La facture énergétique en Belgique, cette bombe à retardement
Les entreprises débutent l’année dans un grand stress. La reprise est abîmée par la poursuite de la crise sanitaire et l’explosion des coûts. Leurs représentants confient à “Trends-Tendances” leurs angoisses et leurs appels à l’actions concernant leurs factures énergétiques.
La poussée inflationniste s’explique essentiellement par l’explosion des prix du gaz et de l’électricité. “Ces deux postes de dépenses constitueront 3,2 points de l’inflation de ce début d’année”, souligne le Bureau du Plan. “L’industrie européenne ne survivra pas avec des prix de l’énergie aussi élevés”, mettait en garde, sur RTL-TVI, Loïk Le Floch-Prigent, ancien patron Gaz de France. C’est davantage qu’une bombe à retardement: un problème majeur pour l’Europe, tant à court terme qu’à long terme.
“Certaines entreprises ont déjà fermé des lignes de production en raison de ces coûts de l’énergie”, souligne Peter Claes, directeur de Febeliec, la fédération qui représente la grande majorité des industries grosses consommatrices d’énergie et de gaz, et de l’Ifiec, son homologue européenne. De gros producteurs d’ammoniaque et d’engrais, en Europe, ont déjà réduit drastiquement leur activité, au même titre que des producteurs de zinc, de non-ferreux ou d’acier. Toutes les entreprises ne communiquent pas à ce sujet. Mais le pire est à venir: comme pour les ménages, les entreprises ont souvent des contrats à prix fixe qui devaient être renouvelés en fin d’année. Nous attendons la reprise avec une certaine angoisse.”
“Avec l’augmentation de la facture d’énergie, des entreprises se demandent si elles vont fermer des lignes en 2022, confirme Olivier de Wasseige. Pour les autres, ce n’est pas mieux. De nombreuses entreprises ont eu une bonne année 2021 mais leurs résultats nets vont être plombés par les coûts de l’énergie. Cela influe aussi sur le coût des composants. L’impact est colossal: cela diminue les capacités d’investissement, cela freine la création d’emplois, cela peut même générer des problèmes de liquidités et forcer à emprunter pour payer l’énergie.”
De tous les facteurs pesant sur la reprise européenne, l’explosion des prix du gaz et de l’électricité est le plus préoccupant. “Contrairement à la crise pétrolière dans les années 1970?1980 qui était mondiale, il s’agit d’une crise locale qui touche exclusivement l’Europe et une partie de l’Asie, explique Peter Claes. Dans le cas de la crise pétrolière, l’impact sur la compétitivité était limité parce que cela touchait toutes les entreprises de la même manière. L’impact sera, cette fois, dramatique pour l’industrie de nos pays, surtout pour ceux qui sont actifs sur le marché international.”
Incertitudes sur le mix énergétique
Le problème majeur, c’est l’explosion du prix du gaz. Or, celle-ci est liée aux tensions géopolitiques avec la Russie. “Pour le président russe Vladimir Poutine, le gaz est devenu un instrument politique afin de priver l’Ukraine de gaz et forcer l’ouverture du North Stream 2 à travers l’Europe, explique Peter Claes. Que peut-on faire? C’est difficile à dire. Le monde politique doit apaiser ces tensions et élargir nos sources d’approvisionnement. Ceci dit, on peut agir en travaillant sur les tarifs et en réduisant temporairement ou définitivement les surcoûts pour le gaz ou l’électricité. C’est une décision que le monde politique belge peut prendre. On pourrait réduire aussi temporairement les tarifs de transmission ou de diffusion: Fluxys et Elia ont des surplus qui pourraient être utilisés à la demande du gouvernement fédéral. Un dernier élément, c’est l’impact du coût du CO2 au niveau de l’électricité: on pourrait agir au niveau européen pour rééquilibrer ce marché.”
“Cette fracture énergétique intervient alors que nous sommes, qui plus est, en pleine transition de modèle, analyse Caroline Cleppert (UCM). Cela fait plus de 30 ans que l’on devait en parler mais, soudainement, on estime qu’il faut accélérer le pas. Pour l’instant, il n’y a pas de débat apaisé et éclairé sur cette question alors que c’est crucial. Pour nos indépendants et PME, le fait d’accepter de changer de cap, c’est une inquiétude, d’autant qu’il n’y a pas de vision claire. La transition d’une activité, au-delà de la conviction du fait qu’il faut changer le modèle, cela représente des investissements importants avec un horizon de rentabilité très différent qui nécessite une intervention publique. Passer d’une énergie fossile stockée à une énergie en flux, ce n’est pas rien. Tout cela dans un climat de défiance.”
L’incertitude sur le futur mix énergétique du pays, la non- décision sur la fermeture totale du nucléaire et les tensions politiques ne contribuent pas à la sérénité. “Trois choses sont fondamentales aux yeux de nos membres, souligne Luc Sterckx, président de la Febeliec et ancien patron de Luminus. Premièrement, nous souhaitons avoir enfin des prix compétitifs. Année après année, les études Deloitte que nous commandons montrent que les prix en Belgique dépassent nettement ceux des pays voisins. L’introduction de la norme énergétique dans la loi est un pas en avant, mais nous attendons de savoir comment cela va se concrétiser. Deuxièmement, les investissements de nos entreprises – dans la chimie, la pétrochimie ou la pharmacie – se font à long terme. Cela nécessite de la prévisibilité, que nous n’avons pas. Enfin, nous avons aussi besoin d’une stabilité des prix, ce qui nécessite de ne pas être trop juste en matière d’approvisionnement. Or, le risque est réel.”
La transition énergétique, confie-t-il, est “une révolution pour nos industries chimiques et pétrochimiques”. “Le projet est très ambitieux, d’accord, mais on se demande toujours comment on pourra le concrétiser, ajoute Luc Sterckx. Tout le monde y travaille. L’enjeu est vital pour rester compétitif vis-à-vis de la Chine et des Etats-Unis. Aujourd’hui, les prix du gaz vont d’un rapport d’1 à 10 entre l’Europe et les Etats-Unis: si cela perdure, ce sera une catastrophe.”
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