La start-up liégeoise est l’entreprise belge qui a connu la plus forte croissance des quatre dernières années, selon le classement Fast 50 de Deloitte. A travers elle, c’est tout le secteur de la radiopharmacie qui est mis à l’honneur.
Sur les quatre dernières années, la société liégeoise Elysia a affiché une croissance de… 2.857,57 %. Oui, vous avez bien lu, 2.857 %. Grâce à cela, la spin-off de l’université de Liège a décroché haut la main le Technology Fast 50 organisé par Deloitte et qui récompense les entreprises technologiques à forte croissance. En quatre ans, le chiffre d’affaires a bondi de 200.000 à 5,7 millions d’euros. Cette performance, Elysia ne l’a pas réalisée uniquement en vendant ses solutions pour le contrôle de qualité des produits radiopharmaceutiques, créneau pour lequel elle figure dans le top 3 mondial. La jeune entreprise a en effet eu l’audace de racheter un concurrent allemand, pourtant bien plus gros et plus expérimenté qu’elle, pour doper son chiffre. Peu d’entreprises belges osent le pari de la croissance externe. Alors, voir une entreprise de 15 mois d’existence (et même à peine 12 quand les tractations ont débuté) le faire, c’est carrément inédit.
” Notre concurrent allemand Raytest était en procédure de redressement judiciaire, raconte François Moonen, CEO et cofondateur d’Elysia. L’alternative était simple : soit un autre concurrent rachetait Raytest et nous rendait proportionnellement encore plus petits, soit nous y allions nous-mêmes. Je suis vraiment heureux que nous ayons réussi à convaincre nos actionnaires de faire une offre. Nous avons été les plus rapides. Ce rachat nous a dotés d’un portefeuille de clients et d’un nom sur le marché, deux choses cruciales qui manquent à toute jeune société. ”
Compétences scientifiques… et tactiques
Si Elysia, créée en 2014, est une jeune entreprise, ses fondateurs ne sont pas des novices. Daniel Bartholemy, biologiste, a travaillé plusieurs années pour Eurogentec avant de devenir consultant pour des sociétés biotechnologiques et radiopharmaceutiques, tandis que François Moonen, ingénieur, a plus de 15 ans d’expérience de management dans l’automobile et la pharmacie. ” Cette expérience nous a permis de convaincre rapidement IBA de travailler avec nos produits, précise le CEO. Avoir le leader mondial de la protonthérapie comme référence nous a apporté du chiffre d’affaires et de la crédibilité dès notre démarrage. ”
” Les dirigeants d’Elysia ont fait preuve non seulement de compétences scientifiques de très haut niveau mais aussi de belles compétences tactiques pour réussir cette croissance impressionnante, très utile pour tout l’écosystème local “, pointe Sylvie Ponchaut, directrice générale du pôle de compétitivité wallon Biowin (sciences du vivant).
Une croissance par acquisition a-t-elle cependant la même signification qu’une croissance interne, construite par ses propres résultats ? ” Une croissance externe, c’est tout aussi bien qu’une croissance organique, répond Sam Sluismans, du programme Fast 50 de Deloitte. C’est beaucoup plus facile de faire croître une entreprise avec une équipe de 35 que de cinq personnes. Elysia a acheté une équipe et une base de clientèle, c’est précieux quand on veut accélérer son développement. Ce n’est peut-être pas dans les habitudes chez nous mais aux Etats-Unis, élaborer sa liste d’achats est l’une des premières choses que font les dirigeants d’une entreprise. ” Dans le cas présent, l’intégration semble fonctionner correctement (la marque Raytest, leader en Allemagne et en Europe centrale, est maintenue ainsi que les implantations allemandes) et Elysia envisage sérieusement de rééditer l’expérience. ” La croissance par acquisition reste d’actualité chez nous “, concède François Moonen. Depuis la reprise de Raytest, il a déjà étudié deux dossiers, sans aboutir. Mais l’intention demeure. Il songe même à une levée de fonds dans cette optique. ” Acquisition, fusion, vente… cela fait partie du cycle de vie d’une entreprise, résume-t-il. Il ne faut pas s’en émouvoir particulièrement. ”
95% des revenus à l’export
Voilà pour les ambitions. Mais regardons aussi les résultats. Et là, c’est apparemment un peu moins rayonnant pour Elysia, qui affichait l’an dernier une perte de 344.000 euros. Inquiétant pour le modèle économique de cette entreprise ? ” Non, les bases sont parfaitement saines, assure Sam Sluismans. S’il y a des pertes, c’est en raison des importants investissements pour soutenir la croissance de l’entreprise et financer la recherche. ” Sur ses produits, Elysia dégage en effet une marge brute de 60 à 75%. Mais elle investit 700.000 euros par an dans la recherche et développe sa force commerciale à l’international (l’ouverture de bureaux aux Etats-Unis et en Chine est dans les cartons). En d’autres termes, elle pourrait embellir ses comptes sans trop de problèmes, mais elle affaiblirait alors ses leviers de croissance futurs.

Elysia tire 95% de ses revenus de l’exportation, pour moitié dans les pays voisins. Son principal concurrent est une firme britannique. Sera-t-elle bridée par le Brexit ? ” Cela pourrait effectivement lui mettre des bâtons dans les roues et, donc, nous aider, répond François Moonen. Mais ils ont anticipé les choses en rachetant une entreprise française. ” La croissance (son leitmotiv), Elysia compte plutôt aller la chercher en Chine et aux Etats-Unis, où l’entreprise est encore peu présente. ” Elysia, comme Trasis et d’autres, a développé une expertise unique au monde, commente Sylvie Ponchaut. Ils se positionnent tous d’emblée au niveau mondial, c’est extrêmement ambitieux. ” Cela contribue à façonner un remarquable écosystème dans la médecine nucléaire.
Diversification en vue
L’exportation n’est toutefois pas le seul levier actionné par Elysia pour entretenir sa croissance. L’entreprise mise aussi sur une certaine diversification de ses produits. ” Nous n’avons pas suffisamment de revenus récurrents, analyse François Moonen. Nous vendons des équipements et des services associés mais comme nos machines sont robustes, nos clients ne doivent pas revenir vers nous les années suivantes. ” D’où l’idée de développer les consommables qui accompagnent les équipements vendus par Elysia, de fournir les pochettes de produits pour l’utilisation quotidienne dans les hôpitaux et laboratoires. Les produits d’Elysia permettent de garantir la qualité des traceurs radiopharmaceutiques injectés aux patients cancéreux afin de localiser les tumeurs. Pour l’heure, ces techniques servent surtout au diagnostic mais elles sont de plus en plus utilisées à des fins thérapeutiques. ” C’est là que se situe le futur d’Elysia “, affirme François Moonen.
Il songe également à se développer en dehors du domaine médical. Elysia, qui emploie actuellement 45 personnes (dont 20 en Belgique), a déjà engagé deux spécialistes afin de tenter de mettre un pied sur le marché du radio-monitoring dans l’environnement. ” C’est un monde très fermé, convient François Moonen, mais nous pouvons toujours racheter une société pour nous y implanter. Nous vivons de toute façon sur un marché de consolidation. Les clients préfèrent avoir un seul fournisseur. Les petits se regroupent ou se font racheter. Elysia a l’ambition d’être un fournisseur de premier rang pour les hôpitaux, laboratoires et centres de recherche. ”
“Une étoile dans la galaxie belge de la médecine nucléaire”
Le succès d’Elysia ne sort pas de nulle part. Il illustre la vitalité de la médecine nucléaire en Belgique. Ce secteur génère dans notre pays 2.600 emplois directs et 2.100 indirects. Mieux : il est en plein boom, car les évolutions technologiques permettent à la médecine nucléaire de s’aventurer de plus en plus sur le terrain thérapeutique et plus seulement du diagnostic. ” Elysia est une des étoiles de la galaxie belge de la médecine nucléaire “, résume Sylvie Ponchaut.
La force de la Belgique réside dans la présence sur son territoire de l’Institut des radio-éléments (Fleurus) et du Centre d’étude de l’énergie nucléaire de Mol. Ils produisent ensemble un quart des radio-isotopes utilisés par les équipes de médecine nucléaire à travers le monde. Des atouts peu délocalisables et autour desquels toute une chaîne d’activité s’est développée pour la gestion et le transport de ces produits radioactifs. Une chaîne parfaitement rodée… et jamais très éloignée de Mol et Fleurus car les éléments perdent de leur radioactivité en quelques dizaines d’heures. D’où l’utilité, par exemple, des solutions d’Elysia pour vérifier leur qualité avant de les injecter au patient.
Cette chaîne se complète par la présence de 10 cyclotrons et 26 PET scans dans les universités et hôpitaux. ” Il faut ajouter à tout cela le travail du professeur André Luxen et du Centre de recherches du cyclotron (CRC) de l’ULiège, précise François Moonen. Beaucoup d’initiatives économiques sont nées autour de ce centre de recherches de très haut niveau. ” C’est tellement vrai que plusieurs chefs d’entreprise ont récemment écrit au recteur de l’université, Pierre Wolper, pour plaider le maintien des activités scientifiques après le départ à la retraite du professeur Luxen. Les entreprises insistent sur l’importance, pour leur développement, de pouvoir recruter de jeunes diplômés en radiochimie et radiopharmacie. Le rectorat les a rassurés quant à la succession du professeur Luxen et la pérennité du Centre de recherches du cyclotron.
Investissement australien à Seneffe
Le potentiel de la filière radiopharmaceutique wallonne n’a pas échappé aux investisseurs internationaux. Après Clarity (Australie) et Global Morpho Pharma (France), c’est maintenant la biotech australienne Telix qui s’apprête à investir en Wallonie. Elle a en effet annoncé l’acquisition imminente de l’ancien site IBt (International Brachytherapy) à Seneffe, où l’on produisait autrefois des implants radioactifs pour le traitement du cancer de la prostate. Telix devrait y produire les solutions radiopharmaceutiques qu’elle envisage de commercialiser bientôt en Europe. Dans un communiqué, la firme insiste sur les potentialités de développement du site (deux cyclotrons y sont installés et il peut en accueillir six autres), sur la qualification de la main-d’oeuvre, sur le soutien à long terme des pouvoirs publics en faveur de la médecine nucléaire et sur la localisation géographique au coeur de l’Europe occidentale. Telix avance en terrain connu puisque la firme australienne a racheté l’an dernier ANMI, une start-up liégeoise qui devait beaucoup… au professeur Luxen. ” Les retombées de cet investissement peuvent être colossales, se réjouit Sylvie Ponchaut. Cela va booster toute la chaîne de valeur de la filière radiopharmaceutique en Wallonie. ”
Le podium de la croissance
Le chiffre de croissance d’Elysia impressionne. Mais il n’est pas le seul dans le Fast 50 de Deloitte. Les deux autres sociétés figurant sur le podium dépassent aussi les 2.000% en quatre ans. Il s’agit de Sortlist (plateforme de mise en relation des entreprises avec des agences de communication, basée à Wavre et qui a aussi grandi en absorbant un concurrent, espagnol dans ce cas) et de Silverfin (Gand), une plateforme cloud pour les bureaux de comptabilité.
Deloitte a également récompensé Showpad, société gantoise spécialisée dans l’aide à la vente, pour sa croissance ” la plus durable “. Showpad a été nominée chaque année au cours des quatre années précédentes et a réalisé, sur cette période, la croissance moyenne la plus forte. La fintech bruxelloise Keyrock a, quant à elle, été désignée ” rising star 2019 “.
” Notre concours démontre que les croissances extraordinaires sont toujours possibles, commente Nikolaas Tahon, managing partner Deloitte Private et programme leader Deloitte’s Technology Fast 50. Au fil des ans, les finalistes font preuve non seulement de leurs formidables atouts et de leur mise en oeuvre d’une stratégie consistante, mais également de leurs activités internationales et de la qualité irréprochable de leurs produits. Les entrepreneurs belges sont à l’avant-plan de l’innovation et jouent un rôle important dans le développement économique de notre pays. ”