La Belgique, un marché nain…mais courtisé

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Burger King, Gap, Top Shop, Sephora ou Uniqlo: le Belge pourrait avoir l’impression que les enseignes internationales boudent son petit pays. Faux. Bardé de défauts, notre marché n’en reste pas moins attractif. Sans être incontournable. Voici pourquoi.

C’est un petit peu notre monstre du Loch Ness à nous, en version commerciale. Depuis des années, la rumeur n’a de cesse de renaître de ses cendres. Sans que l’on ne voie jamais rien venir de concret. Les amateurs d’hamburgers se pourlèchent les babines: Burger King débarque en Belgique! Puis ils sont bien obligés de déchanter, ou de sortir de nos frontières pour s’enfiler le Triple Whopper dont ils rêvaient. Alors,pour faire venir le roi du burger, il s’adonnent au lobbying sur les réseaux sociaux. Le groupe “We want Burger King in Belgium!” comptabilise plus de 46.800 likes sur Facebook. Les estomacs belges ne sont pas les seuls à nourrir une certaine frustration. Parlez-en aux amateurs de nippes. Pourquoi faut-il aller se balader outre-Quiévrain ou passer sous la Manche pour enfiler un jeans Gap? Pourquoi encore le branché britannique Top Shop ou le Japonais Uniqlo boudent-ils la Belgique? Rayon cosmétiques, ces dames verraient également d’un bon oeil la venue de Sephora. Alors quoi, elle ne leur plaît pas, la Belgique, aux enseignes internationales? Du tout. La Belgique se porte bien, merci pour elle. Elle se classe même en 15e position du “top 20” établi par CBRE.

Chaque année, le courtier immobilier passe en revue la présence des plus importantes enseignes internationales (326 retailers dans le cru 2012) et ce dans 73 pays. Le Royaume-Uni parade en tête, avec 56,7% de retailers présents sur son territoire. Bien sûr, Espagne, France, Allemagne et Italie, avec des scores variant entre 42,9 et 47,5%, font mieux que la petite Belgique. Mais celle-ci s’en sort plus qu’honorablement avec 37,4%. Au petit jeu des villes, seules Bruxelles et Anvers comptent sur la scène internationale, respectivement à la 40e et 51e place d’un classement qui en compte 208. Boris van Haare Heijmeijer, partner et head of retail services pour l’Europe au sein du courtier Cushman & Wakefield, va plus loin: la distribution nationale n’est plus du tout majoritaire le long de nos grands axes commerciaux. “Ces derniers sont phagocytés par les chaînes étrangères. Prenez la rue Neuve à Bruxelles, Cassis est peut-être bien la seule enseigne de prêt-à porter belge qui subsiste.”

A la croisée des cultures

Le marché belge n’est donc pas boudé. Pour s’en convaincre, il suffit de se pencher sur ces dernières années, qui ont vu fleurir quantité de nouvelles boutiques, jusque-là absentes de nos contrées. Enseignes américaines en tête. Dès 2008, le café Starbucks a effectué chez nous ses premiers pas ; côté cintres, on a vu s’ins taller Abercrombie & Fitch, Forever 21, Hollister, ou encore Urban Out fitters. D’insistantes rumeurs domicilient par ailleurs le géant informatique Apple sur l’avenue de la Toison d’Or, à Bruxelles. Les anglaises (Superdry), espagnoles (Desigual, Pull & Bear) ou irlandaises (Primark) n’ont pas été en reste.

C’est que, pour nombre de marques, la Belgique constitue un marché test. “A la croisée des cultures romane et germanique, commente Boris van Haare Heijmeijer, qui affichent des visions différentes de la distribution. Une enseigne française performera mieux à Bruxelles et en Wallonie, à l’inverse d’un distributeur néerlandais, qui se portera mieux en Flandre. On l’entend sans cesse: un retailer néerlandais qui débarque dans la partie francophone du pays devra s’adapter. C’est vrai pour tous, sauf peut-être pour les champions hors catégorie, comme H&M ou Zara, dont la gamme de produits est tellement large qu’ils peuvent facilement opérer des arbitrages sur leur offre.” Prenez WE, fruit de la fusion néerlandaise des lignes pour lui, Hij, et pour elle, Zij, afin de donner “nous”, là où un francophone songera plus à la fin de la semaine. Son succès en Flandre est identique à celui que la marque rencontre aux Pays-Bas, tandis que le marché wallon se montre plus rétif. L’inverse est tout aussi vrai: des chaînes françaises comme Camaïeu, Celio ou Promod sont plus fortes au sud du pays qu’au nord. “Une enseigne néerlandaise, avant d’attaquer la France, testera la culture dans trois ou quatre villes francophones en Belgique, nécessitant une logistique plus simple et locale avant d’attaquer un marché nettement plus grand”, poursuit Boris van Haare Heijmeijer. Zeeman en est le parfait exemple: issue des Pays-Bas, installée avec succès en Flandre, l’enseigne bon marché s’en est partie attaquer la France, réconfortée par le carton rencontré en Wallonie. Un constat qui ne vaut pas que pour nos voisins directs, insiste-t-on chez Cushman & Wakefield. Anglais ou Espagnols considèrent aussi la Belgique comme un test. Venue d’outre-Manche il y a cinq ans, New Look a d’abord fait escale en Belgique avant d’aller se frotter aux marchés français et néerlandais. Confirmation de Grégoire Du pont, partner du Bureau Gérard, cour tier spécialisé dans l’immobilier commercial. “Le groupe Inditex, qui regroupe des marquescomme Zara, Massimo Dutti, Bershka ou Pull & Bear, a vraiment considéré la Belgique comme une étape test dans son développement.”

Un marché riquiqui

Il ne faudrait pas croire pour autant que ce statut particulier pousse toutes les marques à manger dans la (petite) main du marché belge. Car des marchés test, il en existe d’autres. “Les groupes américains considèrent la Grande-Bretagne comme une porte d’entrée sur l’Europe, avance Grégoire Dupont. Les Allemands, eux, privilégient souvent la Suisse pour leurs essais.” Surtout, la Belgique est bardée d’une série de handicaps qui peuvent s’avérer rédhibitoires. “Notre pays fait figure de test mais sa complexité fait peur, avertit François Honoré, directeur du bureau d’études en géomarketing GeoConsulting. Sa taille ne plaide pas non plus en sa faveur. Un groupe présent en France ou en Allemagne ne viendra peut-être pas en Belgique pour y gagner des clopinettes, amputées de surcroît par une fiscalité lourde.” Penchons-nous surle cas d’H&M, qui occupe chez nous l’enviable place de n°2 dans le secteur textile : en 2011, la Belgique ne pesait toutefois qu’un peu moins de 2,5% de ses ventes. De quoi certainement calmer les ardeurs de tout qui voudrait qualifier notre pays d’incontournable. “Lorsque l’on teste un marché, reprend François Honoré, cela n’est pas vraiment dans un souci de rentabilité: on s’essaye à l’Europe via la Belgique. Par contre, pour une enseigne déjà installée sur le Vieux Continent, la Belgique ne figure pas au rang des priorités.” En clair : pour les géants de la distribution, la Belgique n’est pas très “excitante”. En filigrane, c’est tout le mode de développement des enseignes qui a évolué ces dernières années. “Chaque marque a sa propre histoire, recadre Boris van Haare Heijmeijer. Il n’empêche, historiquement, la plupart déployaient leur réseau de vente selon la politique de la tache d’huile: on débute ici et puis l’on s’étend de manière géographique. C’est de moins en moins le cas. Les investissements sont alloués actuellement en fonction de la rentabilité individuelle des magasins; le retour sur investissement est devenu le critère premier. Le Monopoly n’est plus local, il est devenu planétaire.” Affaiblissant d’autant l’attraction de la Belgique.

Une bonne dose d’opportunisme

Et puis, il est possible par fois de ne pas discerner de logique apparente dans les choix posés par un retailer. Prenez Primark, l’un des maîtres des vêtements low cost et malgré tout à la mode. Ses premiers pas en Belgique, datant de 2009, ont été liégeois, profitant de l’ouverture de la Médiacité. Un succès, puisque la marque s’agrandit à Liège et parle d’une ouverture à Gand pour 2013. A Bruxelles, par contre, toujours rien en vue. Un choix délibéré? Non: une simple question d’opportunité. “Souvent aussi, c’est l’opportunité qui provoque une décision, ajoute Boris van Haare Heijmeijer. Primark a opté pour Liège simplement parce qu’elle y a trouvé la superficie qu’elle recherchait. Idem pour Urban Outfitters qui entendait s’implanter en Belgique. L’enseigne cible une série de villes où elle désire s’implanter et fonce dès qu’elle trouve chaussure à son pied. Dans ce cas-ci, cela a été Anvers; Bruxelles a suivi.” Même combat pour Forever 21, qui patientait depuis un an aux frontières belges, avant de dénicher 4.000 m2 à Anvers et 3.000 m2 à Bruxelles. Un scénario opportuniste qui se répète dans l’histoire du commerce. Et qui a mené notamment au débarquement de Promod en Belgique à la fin des années 1980, se souvient le partner de Cushman & Wakefield. Il était une fois la chaîne Eddy & Alban, comptant une quinzaine de magasins, tous situés à des emplacements hautement stratégiques. Tellement stratégiques qu’après analyse, leur potentiel locatif s’est avéré supérieur au chiffre d’affaires que la société tirait de leur exploitation. Deux mois plus tard, la chaîne française reprenait la totalité des magasins, s’offrant en un coup une visibilité en Belgique. Même entrée en force pour Celio, quelques années plus tard, en faisant main basse sur les 36 implantations d’une chaîne belge dont les essais d’expansion internationale ne s’étaient pas montrés fructueux.

Attention aux héros locaux!

Une opportunité, pour le même prix, cela peut aussi ne pas se trouver. Faute d’offre immobilière suffisante. Les enseignes renonçant au pays, cela existe, surtout si cette contrée ne figure pas au sommet de leurs priorités. Uniqlo, par exemple, aurait manifesté de l’intérêt pour notre pays. Sans succès. “En termes
d’emplacements, ils étaient assez exigeants, rapporte Grégoire Dupont. Leur arrivée avait du sens: via Comptoir des Cotonniers, le groupe connaît déjà le marché belge. Même chose pour Abercrombie: s’ils ont mis si longtemps pour débarquer à Bruxelles, c’est qu’il leur en a fallu, du temps, avant de voir leurs conditions remplies. Certaines enseignes sont prêtes à faire des concessions et à adapter légèrement leur concept. Comme H&M, qui, ne trouvant pas d’espace suffisamment vaste sur la rue Neuve, a décidé d’ouvrir jusqu’à quatre boutiques dans l’artère. D’autres, par contre, ne cèdent sur rien. Comme Hollister, qui privilégie les centres commerciaux tout en exigeant d’avoir pas moins de 16 mètres de façade!” Difficulté encore, et de taille. Toute étriquée qu’elle soit, la Belgique peut se montrer coriace. Et fidèle à ses “héros locaux”, qui cadenassent certains marchés. La parfumerie et les cosmétiques, par exemple.

Comment expliquer l’absence du français Sephora et du géant allemand Douglas? C’est qu’à elles deux, Ici Paris XL et Planet Parfum se partagent le gâteau belge, ne laissant que des miettes à un potentiel challenger. Autre horizon bouché: la junk food. Pensez donc: la Belgique est le seul pays au monde où le hamburger “local” — même si Quick n’est plus vraiment belge — tient la dragée haute à l’incontournable McDonald’s. “Du coup, des Burger King ou KFC ne sont évidemment pas très intéressés par la Belgique, si c’est pour y jouer le troisième violon”, résume-t-on chez Cushman & Wakefield. Wendy’s a bien tenté l’aventure, mais pour se retirer. “Cela se remarque aussi dans la grande distribution”, relève François Honoré. Point d’Auchan, de Leclercq ou de Monoprix dans nos rues. “Le néerlandais Albert Heijn effectue ses premiers pas chez nous; on verra ce que cela donne. Les difficultés rencontrées par Carrefour sont éclairantes. Ils ont débarqué en se prenant pour les rois de la distribution, avec un discours du genre ‘On va vous montrer comment on fait’. En négligeant totalement les local heroes que sont Colruyt et Delhaize. Avec le résultat que l’on sait.”

Au final, même si la Belgique est bien représentée sur la carte commerciale mondiale, les courtiers immobiliers ont encore du pain sur la planche. Des noms à attirer, il en existe encore une longue liste. Des flagships stores notamment, ces vaisseaux-amiraux du commerce. “Je pense à Apple, Samsung, Sony, Nike ou encore Adidas, rêve tout haut Boris van Haare Heijmeijer. La Belgique manque également de department stores qui viendraient concurrencer l’Inno, comme les Galeries Lafayette ou Debenhams.” Tout en sachant que certaines portes seront diffi ciles à ouvrir. Certes, Abercrombie & Fitch n’a pas pour habitude de multiplier ses im plantations au sein d’un même mar ché. Surtout, l’enseigne se débat avec une solide chute combinée de son bénéfice et de son cours de Bourse, gelant ses ouvertures à
l’étranger et fermant les boutiques à la maison — autant ne pas s’attendre à une nouvelle inauguration en Belgique, donc. Gap souffre également de la concurrence. Tout comme Top Shop, malmenée par la crise et qui ferme à tour de bras en
Grande-Bretagne. Il n’est certainement pas mal loti, le Belge, mais il n’a pas fini d’aller fureter outre-Quiévrain ou de l’autre côté du Channel.

Benoit Mathieu

Les atouts de la Belgique

1. Un marché-test. La Belgique constitue une porte d’entrée sur l’Europe. Une sorte de mini-laboratoire à la croisée des cultures germanique et latine.

2. Un portefeuille bien garni. “Les Belges peuvent se targuer de disposer d’un pouvoir d’achat élevé, qui les place dans le peloton de tête européen, derrière le Luxembourg”, souligne Boris van Haare Heijmeijer.

3.Une belle stabilité. Le marché belge se caractérise par une impressionnante stabilité. “Quand cela va mal partout en Europe, détaille-t-on chez Cushman & Wakefield, le business est moins mauvais en Belgique qu’ailleurs. Forcément, l’inverse est également vrai. Quand tout le monde crie ‘alléluia’, cela ne sera pas aussi euphorique chez nous. Que ce soit en France, en Grande-Bretagne ou aux Pays-Bas, le marché peut enregistrer de sévères chutes pour connaître, six mois plus tard, une période de boom. La Belgique, elle, donne toujours l’impression
de passer entre les gouttes, ce qui en fait un placement très sûr.”

Les handicaps de la Belgique

1. Un marché multilingue. C’est le revers de la médaille multiculturelle. Plusieurs langues, voilà qui pèse côté logistique. Cela rime avec étiquettes bilingues, voire trilingues. Idem pour le marketing. Et cela a un coût !

2. Un casse-tête administratif. Parlez à un immobilier de l’administration à la belge, il soupirera instantanément. Permis d’urbanisme ou socio- économique, les délais sont parfois “ahurissants”. De quoi faire perdre patience aux investisseurs. Surtout que d’une région à l’autre, la législation en vigueur change.

3. Une fiscalité pas des plus légères. Taux de TVA et charges
sur le personnel ne poussent pas à se ruer sur la Belgique et tirent les marges des distributeurs vers le bas.

4. Des “héros locaux” difficiles à détrôner. Quelques secteurs sont cadenassés par des acteurs locaux extrêmement bien implantés, laissant peu de place pour de nouveaux arrivants.

5. Un marché limité. C’est un fait, la Belgique est petite et le nombre d’agglomérations dépassant les 100.000 habitants, limité.

6. Prestige, quel prestige ? “Même à l’échelon européen, la Belgique constitue un marché secondaire sans prestige, tranche Grégoire Dupont (Bureau Gérard). Sur un sac, on inscrit Londres, Paris, Milan ou New York. Pas Bruxelles, ni Anvers. La Belgique ne peut pas compter sur des ouvertures pour le prestige.”

7. Plutôt sédentaire, le Belge. Le Belge n’est pas enclin à avaler
des kilomètres afin d’aller lécher les vitrines. Ce qui oblige les distributeurs à multiplier les points de vente.

8. Peu d’épaules solides. “Les enseignes travaillant avec des franchises doivent trouver le bon partenaire local au bon moment, glisse Grégoire Dupont. En Belgique, peu de personnes présentent les capacités nécessaires, comme celles qu’a dû déployer Johan Vandendriessche, qui est allé frapper à la porte d’Inditex afin d’introduire Massimo Dutti au Benelux.”

9. Une offre immobilière insuffisante. C’est la principale épine dans le pied du marché belge. “L’immobilier commercial est relativement cher, indique Boris van Haare Heijmeijer. Surtout, il y a peu d’offre.” Les artères commerçantes où peuvent atterrir les grosses locomotives ne sont pas légion — pour caricaturer un brin, il y a la rue Neuve à Bruxelles et le Meir à Anvers, et c’est à peu près tout. Et les places sont extrêmement limitées, a fortiori pour les enseignes gourmandes en superficie. N’allez pas croire que la situation est meilleure du côté des shopping centers. “La Belgique compte très peu de centres commerciaux”, regrette Luc Plasman, administrateur délégué de la sicafi spécialisée Wereldhave Belgium. Cushman & Wakefield s’est penché sur la question, analysant le nombre de mètres carrés de shopping disponibles par tête de pipe dans 34 pays européens. La Belgique figure parmi les derniers de classe, entre la Roumanie et la Russie. Et les perspectives de développement ne sont pas meilleures.

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