La belle histoire entrepreneuriale wallonne de Tradyglass

Frédéric 
Willems entouré de sa famille : ­Margaux, Gauthier, Hubert et Gilles. "On a grandi à 
partir de rien. " Copyright photo: Hatim Kaghat
Olivier Mouton

Son patron, Frédéric Willems, perpétue avec sa famille une tradition du verre décoratif en Wallonie. A Soignies, un nouveau site de production démontre que la Région peut être compétitive dans un contexte de mondialisation.

C’est une belle histoire entrepreneuriale wallonne, sans que le terme soit galvaudé. A Soignies, l’entreprise Tradyglass fêtera ses 15 ans en inaugurant, le 11 avril, un nouveau site d’exploitation ultra-moderne. Cet investissement de 12 millions et demi d’euros témoigne d’un projet industriel ambitieux qui rivalise avec les meilleurs Européens et domine les Chinois en matière de compétitivité.

“Nous démontrons que tout ne va pas mal en Wallonie”, sourit son fondateur, Frédéric Willems. Qui ne cache pas son émotion à l’idée de voir sa famille perpétuer ­l’aventure.

Tradyglass, c’est une entreprise issue d’une industrie verrière autrefois prospère en Wallonie. Ses 40 employés réalisent des décorations de verres et de bouteilles, pour la plupart à destination des brasseries artisanales belges, de Chimay à Orval en passant par Moortgat-Duvel. Leur savoir-faire s’exporte, aussi, notamment en France où les ­Hospices de Beaune, notamment, profitent de cet artisanat d’excellence. Le nouveau vecteur de développement, ce sont les verres en plastique dur, recyclables, qui font la fierté de son patron. “Le monde est à notre portée”, sourit-il.

Dans l’entrepôt de stockage, ce sont quatre millions de verres et de bouteilles environ qui attendent d’être acheminés vers leurs lieux de dégustation. Le nouveau site est déjà bien occupé, et la prochaine extension est pratiquement programmée. Pour autant, Frédéric Willems fait preuve d’une humilité extraordinaire. Son moteur, ce sont ses enfants et beaux-enfants, Margaux, Gauthier, Gilles et Hubert, tous actifs avec lui. Ainsi que la passion pour un travail parfait et les créations originales.

Une démission comme point de départ

L’histoire de Tradyglass trouve ses racines dans la volonté de son fondateur de travailler pour des projets industriels avec des fonds financiers belges. “J’ai commencé ma carrière chez CBR, dans le monde du ciment, raconte-t-il. Quand je me suis rendu compte que je n’avais pas un profil d’ingénieur, je me suis orienté vers un métier davantage tourné vers le marketing au sein de Durobor.” C’était en 1995 et l’amour du verre l’étreint rapidement. En 1999, il devient directeur marketing de l’entreprise et siège au comité de direction.

copyright: Hatim Kaghat

Frédéric Willems déploie également des talents de créateur. Le verre Stella Artois devenu un symbole dans le monde entier, “c’est un de mes bébés”, sourit-il. Parmi d’autres. “J’ai une formation de philologue germanique et j’ai effectué des études de sciences commerciales, explique-t-il. J’ai un esprit ambivalent, je peux être rigoureux avec les chiffres tout en aimant la création.” Cinq millions de verres Stella Artois seront vendus les trois premières années. En 2002, le contrat revient, mais Durobor est alors en PRJ et le directeur de l’époque laisse entendre que ce marché, “il s’en fout”.

“Je suis quelqu’un de principe, j’ai pris une feuille de papier blanche sur son bureau et je lui ai donné ma démission, raconte-t-il. J’ai téléphoné à mon épouse pour lui annoncer que je n’avais plus de job, plus de voiture et, tout de suite après, plus de téléphone non plus.” Il ne sait pas alors de quoi son avenir sera fait et, la larme à l’œil, loue le soutien de sa femme. Deux jours plus tard, le patron de la brasserie d’Orval le contacte pour lui signifier son regret de le voir quitter le métier du verre. Mot pour mot, celui-ci lui confie: “Si vous créez une structure, vous aurez notre total soutien”. Orval étant considérée comme la reine des bières, le tapis rouge est déroulé.

Frédéric Willems n’hésite pas, tant il apprécie ce “monde du verre, à la fois industriel et créatif”. Il dessine plusieurs verres pour Orval et la brasserie lui donne du travail, le temps de se relancer. “Après plusieurs tentatives, j’ai dû renoncer à reprendre Durobor, pour lequel j’avais rédigé un plan industriel, faute d’argent et sans même avoir été écouté par les responsables de la Sogepa”, regrette-t-il en parlant d’un “gâchis sans nom, tant les compétences y étaient importantes”. L’entreprise a en effet cessé son activité en 2019. “J’ai donc suivi mon petit bonhomme de chemin”, complète-t-il.

Dans un premier temps, il prend une participation dans une entreprise du nord du pays, puis reprend un décorateur de ­Soignies et fonde Tradyglass en 2009. En marge de cela, il travaille également dans l’horeca, à la fois parce qu’il ne sait pas rester sur place, mais aussi pour financer son rêve. Car à la tête de son “bébé”, Frédéric Willems sait où il veut aller et porte son projet jusqu’à en faire un beau succès. “On a grandi à partir de rien.” Une satisfaction d’autant plus grande qu’il a pu assurer l’avenir avec l’appui des générations ­suivantes.

Un écosystème belge

Dans les 10.000 mètres carrés de son nouveau site, dont le toit est recouvert de panneaux photovoltaïques, le patron savoure le succès de sa prise de risque et cajole les verres décorés de Chouffe, de Duvel ou de Chimay. Celui qui se nomme “chief problems solver” (CPS) couve du regard les différentes machines aux technologies diverses, dont une digitale flambant neuve: “c’est la Rolls-Royce, avec un processus de fabrication beaucoup plus propre que l’émail traditionnel et moins énergivore”. “12,5 millions d’euros pour ce nouveau bâtiment, c’est beaucoup d’argent à mon niveau, dit-il. Nous avons mis un apport propre de 6 millions et nous sommes soutenus par l’Invest Mons-Borinage-­Centre (IMBC), qui m’a permis d’avoir l’appui de la CBC depuis le début.”

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Au fil des années, Tradyglass a construit un écosystème de producteurs fiables, avec lesquels la société défie les aléas de la mondialisation sauvage. “J’ai pris l’option de ne pas travailler pour des géants comme AB InBev ou Heineken, prolonge-t-il dans le brouhaha de la production. Ils me proposaient des contrats massifs, mais du jour au lendemain, ils auraient pu nous laisser tomber. Je préfère travailler avec des petits producteurs avec lesquels nous nouons une relation de confiance.”

La révolution plastique

Tradyglass a su également se renouveler pour s’adapter dans un contexte de contraintes environnementales. Le projet a connu un coup d’accélérateur voici six ans. “J’ai développé une activité de production de verres en plastique réutilisables, à l’identique des verres en verre, explique-t-il. La réputation des bières spéciales belges rayonne dans le monde, dans la foulée du géant AB InBev. L’événementiel devient une part très importante de leurs activités, au-delà de l’horeca, et elles doivent suivre le mouvement. Mais vous n’avez pas envie de boire une Duvel ou une trappiste dans un gobelet mal nettoyé…”

“Avec mon beau-fils, nous avons développé un process unique au monde, précise-t-il. Nous sommes deux fois moins chers que les Chinois – cela vaut la peine d’être souligné… – et beaucoup plus qualitatif. Nous utilisons un plastique noble, qui ne contient pas de bisphénol A, réutilisable et lavable à l’infini. La production de ce plastique est aussi moins polluante que celle du verre.” Moortgat-Duvel a immédiatement suivi, le contrat a été repris à une société de Taiwan, puis la bière Chouffe a intégré, elle aussi, la révolution. “Il ne s’agit pas de remplacer le verre, mais cela vient en complément dans des moments de consommation adaptés, publics ou privés d’ailleurs. En outre, dans notre société de plus en plus violente, le plastique est moins dangereux que le verre, aussi, c’est important.”

Au fil des années, Tradyglass a construit un écosystème de producteurs fiables, avec lesquels la société défie les aléas de la mondialisation sauvage.

Les demandes affluent désormais de toute l’Europe pour ses verres en plastique. “L’interdiction des gobelets en polystyrène à un seul usage a ouvert un énorme marché, constate-t-il. Durant la période du covid, nous avons eu le temps de développer les moules. Le déménagement est fait. Nous sommes prêts. Comme nous sommes très compétitifs, le monde est à nous.” Les festivals du monde entier peuvent désormais commander des verres réutilisables à leur griffe.

Plus créatifs que les Chinois

Question naïve: comment fait-on pour être… moins chers que les Chinois, alors que le coût du travail ou de l’énergie est plus élevé chez nous? “Je vais vous montrer la décomposition d’un verre et vous aller très vite comprendre”, sourit Frédéric Willems, malicieux. Le verre en plastique de Tradyglass est produit d’un seul tenant, avec un moule initial, grâce à une machine très complexe entièrement automatique. Seul un contrôle qualité est nécessaire. “En Chine, quatre étapes sont nécessaires, précise-t-il. Ils injectent les différentes parties du verre – le bol, la jambe, le pied – sur plusieurs lignes de production, avant de coller le tout, puis de le souffler sur une lampe infrarouge. Tout cela demande de la main-d’œuvre, même si elle coûte moins cher que chez nous.”

“Nous sommes aussi très forts en champagne. La diversification, c’est vital.”

“Si vous ajoutez à cela le coût du transport par containeur depuis l’Asie, qui a explosé depuis la crise du covid, vous aurez compris notre avantage”, ajoute le patron. A l’heure où l’on parle dans toutes les langues européennes d’une nécessité de réindustrialiser, voilà la démonstration wallonne que c’est possible. “Et votre expérience de dégustation est qualitative, identique au verre en verre, sourit-il. Vous vous rendez compte que je suis quelqu’un de passionné, sinon on ne fait pas cela en Belgique. Ou alors on est tout à fait fou – peut-être le suis-je un peu aussi… Mais nous avons une longueur d’avance en jouant avec les dernières technologies et l’automatisation.”

A Soignies, ­Tradyglass réalise des décorations de verres et de ­bouteilles, pour la plupart à destination des brasseries artisanales belges. Copyright: Hatim Kaghat

Frédéric Willems insiste: cela permet aussi de garantir au personnel un confort de travail réel. D’ailleurs, le nouveau site de production aux plafonds relevés permet de diminuer la chaleur étouffante qui prévalait dans les anciens locaux. L’atmosphère au sein de l’entreprise familiale y est d’ailleurs à la hauteur de cette success story: dans les bureaux, les portes sont ouvertes et Margaux Willems, la fille qui reprend le département “verre”, multiplie les bonnes nouvelles sous forme de commandes confirmées. “Elle ne lâche littéralement rien”, s’amuse son père.

“Il faut assumer”

Aujourd’hui, Frédéric Willems ne regrette en rien la lettre de démission signée impulsivement voici 22 ans. “La vie professionnelle est un processus dynamique, confie-t-il. Je n’ai jamais regretté aucune décision que j’ai prise, mais il faut assumer. J’ai eu la chance d’avoir une épouse extraordinaire qui m’a suivi dans ma folie. Si vous n’avez pas cela, vous arrêtez. Ma fille a suivi des études d’ingénieur de gestion à l’UCLouvain, elle a fait son stage chez Spadel où elle a été engagée, avant de prolonger son expérience dans l’horeca. Il y a cinq ans, elle m’a demandé s’il n’était pas temps de rejoindre le groupe. Pour un papa, c’est le plus beau cadeau qui soit.”

Faute de cela, reconnaît-il, “j’aurais dû me convaincre que la seule solution était de vendre l’entreprise”. Le “chief problems solver” n’a pas de mots assez forts pour vanter la vertu du modèle familial. Puis, il se tourne vers les étalages de verres et de bouteilles qui trônent dans le show-room de Tradyglass. “Regardez ce dessin, c’est du jamais vu. Nous sommes bien vus dans un mode ultra-­compétitif et violent. La baisse de la consommation des bières est réelle. L’arrogance de la grande distribution pour ne pas perdre des parts de marché est importante. Mais nous nous renouvelons sans cesse.”

Au milieu des verres à bière, on trouve également le Belgian Spritz du Domaine d’Eole ou des flûtes pour les crémants de Bourgogne. “Nous sommes aussi très forts en champagne. La diversification, c’est vital. Et ma fille fait un travail extraordinaire parce qu’elle ­développe tout ce que l’on n’avait pas développé.” Dans les yeux d’un père, il y a des écumes de plaisir. Et un avenir plein de ­promesses.

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