est leur affaire: le secteur des pompes funèbres est en pleine consolidation

Le secteur des pompes funèbres est en pleine consolidation

Depuis une bonne dizaine d’années, le secteur des pompes funèbres vit à l’heure des regroupements. A l’instar des dentistes ou des vétérinaires, la petite officine familiale et indépendante se raréfie au profit de groupes dont certains sont purement financiers. Un phénomène lié à la lourdeur financière et administrative du métier mais aussi à la vie compliquée qu’il impose et qui ne plaît plus du tout aux jeunes générations.

Depuis 2013, la Belgique enregistre environ 110.000 décès par an si l’on excepte les années covid. Un chiffre appelé à augmenter sensiblement avec le vieillissement de la population et la fin de la génération issue du baby-boom. Le secteur funéraire dispose donc d’une marge de progression importante. Sa structuration, via de petites entreprises familiales indépendantes, était inévitablement appelée à subir une consolidation.

En fait, notre pays possède une bonne décennie de retard sur ce qui se passe chez nos voisins français. En 1993, la loi Sueur y a été votée pour casser le monopole d’Etat et mettre fin à des pratiques commerciales abusives. Le but était de rendre aux familles leur liberté de choix. Trente ans plus tard, c’est un échec total. Le marché français (2,7 milliards d’euros par an pour 630.000 décès) est tout aussi verrouillé qu’avant mais les acteurs ont changé de costume. Les grands groupes ont la main.

En tête : OGF, avec 20 % des obsèques au départ de 1.200 agences et 600 maisons funéraires. Elle possède aussi des usines de cercueils et près de 90 crématoriums. L’entreprise est aux mains d’Ontario Teachers, un fonds de pension canadien qui n’a évidemment pas investi par pure bonté d’âme. Funecap, fondée par deux spécialistes français du capital-risque, détient, elle, 15 % du marché avec des marques bien connues comme Roc Eclerc.

Face à cette consolidation financière, le public ne s’occupe plus que de 15 % des funérailles et les petits indépendants se battent pour ne pas mourir. Et chez nous ?

“Nous ne sommes pas des déménageurs de fin de vie. Comme beaucoup le sont encore.” – Charles-André Greindl (A&G Funeral)

Rumeurs et ragots

Le secteur des pompes funèbres est parsemé de ragots et de rumeurs entretenus, pendant les longues périodes d’attente dans les cimetières et les crématoriums, par les employés des entreprises. Mais entre mythes et réalité, il importe de faire le tri. Les contrôles récents du SPF Economie sont éclairants. En 2023, l’inspection économique a rendu visite à 216 entreprises de pompes funèbres. Cent cinquante-cinq étaient en défaut. Un total de 617 infractions ont été constatées, soit, en moyenne, quatre par entreprise ! Tout y passe : mauvaise indication des prix, mauvaise information sur le prix de biens et/ou des services proposés, bon de commande incorrect ou incomplet, voire carrément absent (!) lors du paiement d’un acompte, etc. Seize entreprises ont également accepté des paiements en espèces de plus de 3.000 euros, ce qui est interdit.

“Certaines des pratiques mises au jour par le SPF Economie ont cours depuis des lustres, confie Charles-André Greindl, CEO d’A&G Funeral, une société qui regroupe 12 agences funéraires à Bruxelles et dans le Brabant wallon. J’ai connu les devis sur les cartons de bière ou les contrats en se serrant la main, même dans certaines maisons que j’ai reprises. On a aussi été contrôlé par le SPF Economie qui n’a eu aucun grief à notre égard. J’ai encore vu il y a peu des devis dont on réduisait la valeur si on payait en black. Il faut que cela cesse partout !”

Maisons de repos et morgues

Parmi ces ragots et rumeurs, figurent en bonne place des arrangements entre pompes funèbres, homes et morgues d’hôpitaux, pourvoyeurs évidents de défunts. Certains de ces arrangements sont clairement annoncés par les directeurs de maisons de repos. D’autres font l’objet d’échanges d’argent noir pour que le home envoie ses morts dans une entreprise de pompes funèbres bien précise. Ces pratiques ont toujours cours et donnent lieu à des histoires glaçantes. Certaines entreprises exigent ainsi le paiement de la facture du transport du corps avant de le libérer et le remettre à la famille qui en avait mandaté une autre mais n’a pas été jointe à temps…

“Nous avons tous vécu ou entendu ce genre d’histoires, raconte Denis Fontaine, copropriétaire des funérariums Fontaine et Fostier dans la région de Charleroi. Je n’ai jamais eu recours à cela et ne le ferai jamais. C’est indigne de la profession. Heureusement, elles n’ont qu’un temps car les gens parlent et le bouche à oreille, c’est la plus cruelle des punitions.” “Il y a des déviances, c’est certain, renchérit Vanessa Bols, directrice en charge des évolutions organisationnelles et humaines chez A&G Funeral. Pour des raisons évidentes de santé publique, les directeurs de maisons de repos doivent prendre rapidement des mesures. C’est la loi. Mais s’ils ont des arrangements avec une entreprise de pompes funèbres, ils doivent le dire à la famille avant coup. Nous luttons, entre autres dans les chambres syndicales, contre ces pratiques de bakchich et de recommandations sur une base purement financière. Ce qui est tout aussi choquant, c’est qu’une fois que le corps est arrivé chez eux, ces pompes funèbres omettent, souvent, de dire que la famille a le choix d’aller ailleurs. Dans leur douleur, certaines signent parfois n’importe quoi avant de le regretter après. Vous savez, seuls 20 % des Belges ont exprimé, officiellement, leurs dernières volontés. Il faut conscientiser nos concitoyens. Par leurs choix clairs, ils mettront fin à ces pratiques. A l’arrivée dans une maison de repos, il faut clairement indiquer la marche à suivre en cas de décès. Le Belge a la liberté de choix et doit donc la prendre !”

La crémation aux mains du public
La progression de la crémation aux dépens de l’inhumation est impressionnante. En 2023, cela représente quasi 70% des funérailles. Depuis une vingtaine d’années, la crémation est revenue dans les mains d’institutions publiques, la plupart du temps des intercommunales. Ainsi, à Bruxelles, Cremabru vient de mettre en service un deuxième crématorium à Evere pour soulager celui d’Uccle, complètement overbooké. Cette reprise en mains du public a nécessité des adaptations.“Nous avions racheté les cinq crématoriums de Sophia, se souvient Wim Delplace (Dela). A l’époque, c’était la moitié des structures disponibles. Aujourd’hui, nous n’en avons plus que trois sur 22. A Mons, nous sommes propriétaires avec la famille Borgno. Mais nous mettons les infrastructures à la disposition de l’autorité publique. C’est elle qui gère l’aspect technique de la crémation. Pareil à Bruges. A Charleroi, nous n’avons qu’une petite participation.”
Les 12 derniers crématoriums créés sont majoritairement aux mains du public. Vu la forte demande, la Wallonie autorise la mise en place de partenariats public-privé où le premier doit obligatoirement détenir au moins 51 %. Ce fut le cas à Ciney où l’intercommunale BEP s’est associée à la Société des Crématoriums de France qui appartient à… Funecap.“J’ai toujours œuvré pour que les crématoriums soient aux mains du public, souligne Jean Geeurickx. Il y va de l’équité entre les pompes funèbres. Il serait indécent qu’un opérateur privé se réserve les meilleurs créneaux. Croyez-moi, ce fut le cas dans le passé à certains endroits. Je me suis tout autant battu pour obtenir une réservation des créneaux en ligne, histoire que le processus soit complètement transparent.”

Accès à la profession

En Belgique, la régionalisation a joué des tours à la qualité du service. Dans les Régions bruxelloise et wallonne, un diplôme est requis pour exercer la profession. L’EFC et l’Ifapme dispensent deux formations : un an pour être agent de pompes funèbres et deux ans pour diriger une entreprise de pompes funèbres. En Flandre, plus aucun diplôme n’est requis et n’importe qui peut donc y faire n’importe quoi. Dans les trois Régions du pays, la consolidation est à l’œuvre. Elle se base sur la mutualisation des ressources (administration, comptabilité, logistique, etc.) mais s’exprime selon des business models complètement différents. Une consolidation qui trouve d’abord sa source dans les choix de vie de nos jeunes générations.

“En Wallonie, cette consolidation est très variable, souligne Jean Geeurickx, le président de Funewal, la fédération wallonne du funéraire. Le Hainaut demeure encore très familial. De nombreux propriétaires de pompes funèbres voient leurs enfants peu désireux d’assumer une charge mentale impressionnante. J’ai tenu une telle entreprise pendant 30 ans et je n’ai jamais pris de vacances. Entrepreneur de pompes funèbres, c’est être disponible 24h sur 24 et 7 jours sur 7 toute l’année. Les jeunes veulent avoir un véritable équilibre de vie. Soit ils font autre chose et les parents vendent. Soit ils vendent à un groupe et y restent mais comme salarié. Rejoindre un groupe leur donne une liberté de vie. Financièrement aussi, cela devient compliqué pour les indépendants. Si vous ne voulez pas assumer toutes les gardes tout seul, vous devez payer un employé. Vu les coûts salariaux afférents et la position inflexible des syndicats, c’est un coût énorme pour, parfois voire souvent, ne pas avoir le moindre appel. On a voulu obtenir une garde à la façon de médecins appelables qui ne sont pas payés s’ils ne sont pas appelés. Mais les syndicats n’en ont pas voulu. D’une certaine manière, ils ont favorisé la consolidation qu’on connaît aujourd’hui.”

“Nous souhaitons devenir le leader belge et proposer la meilleure qualité. Pour atteindre le sommet, il faut augmenter notre maillage. Vingt à 25 % du marché, ce serait l’idéal.” – Bram Coussement (Sereni)

Cette consolidation, si elle pose question sur la qualité du service (“C’est la différence entre un Ibis et un petit hôtel avec une famille accueillante”, selon Jean Geeurickx)” n’a pas que des défauts, loin s’en faut. Des groupes avec 40 à 60 centres funéraires et plus de 200 employés ne peuvent pas jouer avec des pratiques financières illégales. Ils vont donc contribuer, avec les citoyens, à l’assainissement du milieu.

“Sur la question des litiges que je récupère à la fédération, je voudrais quand même préciser que 80 % ont une source intrafamiliale, précise Jean Geeurickx. Ce sont des bagarres familiales avec l’entreprise de pompes funèbres comme boule de flipper. Pour le reste, je ne vais pas nier que les pratiques dont vous parlez existent. Acheter un mort à la sortie d’une maison de repos, c’est honteux. C’est par la qualité du travail et le bouche à oreille qu’on gagne des clients. Pendant toute ma carrière, je n’ai jamais volé le moindre corps. Quand la police m’appelait pour en récupérer un, je n’allais le chercher que si la famille avait été prévenue et si ce n’était pas le cas, j’exigeais un réquisitoire. Un telle levée de corps est payée 100 euros selon la taxation judiciaire, peu importe le jour. Si, après coup, la famille choisissait d’aller ailleurs, ce qui est son droit, elle récupérait son défunt sans frais. C’est cela, le métier bien fait.”

Dela, leader belge

Difficile, en Belgique, de mettre un chiffre d’affaires annuel sur le secteur funéraire. On l’évalue aux alentours des 600 millions d’euros. En 2023, le leader belge était Dela, une coopérative de droit néerlandais. Tout le monde connaît l’assurance obsèques Dela grâce aux campagnes de pub. A côté de Belfius, qui a bénéficié de la consolidation entre Norwich Union, Corona et NN, Dela est l’acteur n°1 de l’assurance obsèques en Belgique avec 950.000 assurés. Un business qu’elle a commencé chez nous en 1989, soit plus de 60 ans après la naissance de la coopérative aux Pays-Bas. Elle occupait aussi cette position de leadership l’an dernier dans les funérailles avec 11,5 % du marché, 67 pompes funèbres et 130 emplacements. Un business qu’elle a commencé en 2005 quand elle a racheté le Sophia Group, ses 34 entreprises de pompes funèbres, ses cinq crématoriums et son centre de rapatriement situé à Brussels Airport. Dela a mis en place un business model simple.

“Je vends du service et de l’accompagnement. Pas un cercueil. Il est d’ailleurs compris dans mon forfait.” – Cléo Duponcheel (Croque-Madame)

“Quand nous rachetons une entreprise de pompes funèbres, nous l’achetons à 100 %, explique Wim Delplace, managing director funerals. Une seule exception : Borgno à Mons où, comme nous étions partenaires dans le crématorium, nous avons aussi conclu un partenariat pour les funérariums. Les vendeurs ont la possibilité de rester en place comme salariés s’ils le souhaitent. Mais je ne veux pas vendre du rêve et qu’au bout de six mois, les gens nous quittent malheureux. C’est pour cela qu’une reprise prend du temps. Il faut être franc et honnête: quand on devient salarié d’une maison qu’on a dirigée, il faut accepter les procédures et la façon de travailler de Dela. Ce sont des maisons de tradition et, évidemment, nous souhaitons qu’elles soient nos ambassadrices. Quoi qu’il arrive, on essaie toujours d’avoir un accord pour garantir la continuité et arriver à une situation win-win : pour le vendeur, pour Dela, et surtout pour nos familles.”

Dela est organisée autour de deux sociétés en Belgique : une succursale de la coopérative néerlandaise où sont logées les activités d’assurances et un holding, sous la forme d’une SA, pour le funéraire et les crématoriums. Tout est consolidé, après coup, dans la coopérative néerlandaise. Dela entend décharger chaque maison de pompes funèbres des achats, des RH, de l’administratif, etc. et d’offrir à chacun, au sein de son académie, des formations. L’idée est de permettre à chaque maison de se focaliser sur le service aux familles et que ce service soit impeccable.

“Je suis toujours frappé de la vie difficile des gens que nous reprenons, confie Wim Delplace. Nous désirons que ce métier puisse devenir un job normal. Nous sommes organisés en 18 zones en Belgique. Chacune d’entre elles agit comme une équipe globale qui se répartit les gardes, les week-ends et les vacances. Il faut que chacun ait suffisamment de temps libre. Idéalement, dans notre système, une équipe fonctionne avec 20 à 25 personnes. Il faut aussi de la proximité. Notre stratégie consiste donc à renforcer nos zones pour rationaliser le travail. Racheter une maison isolée qui gère 200 funérailles par an nous intéresse donc moins.”

Le secteur compte encore deux poids lourds. Tout d’abord, Ginkgho, créé en 2019, et qui vient de faire entrer le géant français Funecap dans son actionnariat. Le groupe compte déjà une grosse trentaine de maisons funéraires et est, notamment, très présent dans la région liégeoise avec les funérariums Foret-Tejean. Ensuite, Sereni, fondée en 2016 autour de deux financiers réputés : Michel Verhaeren, issu du secteur de la construction (ViaBuild), et Amaury Hendrickx, cofondateur de la chaîne de hamburgers Ellis. Sereni croît très rapidement (elle dispose d’une soixantaine de funérariums en Belgique, quasi autant en Allemagne et démarre en Pologne) et a logiquement été élue lauréate nationale des Gazelles par nos collègues néerlandophones de Trends, en 2022, dans la catégorie des moyennes entreprises. Elle était ambassadrice cette année mais pour les… grandes entreprises !

“La création de Sereni est partie d’un triple constat, confie Bram Coussement, le CEO. Si les dentistes ou les vétérinaires se regroupaient pour avoir une vie, pourquoi pas les pompes funèbres qui doivent être accessibles 24h sur 24 et 7 jours sur 7 ? Or, il n’y avait quasi rien en 2016… Et dans ce secteur, on ne peut pas attendre six mois pour avoir un rendez-vous. Il faut aller chercher un corps à toute heure, même le week-end. Cela coûte cher mais, contrairement aux ambulances, le secteur n’est pas subsidié. Les crématoriums sont aux mains du public alors qu’ailleurs, notamment en France, c’est privé. Cela pousse les pompes funèbres à investir dans de l’immobilier et à demeurer proches de ces crématoriums. Un centre funéraire digne de ce nom, c’est 2 millions d’euros, ce n’est pas rien. Ajoutez-y l’extrême fragmentation des règles et législations. Travailler à Bruxelles alors qu’on est installé à Tournai, c’est très compliqué. Toutes ces raisons poussaient à la création d’une plateforme commune qui soulage les pompes funèbres d’un certain nombre de tâches, qui permette de standardiser le fonctionnement interne et autorise le partage d’informations et d’expériences. Evidemment aussi, une structure qui partage le risque financier.”

Sereni fait ce qu’on appelle du buy & build et ne s’en cache pas. Pour autant, son modèle est complètement différent de celui de Dela. Chaque maison funéraire est gérée par un chef d’entreprise indépendant qui dirige des salariés Sereni. Cet indépendant est dans la moitié des cas le vendeur qui est resté en place. Dans les autres cas, Sereni cherche un entrepreneur désireux de s’associer. En fonction du poids dans l’actionnariat du gérant indépendant, Sereni prend un pourcentage sur le chiffre d’affaires au nom de tous les services rendus (logiciel, comptabilité, RH, etc.). Sereni doit être profitable mais cette rentabilité passe évidemment par la qualité du service et de l’accompagnement. Elle a mis en place une académie pour que tout le personnel soit à niveau et édite des livres et des guides pour accompagner les familles. Comme chez Dela, la proximité est un facteur clé pour permettre l’alternance des services de garde et autoriser des vacances.

“Quand nous rachetons une maison, il est fréquent que nous rajoutions un ou deux ETP, poursuit Bram Coussement. Car la famille propriétaire travaillait beaucoup trop pour limiter les coûts salariaux. Nous souhaitons devenir le leader belge et proposer la meilleure qualité. Pour atteindre le sommet, il faut augmenter notre maillage. Vingt à 25 % du marché, ce serait l’idéal. Nous ne sommes pas des assureurs comme Dela et notre stratégie repose donc sur les services proposés et le développement du réseau. On a du retard en Wallonie et c’est normal car nous n’y sommes arrivés qu’en 2019. Nous sommes bien dans le Hainaut, à Namur et à Bruxelles. C’est compliqué à Liège où la concurrence est très bien implantée.”

Des autopsies aussi
La Belgique manque cruellement de salles d’autopsie et de médecins légistes. Au dernier recensement, ils n’étaient qu’une petite quinzaine pour 12 arrondissements judiciaires. Au printemps, le SPF Justice a décidé de prendre le taureau par les cornes et a affecté 2,25 millions d’euros à la création de deux nouveaux instituts médico-légaux (IML) au sein des hôpitaux universitaires de l’UZ Leuven et des Cliniques Saint-Luc. En fait, de nombreuses autopsies ont lieu dans des funérariums. Borgno offre ce service à Mons et Fontaine à Charleroi.
“Proposer des salles d’autopsie de dernier cri et avec toute la technologie nécessaire contribue à notre bonne réputation, souligne Denis Fontaine. Cela fait des années que nous collaborons avec divers arrondissements judiciaires au gré de leurs besoins et nous avons longtemps été n°1 en Belgique dans le domaine. Les deux légistes de l’IML de Charleroi autopsient chez nous. Tous les frais sont pris en charge par la Justice. Y compris le transfert, par nos soins, du corps vers les pompes funèbres choisies par la famille. Nous avons voulu créer de telles salles à Bruxelles mais, malgré l’accord du procureur du Roi, certains légistes ont fait blocage…”

Personnalisation

L’existence des groupes n’empêche pas jusqu’ici les indépendants de continuer à se développer. A Charleroi, Fontaine assure 1.300 funérailles par an. Farouchement indépendante, la famille mise tout sur le service.

“Nous aurions pu ouvrir d’autres funérariums, explique Denis Fontaine. Mais nous ne voulions pas perdre notre qualité et notre délicatesse. Des funérailles, cela ne peut pas se rater. Il faut être au top à chaque fois, prendre le temps et respecter la personnalité du défunt. L’arrivée des groupes va causer, je le crains, une perte d’expérience par la standardisation. Je doute aussi de l’implication du personnel quand ce n’est pas votre entreprise ou que l’ambiance n’est pas familiale. Je sais, par les clients qui reviennent chez nous après avoir essayé un groupe, que le service n’y est pas optimal.”

Récemment, A&G Funeral a utilisé pour des funérailles un vieux van VW tout fleuri parce que c’était celui de la défunte et qu’il la symbolisait.

C’est la personnalisation de ce service qui anime Charles-André Greindl. A&G Funeral, certes un “petit” groupe, entend dépoussiérer le secteur et casser les codes. “Il n’y a ni investisseur, ni fonds à rémunérer chez nous, dit-il. C’est ce qui nous a permis de grandir à notre rythme, avec des échecs et des réussites. Dans le respect des lois, de l’éthique et des valeurs d’un bon père de famille. Nous ne sommes pas des déménageurs de fin de vie. Comme beaucoup le sont encore. Nous sommes des accompagnateurs de vie, avant, pendant et après. Nous mettons l’accent sur les aspects psychologiques, sociaux et de prévoyance. J’ai coutume de dire que nous ne sommes pas une entreprise mais un projet commun qui évolue à l’écoute de ses collaborateurs.”

“Cette prévoyance est au centre de tout, renchérit Vanessa Bols (A&G Funeral), et je ne parle pas d’assurances. Le public n’a pas à subir des funérailles mais à en être l’acteur. Les pompes funèbres n’ont pas à rendre plus triste un événement qui l’est déjà. Des funérailles ne se font pas à la va-vite ni selon une formule standardisée. Notre ADN, c’est donner la main aux familles pour qu’elles expriment leurs besoins. Des futurs défunts doivent s’approprier leur fin de vie et leurs funérailles et l’exprimer clairement. Nous passons énormément de temps avec les familles pour cocréer une cérémonie à leur image. Un cercueil, cela se décore et se personnalise. Comme un corbillard. Récemment, nous avons utilisé un vieux van VW tout fleuri parce que c’était celui de la défunte et qu’il la symbolisait. Avec l’aide de brochures éditées par un centre de soins palliatifs de Namur, nous permettons aux enfants d’exprimer leur deuil. C’était tabou jusqu’il y a peu. Ils sont parties prenantes de nos cérémonies. Nous avons aussi créé des salles de cérémonie personnalisables pour ne pas forcément aller dans celles, standards, des crématoriums. Tout est possible, rien n’est jamais obligé…”

“Nous avons aussi créé des salles de cérémonie personnalisables pour ne pas forcément aller dans celles, standards, des crématoriums.” – Vanessa Bols (A&G Funeral)

A&G Funeral travaille aussi avec les hôpitaux bruxellois pour le projet “Toi, mon étoile”, centré autour du deuil périnatal, un autre sujet tabou. L’entreprise anime aussi “Les Fleurs du Cœur” : des écoliers bruxellois dessinent et fabriquent des fleurs posées sur les cercueils de personnes défavorisées ou esseulées…

Le business du cercueil
De nombreuses pompes funèbres belges étaient à l’origine des fabricants de cercueils. Ceci explique sans doute pourquoi la vente d’un cercueil a toujours été au centre du business. Avec, parfois, des marges totalement indécentes. Depuis plus de 10 ans, Cédric Vanhorenbeke, le patron de la coopérative funéraire Alveus, spécialisée dans les funérailles écologiques et inventeur de la corbicyclette (vélo-corbillard), se bat contre cette indécence et les autres pratiques peu reluisantes du secteur.
“Alveus était la société de Claudine Decoster. Elle fournissait des cercueils écologiques sur le marché belge. Quand je travaillais encore avec mon papa, nous avons commercialisé, dès 2010, des cercueils en carton et en osier dont personne ne voulait encore à l’époque. Je voulais percer avec mes idées et pas avec des manœuvres commerciales peu reluisantes. Il y a eu un clash avec mon père car elle a brisé l’omerta du milieu sur le prix du cercueil. Un fournisseur n’a pas à communiquer ses prix au public… Elle a été dégoûtée et, à dire vrai, moi aussi. J’ai fini par claquer la porte et, avec Claudine, nous avons transformé Alveus en une société de funérailles écologiques. Mon métier, ce n’est pas vendeur de cercueils. C’est anecdotique chez moi, mais c’est le core business de beaucoup de mes collègues. Moi, je prends la même marge, 250 euros, sur tous les modèles. Un cercueil pour des funérailles, c’est un coup de fil chez le fournisseur. Cela ne justifie pas une telle marge. Un cercueil que je vends 500 euros se retrouve à 1.500 ou 2.000 euros chez les collègues…”
Cléo Duponcheel a la même démarche : “Je vends du service et de l’accompagnement. Pas un cercueil. Il est d’ailleurs compris dans mon forfait et la marge est très faible. Je pense qu’en sept ans, j’ai dû vendre trois cercueils en chêne. Le peuplier est tout aussi bien. En plus, utiliser un cercueil en chêne dans une crémation, c’est une stupidité sans nom.”
La montée en puissance de la crémation entretient le business du cercueil puisque, pour des raisons d’efficacité technique, il est obligatoire. Pour une inhumation, ce n’est plus le cas à Bruxelles. Un linceul suffit. En Wallonie, le sujet est à l’étude et devrait déboucher sur une autorisation sous peu.

Féminisation

Longtemps, le secteur des pompes funèbres fut une affaire d’hommes. Porter des cercueils, ce n’était pas fait pour les femmes. Cette vision tronquée a évidemment changé. Les formations comptent désormais une majorité de femmes. Elles arrivent même à la tête d’une maison. Cléo Duponcheel fut l’une des pionnières. Elle a créé Croque-Madame, il y a sept ans, à Woluwe-Saint-Pierre. Une maison farouchement indépendante.

“Je donne cours à l’EFP et je suis ravie de la féminisation. Beaucoup sont en reconversion professionnelle. C’est important pour notre métier car ces gens veulent donner du sens à leur vie. Entrepreneur de pompes funèbres, ce n’est pas un job. C’est perpétuer les rites funéraires ancestraux et faire en sorte que ce moment, dont tout le monde a besoin à des degrés divers, soit réussi. Faire son deuil est essentiel. Personne ne va à la morgue par plaisir mais parce que c’est indispensable humainement. Ce moment, comme la cérémonie, ne se bâcle pas.”

Les enfants deviennent ­parties prenantes des cérémonies, ce qui était tabou jusqu’il y a peu.

Dans sa petite boutique qui ne ressemble pas du tout à une entreprise de pompes funèbres, Cléo Duponcheel, animée par des valeurs fortes comme la liberté, l’humanité, l’engagement mais aussi la légèreté, travaille seule. Elle fait appel à des sous-traitants quand c’est nécessaire, dont des porteurs pour la levée du corps à domicile ou une cérémonie dans une église, etc. Elle est régulièrement accueillie dans une salle funéraire d’un collègue à Evere, auquel elle rend parfois des services au nom de la coopération inscrite dans un code de déontologie que certains ont parfois oublié.

Ce phénomène de sous-traitance est très présent à Bruxelles, moins en Wallonie. Il explique aussi pourquoi l’instauration des flexi-jobs dans le secteur en janvier dernier est un succès colossal.

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