Actant une perte cumulée de 24,2 millions d’euros en cinq ans, Ladbrokes Belgique a l’intention de licencier 47% de ses effectifs dans notre pays. Derrière les licenciements annoncés, c’est l’ensemble du réseau d’agences de paris qui tremble : les profits qu’elles dégagent se réduisent de plus en plus.
Il est 10h34. Avec un peu de retard, le gérant d’une agence de paris Ladbrokes, située dans le Brabant wallon, ouvre les portes de son établissement. À peine a-t-il eu le temps de désactiver le système d’alarme, qu’un premier client fait son entrée. “J’ai dû changer mon jeu parce que le numéro 8 est non partant”, glisse le vieil homme. Ce dernier se rend deux fois par semaine dans cette agence Ladbrokes pour parier sur les courses hippiques.
Sur la vitrine de l’établissement, une pancarte mentionne la recherche d’un nouveau gérant. Le contexte n’est pas rose. La société de paris sportifs a annoncé le 9 octobre dernier l’ouverture d’une procédure Renault pour licencier 76 employés. Soit 47% du personnel de l’entreprise active depuis 1970 en Belgique. D’après les syndicats, l’enseigne justifie cette restructuration par des pertes cumulées de 24,2 millions d’euros sur cinq ans. Et par un recul structurel du marché des paris en agence physique, accéléré par la pandémie de covid et la montée du numérique.
De moins en moins d’agences
Ces dernières années, le réseau d’agences Ladbrokes avait déjà été fortement réduit chez nous, passant de 310 à 196 sites. Selon les données disponibles sur le site de la Commission des jeux de hasard (CJH), qui est le régulateur officiel du secteur, Ladbrokes possède près d’une agence de paris sur deux (49,6% du marché des bureaux physiques) en Belgique. Huit agences sur dix appartiennent à Ladbrokes en Région de Bruxelles-Capitale. En Wallonie, 59% des bureaux de paris ont un grand ‘L’ blanc sur fond rouge apposé sur leur devanture. Au nord du pays, ceux-ci se font beaucoup plus rares. A peine plus d’une agence de paris sur cinq appartient à la marque britannique en Flandre.
Si les détails de la procédure Renault ouverte par le poids lourd des jeux de hasard ne sont pas encore connus, la situation géographique des agences Ladbrokes démontre que c’est avant tout l’emploi au sud du pays qui est menacé. Mais la donne pourrait encore s’aggraver. Il semblerait que l’ambition du groupe Entain, qui possède Ladbrokes dans son portefeuille de sociétés de paris sportifs, soit de fermer l’ensemble des agences sur le territoire du plat pays. “Nous sommes actuellement en consultation concernant la fermeture potentielle de nos activités de vente au détail Ladbrokes en Belgique. Aucune décision définitive n’a été prise. Nous restons déterminés à soutenir nos collègues tout au long de ce processus”, a déclaré un porte-parole de Ladbrokes pour la Belgique.
Alors que les syndicats dénoncent l’absence de transparence au niveau de la procédure engagée, la direction de l’entreprise rétorque de son côté que ceux-ci “refusent de convenir d’un calendrier de négociation rapide”.
Des pertes qui s’accumulent
“Je dois dire que je suis un peu étonné par l’annonce effectuée par Ladbrokes Belgique car d’autres entreprises du secteur semblent très bien se porter. Le marché en lui-même continue de croître encore et encore”, commente Bram Constandt, professeur en management du sport à l’UGent. Pour autant, le chercheur flamand remarque de plus en plus de fusions de sociétés de paris sportifs, ou bien d’acquisitions par de grands groupes internationaux. Entain, par exemple, en plus de gérer les antennes nationales de Ladbrokes, possède des sociétés du même acabit actives au Royaume-Uni (Coral), en Croatie (SuperSport) ou encore en Géorgie (Crystalbet), pour ne citer qu’elles.
Si le marché se porte bien dans l’ensemble, c’est moins le cas de la société anonyme Derby, dont le siège se situe à Auderghem et qui exploite la marque Ladbrokes sur le sol belge. En 2024, la société accusait des pertes de 28 millions d’euros. La dernière fois qu’elle a terminé l’année avec un bilan positif, c’était en 2019. Depuis, la société n’a jamais pu quitter la zone rouge. “Il est difficile d’établir les raisons pour lesquelles l’entreprise est empêtrée dans de telles difficultés, pose Bram Constandt. Mais ces chiffres ne reflètent pas une situation financière saine”. D’après l’universitaire, Ladbrokes a peut-être perdu du terrain au profit de ses rivaux.

Quid des concurrents ?
Comment se portent les autres sociétés de paris présentes physiquement sur le sol belge ? Sont-elles dans une situation similaire à celle de Ladbrokes ? Cette dernière est le leader incontesté du secteur. Derrière, quelques sociétés tentent de se tailler une part du gâteau. À commencer par la société anonyme Betcenter Group, active depuis 2007 en Belgique. Après un bénéfice de 4,3 millions d’euros en 2023, proche de celui réalisé en 2019, la société a enregistré une perte de 1,6 million d’euros l’an dernier. Contrairement à la société Derby, Betcenter Group avait limité la casse durant la crise sanitaire, réussissant à garder ses comptes dans le vert.
La société à responsabilité limitée Bingoal Retail, présente sur le sol belge depuis 2014, est la dernière arrivée dans le game des jeux de hasard. Contrairement à ses deux concurrentes, Bingoal est considérée comme une petite entreprise, avec cinq équivalents temps plein seulement, contre plus d’une centaine pour Ladbrokes et Betcenter. Après une période compliquée entre 2018 et 2020, Bingoal Retail semble avoir limité la casse, avec 7.000 euros de pertes en 2024. L’année 2023 fut celle d’un bénéfice record, avec 166.000 euros de gains enregistrés auprès de la Banque nationale de Belgique (BNB).
Les paris, un secteur attractif en ligne
Pour connaître la santé globale du secteur des paris, il faut s’intéresser d’abord à celle des jeux de hasard, synthétisée dans le dernier rapport financier disponible de la Commission des jeux de hasard et qui porte sur l’année 2023. Un indicateur permet de la mesurer : celui du “GGR” (pour Gross Gaming Revenue), qui livre le bénéfice brut généré par les jeux de hasard. Il est obtenu en faisant la différence entre les mises (initiales et rejouées) et les gains versés aux joueurs. De manière générique, la CJH constate une croissance continue du secteur. Aussi bien en ligne qu’hors ligne, et que, “pour la quatrième année consécutive, le jeu en ligne l’emporte sur le jeu terrestre”.
En 2023, le GGR du secteur des jeux de hasard en Belgique représentait un peu plus de 1,7 milliard d’euros. Soit une augmentation de près de 17% par rapport à 2022. Le marché se répartissait à raison de 55% pour les jeux en ligne et de 45% pour les jeux off line. En 2019, avant la crise sanitaire, le rapport de force était inverse. Les jeux en ligne représentaient alors 40% du marché, contre 60% pour les jeux hors ligne.
Et pour les paris spécifiquement ? En 2019, 60% d’entre eux s’effectuaient dans des lieux dédiés à la pratique, le reste sur des sites web. En 2023, ce n’était plus le cas que pour 39% des paris. Zoomer encore davantage dans ces données permet de mieux comprendre le déclin des agences de paris. En 2023, près de 61% des revenus issus des paris provenaient des paris en ligne. Les agences en elles-mêmes ne représentaient que 29% de la richesse générée, devant les librairies (9,68%), les hippodromes (0,05 %) et les bookmakers (0,03 %).
Moins en agences
Toutefois comment expliquer le recul des jeux de hasard (et donc des paris sportifs) “en physique” ? “Le GGR lié aux casinos, aux salles de jeux automatiques et aux cafés a dépassé le niveau d’avant la crise du covid. Ce n’est pas le cas pour les agences de paris et les librairies, malgré une croissance de plus de 5 millions d’euros”, détaille le rapport de la CJH. En parallèle, le GGR on line a doublé entre 2019 et 2023.
Le constat posé dans ce document est clair et limpide pour les sociétés de paris: la clientèle ne privilégie plus leurs bureaux. Avant la pandémie, les agences de paris constituaient la première source de revenus du secteur des jeux de hasard off line. En 2023, elles sont dépassées par l’exploitation de machines de type bingo et de jeux de hasard avec mise atténuée dans les cafés, ainsi que par les salles de jeux automatiques.
Ces différents coups portés aux agences de paris se ressentent dans les chiffres. Fin 2022, on en dénombrait encore 535 sur le territoire belge. Un an plus tard, il n’en restait plus que 467. Et alors que l’année 2025 n’est pas encore terminée, ce nombre est déjà tombé à 397.
Fin 2022, on dénombrait encore 535 agences de paris sur le territoire belge. En 2025, ce nombre est tombé à 397.
Les paris en ligne moins chers
Les paris en ligne rapportent désormais plus que les paris physiques, tout en coûtant également moins cher, résume Bram Constandt. “Les coûts principaux liés à l’activité en ligne concernent le software et le marketing. Dans le cas des agences, il y a des coûts liés au personnel”, déroule le spécialiste du management sportif. Sans oublier les frais immobiliers et les factures d’énergie, indispensables pour alimenter les nombreux appareils électroniques branchés dans les agence. Et dont la note a augmenté dans le contexte géopolitique compliqué des dernières années.
Si les profits réalisés par les agences de paris s’amenuisent. Bram Constandt n’imagine pas que les sociétés qui les gèrent s’en privent complètement à l’avenir. “Alors que les sociétés de paris ne font plus beaucoup de publicité, leurs agences donnent une visibilité à la marque dans les rues. Et elles contribuent ainsi à construire son identité.”
Nathan Scheirlinckx
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