L’entreprise à impact In-Between, basée à Bruxelles, transforme la jacinthe d’eau, une plante envahissante, en une matière première intéressante permettant des applications industrielles. La fondatrice et CEO Rebeka Bahadorani compte sur les investisseurs pour se développer après l’ouverture d’une usine pilote en Louisiane.
“J’ai travaillé sur un projet de traitement de l’eau au Burkina Faso en 2010, explique Rebeka Bahadorani. Le problème le plus fondamental était que l’eau était inaccessible. Elle était complètement envahie par la jacinthe d’eau.” La jacinthe d’eau est un loup déguisé. La plante a l’air gracieuse, mais elle double de superficie en moins de deux semaines. Elle étouffe ainsi toute vie dans l’eau.
“La prolifération de la jacinthe d’eau fait qu’il n’y a ni lumière ni air dans l’eau. Certaines régions qui vivaient de la pêche doivent aujourd’hui importer du poisson, poursuit Rebeka Bahadorani. La plante peut être si dense que l’on peut enjamber l’eau. Les jacinthes causent également de graves problèmes dans les centrales hydroélectriques. Au niveau sanitaire également. Les moustiques y trouvent un lieu de reproduction idéal pour pondre leurs œufs. Par conséquent, on assiste à une recrudescence de la malaria et de la dengue dans les zones touchées.”
La lutte contre la jacinthe d’eau, plante problématique dans plus de 100 pays, se fait à l’aide d’herbicides dans de nombreux endroits, ce qui pose également souci.
Différentes applications
“J’étais tellement intriguée par le problème que j’ai commencé à chercher un modèle commercial via lequel nous pourrions transformer ce parasite en marchandise, raconte Rebeka Bahadorani, une Belge francophone née en Iran. J’ai été aidée par une équipe formidable. Notre projet n’aurait pas autant progressé sans le soutien de deux anciens cadres du groupe Solvay.”

“Notre approche innovante combine les propriétés techniques de la jacinthe d’eau avec la demande croissante de produits biosourcés”, explique la CEO d’In-Between. Le résultat s’appelle Cynthia Fiber, un matériau naturellement inerte qui peut être utilisé pour une variété d’applications, de l’isolation aux composites de bois et de plastique.
“Après avoir effectué les recherches nécessaires avec l’université de Gembloux, nous nous sommes associés à une entreprise française”, précise Philippe Detheux, directeur des opérations d’In-Between, qui a fait ses armes en tant que consultant en commerce international auprès de ministères wallons et fédéraux. “Grâce au travail de pionnier de notre directeur R&D Richard Thommeret, nous séchons la jacinthe à l’énergie solaire. Nous voulons rendre notre processus de production le plus écologique possible. Le fait que la jacinthe d’eau soit en fait un parasite que nous combattons est intéressant à cet égard. Nous ne prenons pas de surface qui pourrait être utilisée pour l’agriculture, par exemple. Nous sommes donc particulièrement fiers de la reconnaissance de la Fondation Solar Impulse, qui nous reconnaît comme l’une des mille solutions économiquement rentables et les plus efficaces pour lutter contre le changement climatique.”
“Le siège de notre entreprise se trouve à Bruxelles. C’est un peu contradictoire, car la jacinthe d’eau n’a pas encore atteint la Belgique.” – Philippe Detheux, directeur des opérations
“Les qualités d’absorption de notre fibre sont spectaculaires, précise Rebeka Bahadorani. Elle peut absorber jusqu’à 18 fois son poids. Cela la rend particulièrement adaptée comme base pour les litières pour chats. La fibre convient également parfaitement comme matériau d’isolation, mélangée ou non à du bois. Pour ces applications, nous recherchons des partenaires. Une usine de production de panneaux isolants nécessitera un investissement de 20 à 40 millions d’euros.”
“Enfin, en collaboration avec un groupe allemand, nous avons développé un produit que nous fabriquons en interne, ajoute Philippe Detheux. Avec notre fibre, nous pouvons fabriquer des pots de fleurs biodégradables, une alternative parfaite aux pots en plastique utilisés pour les herbes achetées au supermarché ou pour les plantes dans les pépinières.”
La Louisiane
La jacinthe d’eau a conduit Rebeka Bahadorani en Louisiane, aux Etats-Unis, où la chambre de commerce de Lafayette s’est immédiatement montrée très intéressée. “Le problème en Louisiane et dans le sud des Etats-Unis est énorme, explique la fondatrice d’In-Between. En Louisiane, la plante couvrirait quelque 65.000 hectares. Les Américains se sont donc montrés très motivés et ont rendu possible la mise en place de notre site pilote. Deux semaines après la levée du confinement aux Etats-Unis, nous nous sommes rendus sur place. Nous avons signé une déclaration d’intention avec le département de la faune et de la pêche de Louisiane. Notre usine pilote a été ouverte à la mi-mai 2024.”
En Louisiane, In-Between veut démontrer qu’il est possible de récolter, de sécher et de traiter la jacinthe d’eau à l’échelle industrielle, tout en émettant peu de carbone. “Par ailleurs, nous voulons voir les effets de la récolte industrielle de la jacinthe d’eau”, explique Rebeka Bahadorani. Les cours d’eau touchés reprennent-ils vie, certaines espèces se régénèrent-elles ?”
In-Between peut employer 30 à 40 personnes par unité locale. “Le siège de notre entreprise se trouve à Bruxelles, précise Philippe Detheux. C’est un peu contradictoire, car la jacinthe d’eau n’a pas encore atteint la Belgique. C’est là que se trouvent la direction, le marketing, la recherche et le développement. Nous espérons employer à terme une quinzaine de personnes en Belgique.”
Le financement
Jusqu’à présent, la croissance d’In-Between a été principalement rendue possible par les traditionnels friends, family and fools. “La première ‘folle’, c’est moi, s’amuse Rebeka Bahadorani. Mais nous avons beaucoup d’expertise industrielle parmi nos actionnaires et les membres du conseil d’administration, comme Henri-Jean Velghe, directeur chez Bekaert.”

Nous avons beaucoup d’expertise industrielle parmi nos actionnaires et les membres de notre conseil d’administration.” – REBEKA BAHADORANI
Un autre nom notable est celui du président du conseil d’administration, Bessel Kok, fondateur de Swift et ancien CEO de Belgacom. “Je connais Bessel depuis des années, précise Rebeka Bahadorani. Il a été mon premier client lorsque je travaillais encore comme architecte d’intérieur. Il m’a soutenu tout au long de ma carrière, c’est mon mentor. Lorsque je lui ai expliqué mes projets avec In-Between, il a tout de suite été enthousiaste.”
Pour financer sa croissance, la société est à la recherche de nouveaux investisseurs. “Nous visons environ 15 millions d’euros, indique Philippe Detheux. Pour pouvoir nous développer aux Etats-Unis à partir de 2025, parce qu’avec un seul site, nous n’allons pas résoudre le problème de la Louisiane. Une fois ce problème résolu, nous voulons développer nos activités en Europe à partir de 2026. Le Portugal et l’Espagne sont également confrontés à ce fléau.””Nous nous attaquons à un problème qui n’existe pas en Belgique, reconnaît Rebeka Bahadorani. Nous ne fournissons pas non plus d’emplois importants en Belgique et ne visons pas spécifiquement le marché belge. Mais nous sommes à la recherche d’investisseurs qui veulent avoir un impact, qui croient en notre mission et qui regardent au-delà des frontières nationales. Je suis sûr que notre histoire peut convaincre les gens.”
Bruno Iserbyt