La médecine nucléaire contre le cancer assure le futur d’IBA
L’entreprise de Louvain-la-Neuve célèbre la production d’un centième cyclotron miniature pour l’imagerie médicale. Surtout, elle investit pour être en première place dans la prochaine révolution médicale, un marché de 40 milliards au moins. Le tout avec un écosystème belgo-belge.
IBA, c’est une belle histoire wallonne. L’entreprise, née en 1986 d’une spin-off de l’UCLouvain autour du cyclotron, réalise désormais un chiffre d’affaires autour des 400 millions d’euros. Et les perspectives sont positives pour le futur, grâce à sa capacité à se réinventer en permanence. Mais aussi, et surtout, grâce aux promesses de la médecine nucléaire, notamment dans le traitement des cancers.
“La protonthérapie constitue actuellement un peu plus de la moitié de nos revenus, mais la médecine nucléaire reprend une certaine taille et la dynamique dans ce marché évolue fortement à la hausse avec l’introduction progressive des théranostiques (néologisme alliant thérapie et diagnostic, ndlr), souligne Charles Kumps, président de IBA RadioPharma Solutions. Ce ne sont plus des traceurs d’imagerie, mais des traceurs de soins que l’on injecte pour soigner les tumeurs immédiatement. Cela modifie le marché de l’oncologie.” Une révolution.
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Un marché de 40 milliards
L’entreprise vient de réaliser une levée de fonds pour financer Pantera, une joint-venture avec le SCK CEN (à Mol) qui représente un premier pas d’IBA dans les théranostiques. Ces 93 millions d’euros levés permettent d’envisager une position de leader mondial dans la production d’actinium 225, un isotope extrêmement rare et recherché pour le développement de nouveaux traitements contre le cancer par de très gros groupes pharmaceutiques.
Les premiers résultats confirment que les “théranostiques” pourraient bel et bien révolutionner les traitements contre le cancer.
“Ce sont des révolutions qui peuvent amener un changement complet dans la façon dont on traite le cancer, explique Charles Kumps. IBA se positionne pour apporter la technologie nécessaire à la transformation du radium, un déchet nucléaire extrêmement polluant, en actinium, un médicament contre le cancer.”
La révolution n’en est qu’à ses débuts, mais elle ouvre d’énormes perspectives. “Nous en sommes aux prémices, confirme le président de IBA RadioPharma Solutions. Il n’y a, à ce stade, aucun médicament disponible pour les patients. Nous sommes encore au stade de la recherche et d’essais cliniques. Mais les premiers résultats confirment que cela pourrait bel et bien révolutionner les traitements contre le cancer. L’actinium devrait arriver dans les quatre ou cinq ans. La deuxième génération de radioisotopes théranostiques va suivre, sept ou dix ans plus tard.”
“C’est la ruée vers l’or, confie-t-il encore. Il y a une compétition internationale incroyable. Il faut se rendre compte qu’on évoque un marché de 6 ou 7 milliards aujourd’hui, qui pèsera potentiellement 40 milliards dans cinq ans, et peut être le double dans 10 ans ! Toutes les firmes pharmaceutiques se ruent dessus. Avec Pantera, IBA et le SCK CEN offrent deux éléments uniques : une technologie et la matière première suffisamment pure pour pouvoir la déployer. Il y a des routes alternatives aux États-Unis ou en Chine, mais qui n’atteindront probablement jamais la quantité et la qualité de médicaments que notre collaboration permettrait.” Le made in Belgium peut être compétitif.
Le centième “Kiube”
Cette nouvelle étape serait la suite d’une activité déjà florissante pour IBA. En ce mois d’octobre, l’entreprise a célébré la production du centième Kiube, un outil majeur pour l’apport actuel de la médecine nucléaire, qui concerne l’imagerie médicale. “IBA a pour métier de fabriquer des accélérateurs de particules avec plusieurs finalités différentes, explique Charles Kumps. L’une d’entre elles, c’est la fabrication de traceurs que l’on injecte pour avoir une imagerie médicale. Sur les 40 dernières années, environ 1.500 cyclotrons ont été fabriqués. IBA en a fabriqué 400, soit une part importante. Et nous cherchons en permanence de meilleures façons de procéder.”
Après la première génération de cyclotrons, il y a une dizaine d’années, IBA s’est employé à lancer une nouvelle génération. “Cette seconde génération devait avoir un certain nombre de bénéfices en termes de compacité, de fiabilité, de flexibilité et de puissance, dit-il. Immédiatement, nous avons décidé de la concevoir en collaboration avec l’entreprise qui produirait cette machine, Karl Hugo, qui a un savoir-faire de pointe dans la réalisation d’usinage de mécaniques.”
Le Kiube est né de cette collaboration. La centième de ces machines vient de sortir de l’usine située en Communauté germanophone. “Cent machines produites, c’est du jamais vu dans le monde des cyclotrons, se félicite Bernd Hugo, CEO de l’entreprise Karl Hugo. L’idée consistait à allier le meilleur des deux mondes, celui de la recherche et de la production industrielle. C’est du belgo-belge à tous les niveaux. Ce partenariat extraordinaire a commencé à toute petite échelle. La première commande d’IBA concernait un Rhodotron, un accélérateur pour la stérilisation, en 1998. Nous avons fait nos preuves, nous avons produit des cyclotrons, puis nous sommes passés à la vitesse supérieure avec ce cyclotron de nouvelle génération.”
Le cahier des charges consistait à remettre tout sur la table, à livre ouvert. “C’est assez particulier, précise Bernd Hugo. D’habitude, un donneur d’ordre ne permet pas cette possibilité. Ici, on a fait jouer l’intelligence collective pour co-dessiner une machine moins encombrante, avec moins de béton, pour un coût moindre de 30%, tout en étant fiable. Nous avons traduit des solutions mécaniques pour y parvenir.”
L’entreprise germanophone a mis en place, au fil des ans, une vision intégrée de son métier, regroupant toutes des activités habituellement éclatées : bureaux d’étude, usineurs, chaudronniers, intégrateurs, etc. “Nous avons veillé à intégrer toute la chaîne de valeurs, explique son dirigeant. Cela permet à nos clients d’avoir un interlocuteur qui assume tous les risques. Notre métier consiste précisément à trouver le mouton à cinq pattes. Nous ne fournissons pas un produit, mais un ensemble de services. En travaillant en toute transparence avec IBA, nous nous sommes challengés et nous n’avons pas émis de réserves sur certaines options. Dans une relation classique, on aurait mis de côté certains risques.”
Le résultat est là. “Nous n’imaginions pas, au début, produire 100 cyclotrons. Et la cadence s’accélère : nous sommes désormais à 22 machines par an.”
Un écosystème belgo-belge
Chez IBA, on insiste sur l’importance de cultiver cet écosystème belgo-belge avec le centre de recherche SCK CEN et le producteur Karl Hugo. Cela permet une meilleure agilité et une relation de proximité. “Nous faisons le pari d’extraire plus de valeur en travaillant main dans la main, avec la capacité d’aller l’un chez l’autre et de se comprendre beaucoup mieux, explique Charles Kumps. Au lieu de saucissonner le design et la production avec différents acteurs et leurs problèmes de chaîne de valeurs, on regroupe tout à deux pas de chez nous. En termes de délais, de fiabilité de la collaboration, cette relation est imbattable.”
La collaboration passe aussi par une pépinière de talents qui se met au service des projets. “Nous avons, en Belgique, un système d’enseignement qui produit des jeunes professionnels avec une formation incroyable, prolonge le président de IBA RadioPharma Solutions. Nous engageons énormément d’ingénieurs et la qualité est excellente. Là où nous avons parfois des problèmes, c’est au niveau de la quantité.”
“Dans les cantons de l’Est, cela fait 70 ans que nous avons reproduit le modèle allemand de la formation en alternance, prolonge Bernd Hugo. Les jeunes passent certaines semaines quatre jours chez nous. Le résultat, c’est que les métiers en pénurie, pour la plupart des acteurs mécaniques, ne le sont pas chez nous. En interne, nous avons formé quelque 70 apprentis depuis le début de la société. Quatre-vingt-cinq pour cent de notre staff actuel, soit 58 personnes, est composé de personnes qui ont commencé chez nous à la sortie de l’école et qui sont toujours chez nous.”
Également président de la Fédération des entrepreneurs des cantons de l’Est, il émet quelques critiques sur la Fédération Wallonie-Bruxelles. “J’ai beaucoup de contacts avec les politiques, poursuit Bernd Hugo. Je n’arrête pas de leur dire que la formation en alternance est la recette qui fonctionne par rapport aux pays latins, où il y a une certaine arrogance de l’académique sur le technique. Cela pose de vrais problèmes. Or, un fraiseur réfléchit aujourd’hui 95% du temps à la meilleure façon de traduire un plan en une pièce finie, avec des instructions données à la machine. Ce n’est plus un métier manuel comme on l’imaginait auparavant. C’est un travail intellectuel, il faut des têtes bien faites. On se bat contre des pactes d’excellence qui n’en sont pas.” Message reçu ?
L’importance de la recherche
Pour autant, le succès reste un combat perpétuel. “Cela se gère difficilement, reconnaît Charles Kumps. Il y a deux ou trois ingrédients à la recette de ce succès. Tout d’abord, il y a cet ancrage local voulu et assumé. Le fondateur d’IBA a accompli ses études à l’UCLouvain et est parti aux États-Unis suivre un doctorat. Il a choisi de revenir implanter sa société ici parce qu’il avait envie de rendre à la Belgique ce qu’il avait reçu. Mais à côté de cela, il y a aussi le pari de gérer ses affaires d’une façon soutenable. Produire très localement évite en effet d’envoyer les matières premières en Chine pour ramener les produits finis ici, avant de les envoyer aux États-Unis. Ce sont des kilomètres superflus.”
La philosophie d’IBA consiste aussi et surtout à développer des produits qui ne sont pas “un peu, mais beaucoup mieux que ceux des concurrents”. “Nous pouvons compter, en Belgique et en Europe, sur un financement important de la recherche, se félicite le responsable de l’entreprise. Cela permet de financer des innovations que nous n’aurions pas les moyens de financer avec nos propres capitaux. C’est une source indispensable d’aide pour être compétitifs dans le monde d’aujourd’hui. En Chine ou aux États-Unis, le financement public, parfois caché, est énorme.”
Au sein d’IBA, le niveau d’investissement en R&D dépasse 10% du chiffre d’affaires, soit environ 50 millions d’euros par an. “Par-dessous, nous pensons sincèrement que l’accélération de particules permet d’améliorer le quotidien des gens, ce qui est notre valeur fondamentale”, conclut Charles Kumps. Innover et servir, deux moteurs profondément humains.
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Siège social:
Louvain-La-Neuve
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Secteur:
Medische en farmaceutische apparatuur en uitrusting
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