La folie végane: enquête sur un business juteux
L’heure de la transition végétale a sonné. Marques et distributeurs l’ont bien compris: le végane, ça fait vendre! Multiplication des références “veggie”, diversification opportuniste, etc. Un vrai business s’est créé autour du véganisme. Bien loin des motivations éthiques des véganes de la première heure.
C’est une véritable vague végétale qui déferle sur notre alimentation. Renforcée par les scandales alimentaires à répétition, la galaxie végane voit se développer autour d’elle un business sans limites.
Vous avez dit végane ? Alors que le végétarien ne mange ni viande ni poisson ; que le végétalien ajoute les oeufs, les produits laitiers et le miel à cette liste ; le végane, lui, refuse tous les produits issus de l’exploitation animale. De l’alimentation aux loisirs, en passant par les cosmétiques, les produits ménagers et les vêtements. Après la folie du bio, cette mode alimentaire envahit nos magasins. C’est que le végane fait vendre ! Un peu plus d’un an après avoir lancé ses recettes ” veggies “, le géant mondial de l’ameublement Ikea a vu les ventes de ses ” cantines ” bondir d’un peu plus de 8 %. Ou quand les boulettes de légumes font des miracles…
Ils sont nombreux à tirer profit de cet engouement pour les produits végétaux. Regardez la kyrielle de livres de cuisine végane. Tous partent comme des petits pains. On assiste par ailleurs à une explosion du nombre d’événements liés de près ou de loin au mode de vie végétalien. Ateliers culinaires, salons, etc. Ils accueillent chaque année un public toujours plus important. L’association BE Vegan organisait ainsi dimanche dernier, à Gand, son troisième Vegan Summer Fest. Un succès ! En octobre prochain, c’est le salon européen VeggieWorld qui fera pour la première fois escale chez nous, à Tour & Taxis. ” Avec ce salon, nous voulons montrer aux personnes qui ne sont pas encore végétariennes ou véganes que c’est tout à fait possible “, explique Melanie Jaecques, de l’association flamande de promotion du végétarisme Eva. Cette dernière a été sélectionnée par l’organisateur allemand Wellfairs afin d’organiser l’événement en Belgique. ” Les organisateurs cherchent des partenaires locaux pour les aider dans la communication et l’élaboration du programme en fonction des spécificités du pays “, précise notre interlocutrice. C’est que le VeggieWorld est une énorme machine. Déjà organisé dans plusieurs pays européens, le salon ouvre ses portes à une grande variété d’exposants. Petits et grands. ” Il est important que les grands groupes investissent dans des gammes véganes, affirme Melanie Jaecques. Car ils ont plus d’influence. ”
Végane version Herta
Si certaines entreprises se sont spécialisées dans l’alimentation végétarienne, d’autres ont décidé d’opérer une diversification pour le moins opportuniste qui a décidément du mal à passer chez les végétaliens. Ainsi, les spécialistes du jambon sous vide Fleury Michon et Herta ont lancé l’année dernière leurs gammes Côté végétal et Le bon végétal. Les distributeurs aussi ont bien saisi l’opportunité économique. En France, la chaîne Monoprix (groupe Casino) a ouvert en juin à Paris trois supermarchés 100 % végane et bio sous la marque Naturalia Vegan. Chez nous, la plupart des enseignes, en plus de vendre des produits végétariens et véganes de grandes marques, disposent de leur propre marque ” veggie “. Carrefour n’a pas développé de marque spécifiquement végétalienne, mais la chaîne française a lancé une gamme végétarienne sous la marque Carrefour. Comptez environ 200 références. Du côté de Delhaize, une quinzaine de produits strictement véganes sont proposés sous marque propre et l’enseigne vient de lancer un raw cake (un gâteau cru, Ndlr) végane. Chez Colruyt, enfin, l’assortiment végétalien est surtout concentré dans les Bio-Planet, la chaîne bio du groupe de Hal. ” L’offre de Colruyt est assez limitée car nous nous concentrons sur les flexitariens plutôt que sur les végétariens purs et durs “, indique-t-on.
Un marché tiré par les flexitariens
D’après une enquête iVOX menée l’année dernière pour le compte de l’association Eva, de plus en plus de Belges font le choix de ne pas manger de viande tous les jours. 7,8 % des Wallons mangent au moins trois repas végétariens par semaine. Un pourcentage qui monte à 16,4 % en Flandre, et même à 19,5 % à Bruxelles. Ce sont ces consommateurs dits ” flexitariens ” que tentent de toucher aujourd’hui les industriels. Avec des produits qui ressemblent à la viande, en imitent parfois le goût, et sont vendus sous des appellations on ne peut plus connotées comme ” steak “, ” escalope “, ” saucisse “, ” nugget ” ou encore ” burger “. ” Le marché de ces produits végétaux est tiré par les flexitariens, confirme Fabrice Derzelle, président de l’association Végétik. Car les consommateurs végétariens et véganes sont minoritaires. ” Et l’homme d’attirer l’attention sur la qualité des steaks et autres burgers végétaux vendus en grande surface. ” Si on regarde les ingrédients de ces produits, ce n’est pas extraordinaire, lance-t-il. Il y a pas mal de sel pour garantir le goût, et de graisse pour l’onctuosité. De plus, les industriels utilisent les ingrédients les moins chers. Les puristes du véganisme sont d’ailleurs contre les produits industriels. En réalité, les véganes n’ont pas besoin d’acheter des produits déjà préparés. Beaucoup les préparent eux-mêmes. ”
“Il est clair que nous avons connu plusieurs crises dans le secteur de la viande, mais lorsque l’on observe la liste des retraits de produits sur le site de l’Afsca, on remarque que les produits végétaux sont très présents”, Michael Gore, administrateur délégué de la Fédération belge de la viande (Febev).
Une étude menée par Test-Achats sur la qualité nutritive des substituts de viande vendus en supermarché leur donne raison. L’organisation de défense des consommateurs a passé au crible 171 étiquettes. Résultat des courses : ” Très décevant… ” A peine 24 des 171 produits analysés se sont révélés être une alternative valable à une portion de viande. ” Ils fournissent assez de protéines sans être ni trop gras, ni trop salés, écrit Test-Achats. La plupart des produits contenant du quorn, mais pas tous, représentent une alternative de qualité. ” En revanche, 21 substituts de viande sur 171 sont tout bonnement à déconseiller car ils n’apportent aucune valeur ajoutée sur le plan nutritif, bien au contraire. ” Ils sont en effet trop gras et trop salés et ne contiennent pas suffisamment de protéines. Globalement, la moitié des produits analysés ont une teneur en sel trop élevée et la moitié sont trop gras. Près de 50 %, enfin, ne renferment pas assez de protéines. ”
“J’ai viré Provamel de mes rayons !”
C’est l’une des raisons pour lesquelles Natacha Legrand ne met plus un orteil dans un supermarché. ” Sauf peut-être pour acheter du papier WC “, ironise- t-elle. A 28 ans, la jeune femme gère le seul magasin d’alimentation et de cosmétiques 100 % végane à Bruxelles. Vegasme – c’est son nom – a ouvert il y a deux ans et demi sur la chaussée de Waterloo. Notre interlocutrice a ainsi décidé de faire du véganisme son business. Mais elle l’assure : ” Si j’avais voulu me faire de l’argent, je n’aurais pas ouvert cette boutique… ” Elle-même végane, elle explique avoir une relation particulière avec sa clientèle et sélectionne chaque produit avec attention. ” Tout ce qui est ici est bio ! ” La gamme végane d’Herta ? Elle ne pourrait jamais la vendre dans son épicerie. ” C’est le fait que l’argent récolté par la vente des produits véganes serve par ailleurs à financer l’activité ‘jambon’, lance celle qui est de toutes les manifs contre l’exploitation animale. Quand Danone a racheté Alpro-Provamel, j’ai viré Provamel de mes rayons ! ”
Dans les rayons, justement, on trouve un peu de tout. Des simili-carnés, du lait végétal, des substituts au fromage, etc. A des prix plus élevés qu’en supermarché. Si la marge faite sur l’alimentaire est d’environ 35 %, elle peut facilement doubler sur les cosmétiques, les vêtements et l’alimentation préparée. ” Nous organisons des buffets pour les entreprises “, précise la gérante. Pour l’instant, impossible pour elle de se rémunérer. Mais notre interlocutrice veut y croire. ” Le côté éthique commence à faire son chemin “, assure-t-elle. Ira- t-elle faire un tour au Salon VeggieWorld en octobre prochain ? Rien n’est moins sûr. ” J’y ai déjà participé comme exposante à Paris. Mais les organisateurs n’ont pas cette volonté de changer les choses. Leur objectif, c’est faire du fric ! ”
Pour Fabrice Derzelle, président de l’association de promotion du végétarisme Végétik, deux évolutions majeures vont venir bouleverser notre alimentation dans les années à venir. Il y a tout d’abord les progrès de l’agriculture cellulaire, qui pourraient permettre de fabriquer en laboratoire de la viande à base de cellules animales produites artificiellement. “La viande synthétique sera intéressante d’un point de vue environnemental, écrit le responsable dans un article publié sur le site de l’association et intitulé Tous végétariens en 2050. Elle nécessitera moins de ressources et elle sera surtout meilleure pour la santé, car la quantité et le type de graisse pourront être contrôlés en laboratoire. De plus, il n’y aura aucun problème au niveau bactérien, car les cultures de cellules musculaires seront effectuées dans un environnement complètement stérile.” La start-up de San Francisco Memphis Meat, à la pointe dans cette technologie, affirme que cette invention va avoir le même impact sur l’industrie de la viande que la voiture sur les producteurs de charrettes et les éleveurs de chevaux. Son objectif est de rendre l’élevage d’animaux “simplement impensable”.
Autre évolution pointée par Fabrice Derzelle : l’arrivée de nouvelles protéines végétales. Oubliez les céréales, le tofu, ou tout autre substitut qui n’a d’ailleurs pas le goût de la viande. Ici, il s’agit de fabriquer des substituts de produits animaux à base de protéines végétales permettant d’atteindre une copie parfaite de la texture, du goût et de l’apparence de la viande. “L’entreprise américaine Beyond Meat semble avoir trouvé la formule du hamburger parfait qu’elle a appelé “The beast” parce qu’il contient autant de protéines que la viande, plus d’antioxydants que les myrtilles ou les brocolis, plus de calcium que le lait, et plus d’oméga-3 que le saumon, écrit le président de Végétik. Il émet moins de gaz à effet de serre et contient des protéines de pois, une légumineuse qui a la particularité de nourrir les sols en azote.”
Dans la même veine, la start-up Impossible Foods, installée dans la Silicon Valley, a mis au point à partir de végétaux un hamburger entièrement identique à son jumeau carné. Disponible dans plus de 20 restaurants américains, ce burger a été créé par la technique du reverse engineering. Des scientifiques ont analysé la viande jusqu’au niveau moléculaire pour identifier les composants responsables du goût, de la texture, de la couleur, etc. Pour chaque élément, ils recherchent un équivalent dans le monde végétal. L’huile de noix de coco remplace la graisse, des protéines de pommes de terre apportent la texture et des protéines de blé apportent la résistance lors de la mastication. Pour transformer ces éléments en viande, l’entreprise utilise de l’hème, un élément constitutif de l’hémoglobine, extrait de racines de soja.”
On l’imagine : les industriels de la viande suivent avec attention la montée en puissance des produits végétaux. Face au discours préconisant une consommation limitée d’aliments carnés, les lobbys de la bidoche s’activent pour préserver leur business. Leur mot d’ordre ? La qualité. “Nous voyons bien qu’il existe aujourd’hui des consommateurs qui s’intéressent aux produits végétaux sans être végétariens, affirme Michael Gore, administrateur délégué de la Fédération belge de la viande (Febev). Ces flexitariens sont des gens bien informés à la recherche d’une consommation durable. Dans un contexte où les consommateurs ne veulent plus forcément la quantité, il faut mettre l’accent sur les qualités nutritionnelles de nos produits.”
Et dénier celles des substituts végétaux à la viande ? “Même si certains parviennent à recréer des substituts ayant les mêmes caractéristiques que la viande, ces produits — pour ressembler un maximum à un produit carné — contiennent pas mal de sel et d’acides gras saturés. Des colorants, des exhausteurs de goût aussi. Je suis persuadé que les personnes qui changent radicalement leur alimentation ont un risque de développer de l’hypertension, etc. Dans un régime équilibré, la viande n’a pas d’équivalent.”
Michael Gore dénonce par ailleurs “un cadre législatif limité en ce qui concerne les substituts à la viande”. “Contrairement à notre industrie qui est très réglementée, il n’existe pas de cadre législatif aussi strict pour les produits végétariens, affirme le responsable. Les fabricants doivent aller chercher des matières premières à travers le globe, ce qui implique des risques associés. Il est clair que nous avons connu plusieurs crises dans le secteur de la viande, mais lorsque l’on observe la liste des retraits de produits sur le site de l’Afsca, on remarque que les produits végétaux sont très présents.”
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