La lente progression d’Izy, le train low cost lancé par Thalys

Le marketing d'Izy était délicatPour Thalys, il s'agissait de conquérir une nouvelle clientèle sans détourner les clients business du service à grande vitesse classique. © PG

En 2016, Thalys a lancé Izy, un train à petit prix reliant Paris et Bruxelles. Proposés à partir de 10 euros, ces trajets low cost durent plus longtemps que ceux du TGV aux rames bordeaux mais attirent du monde : 430.000 voyageurs l’ont emprunté l’an dernier. Le transporteur ne compte pas s’arrêter là.

Les habitués de l’Eurostar ne sont pas dépaysés lorsqu’ils empruntent le train low cost Bruxelles-Paris, Izy, qui relie une fois par jour les deux villes. Ils voyagent à bord d’une rame recyclée qui roulait encore il y a peu entre le continent et la gare Saint-Pancras à Londres. A l’extérieur, le pelliculage blanc et vert, aux couleurs du service Izy, n’en laisse rien paraître mais, à l’intérieur, les sièges gris sont encore ceux de l’Eurostar old style. Ils sont nombreux car cette rame compte 750 places, contre 350 pour les rames Izy utilisées au démarrage du service en 2016.

Une croissance de 6,3% en 2018

L’objectif de ce changement de matériel est d’augmenter l’offre de sièges pour toutes les fréquences, en espérant capter toujours plus de passagers. ” Le service a enregistré une croissance de 6,3% l’an dernier pour arriver à 430.000 voyageurs, indique Bertrand Gosselin, directeur général de Thalys. Nous espérons encore progresser de 8% cette année. ” Izy est un élément important dans la croissance du service Thalys, qui a atteint les 7,506 millions de passagers l’an passé, Izy compris (+4,6%), et un chiffre d’affaires de 527 millions d’euros (+3,6%). Et ce malgré les grèves de la SNCF et les manifestations des gilets jaunes qui ont refroidi la demande touristique sur la Ville lumière. Thalys évalue son manque à gagner à 12 millions d’euros.

Sur les trois premières années de service, Izy a attiré près de 1,2 million de passagers.

Le service Izy a été lancé en 2016 par Agnès Ogier, directeur général de Thalys jusqu’à la fin 2018 et actuelle directrice de la communication du groupe SNCF, l’actionnaire majoritaire de Thalys. Izy est inspiré d’une stratégie commerciale développée en France, les TGV à petit prix Ouigo ( lire l’encadré ” Le modèle Ouigo “) et constitue une réponse aux reproches faits aux tarifs élevés de Thalys et à la pression des cars Flixbus ou du covoiturage via BlaBlaCar.

La lente progression d'Izy, le train low cost lancé par Thalys
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De redoutables concurrents

Le trajet Bruxelles-Paris en Thalys ” classique ” coûte 29 euros si l’on réserve son ticket longtemps à l’avance, mais pour les réservations de dernière minute, le prix peut atteindre 99 euros (confort 2). Du côté de la concurrence, un trajet via le service BlaBlaCar revient à environ 25 euros. Un trajet Flixbus se vendait à partir de 13 euros au démarrage d’Izy, il est tombé à 4,99 euros actuellement. De son côté, Izy propose des tarifs variant entre 10 et 59 euros. L’opérateur peut baisser les prix car, en France, ce train low cost n’emprunte pas les voies à grande vitesse. Il évite ainsi les péages élevés dont il faut s’acquitter pour rouler sur cette ligne. Le train Izy offre un confort similaire à celui des Thalys classiques, mais la durée du voyage est plus longue. Selon les jours et les fréquences, une rame Izy met un peu plus de 2 h ou 3 h, contre 1h22 pour le service des rames Thalys bordeaux. L’opérateur promet d’améliorer à l’avenir le temps de parcours.

” La clientèle d’Izy a peu évolué sur les trois premières années, continue Bertrand Gosselin. La première motivation de celle-ci est le loisir. Il s’agit de voyageurs pour qui la valeur prix a plus d’importance que la valeur temps. Ce sont de jeunes adultes, des familles, des seniors “, continue Bertrand Gosselin. On y croise aussi beaucoup de Français établis à Bruxelles qui rentrent voir leur famille et leurs amis à Paris ou des touristes en city-trip. Environ la moitié des voyageurs sont français, 30% belges, et 20% affichent d’autres nationalités. La fréquentation est surtout importante autour du week-end, où l’offre est plus conséquente.

Une voiture-bar sans bar

Bertrand Gosselin, CEO de Thalys
Bertrand Gosselin, CEO de Thalys”La clientèle d’Izy, ce sont des voyageurs pour qui la valeur prix a plus d’importance que la valeur temps. De jeunes adultes, des familles, des seniors.”© PG

Le coût de la distribution est, lui aussi, réduit au maximum chez Izy : les tickets ne sont vendus que via le Net et ne sont ni échangeables ni remboursables. Dernière économie : la voiture-bar. Elle subsiste mais elle n’est pas en fonction car ce service est généralement déficitaire. L’idéal serait de la remplacer par une voiture remplie de sièges, pour augmenter les recettes, mais il faudrait pour cela que Thalys commande du matériel adapté ou fasse rénover la rame, ce qui n’est pas à l’ordre du jour. Au lancement du service, les deux rames provenaient du parc de la SNCF ou de ses filiales. Elles n’avaient pas non plus été spécifiquement conçues pour le service Izy.

L’intégration d’une rame provenant d’Eurostar tombait à pic, car celle-ci a acquis du nouveau matériel chez Siemens et rénové une partie de l’ancien (des trains Alstom) et allait ainsi posséder des rames en surplus, anciennes mais pas en fin de vie et tout à fait conformes aux réseaux belges et français. Sans doute à des conditions favorables. Elles comportent des sièges de première classe, qui sont vendus sur Izy avec un supplément de 10 euros.

La lente progression d'Izy, le train low cost lancé par Thalys

Tarif bloqué du mardi au jeudi

Le tarif d’entrée standard est de 19 euros par trajet, il peut augmenter jusqu’à 49 euros en cas de forte demande. Ce système de yield management (gestion de la tarification selon l’offre et la demande) est toutefois neutralisé en semaine, entre le mardi et le jeudi, où un tarif unique de 19 euros s’applique. ” Nos rames sont très grandes ( 18 wagons, Ndlr), elles se remplissent moins bien en semaine, donc nous avons décidé de bloquer le tarif “, déclare le patron de Thalys.

Il y a moyen de payer encore moins cher, car des strapontins à 15 euros peuvent être réservés. Et il y a même moyen de bénéficier d’un tarif à 10 euros pour des places non assignées, sans garantie d’avoir une place assise. Il s’agit d’un quota de places. Le voyageur doit s’adresser au train manager qui lui indiquera si des sièges sont libres. Si le train est rempli, il voyagera debout dans la voiture bar. ” Ces places partent très vite “, indique Bertrand Gosselin. Les bagages sont limités à deux pièces (un grand de maximum 32 kg et un bagage de cabine). Emmener un vélo (non pliable) ou un grand instrument de musique coûtera 10 euros de supplément à la réservation, 30 euros sur le quai, selon l’approche typique des compagnies aériennes low cost.

Ne pas siphonner les clients business du Thalys

Le marketing d’Izy était délicat. Pour Thalys, il s’agissait de conquérir une nouvelle clientèle sans détourner les clients ” à haute contribution ” du service à grande vitesse classique, qui pourrait perdre ainsi de sa rentabilité. Ceci dit, la durée du voyage est en soi dissuasive pour la clientèle business et il n’est pas possible de faire un aller-retour dans la journée, sauf le vendredi et le dimanche. De plus, il n’y a pas d’Internet à bord.

Le client business demande en effet des fréquences nombreuses et le Thalys standard roule jusqu’à 24 fois par jour. Izy, juste une fois, deux le vendredi et le dimanche, les seuls jours où il est théoriquement possible de faire un aller-retour dans la journée, dont est friande la clientèle d’affaires. ” Il y a très peu de profils business, et peu d’allers-retours le vendredi “, se rassure Bertrand Gosselin.

” Sur les trois premières années de service, Izy a attiré près de 1,2 million de passagers, continue le CEO de Thalys. Suite à une enquête auprès des voyageurs, nous estimons que dans ce nombre, 800.000 personnes n’auraient pas pris le train.” Les personnes “détournées” du service à grande vitesse Thalys seraient donc largement minoritaires. Par ailleurs, sur ce nombre, 500.000 voyageurs n’auraient pas voyagé du tout. Hormis le changement de rame et le tarif fixe en semaine, Thalys n’annonce pas de nouveauté pour Izy dans les mois à venir. Pas de destinations nouvelles.

Izy a aidé Thalys à redécoller. Pendant une décennie, jusqu’au lancement d’Izy en 2016, le réseau stagnait autour des 6,6 millions de passagers (lignes entre Bruxelles, Paris, Amsterdam, Cologne et Dortmund). Il semblait avoir atteint la maturité.

La lente progression d'Izy, le train low cost lancé par Thalys

L’art d’étaler les tarifs

Thalys a aussi gagné par lui-même des passagers (au moins 100.000 de plus en 2018) et des revenus en ajoutant des destinations et en revoyant son offre, qui est passée de deux à trois classes. Une classe Comfort située entre la Standard et la Premium, destinée à attirer des clients business qui souhaitent plus de place mais dont les entreprises ne veulent pas payer le tarif le plus élevé.

Cette opération a permis d’un peu mieux remplir les sièges des wagons de première classe, d’augmenter les revenus, tout en libérant des sièges en deuxième classe. Lorsque la place Standard, en deuxième classe, est de 99 euros, la Comfort revient à 115 euros et la Premium, à 145 euros. Cela complique un peu l’offre, mais les clients semblent avoir été séduits. L’an dernier, les voitures de première classe dotées de sièges Comfort et Premium ont été nettement mieux remplies (+13%).

Thalys améliore ainsi ses ventes en développant l’art d’étaler les tarifs : du low cost à 10 euros avec Izy, jusqu’au voyage avec repas, vin et espace lounge pour un siège Thalys Premium à 145 euros.

Le modèle Ouigo

Izy est clairement un avatar du service Ouigo de la SNCF, l’actionnaire majoritaire de Thalys (la SNCB en possède 40%). L’opérateur français a lancé un TGV low cost dès 2013 sous le nom de Ouigo. Il a pris de l’ampleur et a attiré 12 millions de voyageurs en 2018, sur 28 destinations. La SNCF estime qu’il pèsera 25% du trafic à grande vitesse en 2020.

Comme pour Izy, les tickets Ouigo sont vendus uniquement sur le Net, non remboursables. La grande différence est que les rames Ouigo roulent à grande vitesse partout où elles le peuvent. Comme il s’agit d’un service intérieur, il est subsidié, ce qui n’est pas possible pour un train international. Les tarifs au km ne sont donc pas comparables. Cela permet de proposer le trajet Paris-Lyon, avec Ouigo, à un tarif de base de 13 euros, contre 19 euros pour Bruxelles-Paris, pour une distance nettement plus grande (460 km pour la première, 264 km pour la seconde). En 2018, le trafic Ouigo avait augmenté de 38%, poussé par la multiplication des destinations, contre 6,3% pour Izy, qui s’en tient à la ligne Bruxelles-Paris.

Une autre différence est que les rames sont conçues spécialement pour Ouigo. A double étage, elles sont plus denses, avec 634 sièges au lieu de 510 sur un TGV standard comparable. La place est gagnée par la suppression de la première classe, de la voiture-bar, et d’un modèle de siège spécifique. D’où un coût par passager plus bas.

Le lien de parenté entre les deux services est très visible sur le Web : le site de réservation d’Izy est un site Ouigo simplifié.

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