La bataille des vélos partagés à Bruxelles: JCDecaux électrisé

Jérôme Blanchevoye, en charge du service Villo chez JC Decaux Belgium. Pour obtenir l'assistance électrique, l'utilisateur du service e-Villo loue une batterie qu'il prend avec lui, et qu'il recharge. © PG

La société française gère le service de cyclopartage Villo pour le compte de la Région bruxelloise. Elle a fini par lancer des vélos électrifiés, les e-Villo, pour répondre à la vive concurrence des start-up comme Jump ou Billy Bike. En espérant raviver une demande en recul.

Les vélos partagés de JCDecaux, à Bruxelles, les Villo, avaient pris un coup de vieux avec le déferlement des vélos et trottinettes partagés électrifiés ces deux dernières années. Les vélos jaunes ont été modernisés en décembre avec l’arrivée de vélos à assistance électrique, les e-Villo.

Le service Villo, lancé en 2009, compte désormais 1.800 e-Villo, dotés d’un moteur électrique dans la roue avant, sur un parc total de 5.000 bicyclettes. Ces vélos améliorés pèsent le même poids que ceux sans assistance. L’approche est particulière : pour obtenir l’assistance électrique, l’utilisateur loue une batterie qu’il prend avec lui, et qu’il recharge.

La formule réduit les investissements et permet de limiter le coût du service électrifié, qui se résume à la location d’une batterie (4,15 euros par mois). Les utilisateurs peuvent aussi utiliser ces vélos sans assistance électrique.

La bataille des vélos partagés à Bruxelles: JCDecaux électrisé

En route depuis 2009

L’électrification optionnelle devrait améliorer le service Villo, qui en avait bien besoin. La mobilité partagée a beaucoup changé ces dernières années. Elle avait démarré de manière institutionnelle avec l’attribution par la Région de Bruxelles-Capitale d’une concession de service public à JC Decaux pour Villo. Le dispositif est basé sur des stations (360) où les vélos sont arrimés à des bornettes, comme cela se fait dans beaucoup de villes. Le cycliste se déplace ainsi d’une station à l’autre. Ces trois dernières années, Villo a été concurrencé par des start-up qui ont développé des services basés sur des applis, proposant vélos et trottinettes partagés en flotte libre ( free float). Finie la contrainte des stations, les engins sont localisés et loués avec un smartphone, et laissés sur la voie publique après usage.

L’un des objectifs de l’électrification est d’augmenter le taux d’utilisation des vélos.

Certes, la formule a rapidement généré des nuisances, avec le stationnement parfois anarchique des vélos ou des trottinettes, que la Région souhaite voir déposés dans des drop zones. Certains acteurs sont partis comme ils étaient venus, comme les vélos Obike et Gobee.

Jump et Billy Bike contre Villo

Malgré ces inconvénients, le free float est resté attractif pour le public. En particulier pour les engins électrifiés, plus aptes à grimper les rues en pente de la capitale. Villo s’est partiellement adapté, en proposant de localiser les stations et de louer les vélos sur une application, mais il a pris du temps pour proposer une offre électrifiée, laissant le champ libre à la concurrence. Ainsi, Billy Bike, lancé en 2017, et Jump (Uber), depuis avril dernier, proposent plus de 1.000 vélos électrifiés. Sans parler des trottinettes.

” Nous sommes sensiblement impactés par les offres en free float. La première – les vélos – ne nous avait pas trop touché, la seconde – les trottinettes – davantage. Cette dernière vise un public différent, plus occasionnel, souligne Jérôme Blanchevoye, en charge du service Villo chez JCDecaux Belgium. Nous avons fait nos preuves, nous arrivons à déployer un réseau de vélos à grande échelle, avec une bonne stabilité opérationnelle. ”

L’atout du prix

Le recul du service Villo est visible dans les chiffres publiés par Bruxelles Mobilité ( voir le tableau ” Erosion “). En 2018, le nombre de locations est passé de 1,615 à 1,566 million, le nombre d’abonnés a aussi reflué.

Le service de JCDecaux, qui occupe 40 salariés, ne manque pourtant pas d’atouts. Il couvre toute la capitale, ce que ne font pas les concurrents. Il est moins cher. Un trajet de 30 minutes, acheté à l’unité, revient à 1,6 euro, alors que la même durée revient à 5,5 euros avec Jump et à 5,4 euros avec Billy Bike (8,5 euros pour les trottinettes Lime). Même en comptant la location de la batterie, il reste très compétitif pour un utilisateur qui utilise e-Villo au moins deux ou trois fois par mois.

L’attrait de la formule de la batterie à porter soi-même reste à mesurer, car il faut la commander ou aller la chercher dans un pop-up store, installé près du Sablon. N’aurait-il pas été plus simple de proposer des vélos électrifiés à batterie intégrée, rechargeable aux stations ? JCDecaux l’a proposé dans ses négociations avec la Région. ” L’approche avec la batterie intégrée aurait entraîné une augmentation du prix de l’abonnement, précise Jérôme Blanchevoye. Nous voulions laisser le choix à la Région. ”

Une comparaison défavorable

L’un des objectifs de l’électrification est d’augmenter le taux d’utilisation des vélos. Il se situe à un peu moins d’une utilisation par vélo et par jour, ce qui est insuffisant. C’est d’ailleurs la conclusion d’une étude commandée par Bruxelles Mobilité à Transport&Mobility (KULeuven) et Mobiped (Lyon), qui compare le service Villo à d’autres réseaux comparables. Velo, à Anvers (Clear Channel), ou Velo’v, à Lyon (JCDecaux), connaissent des taux de plus de cinq usages par jour et par vélo, c’est-à-dire cinq fois plus que Villo. A Lille, le taux d’utilisation est trois fois plus important. ” A Bruxelles, le taux de rotation est faible car le service est étendu sur tout le territoire de la capitale, c’est la volonté de la Région “, retorque Jérôme Blanchevoye. Les stations couvrent tous les quartiers, y compris ceux qui ne sont guère intéressés par Villo.

La bataille des vélos partagés à Bruxelles: JCDecaux électrisé
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L’étude confirme indirectement cette situation, en calculant que les stations sont moins denses à Bruxelles que dans d’autres villes. Elle estime que ” contrairement à Lyon, Lille et Madrid, Bruxelles ne dispose pas d’incitations contractuelles crédibles dans son contrat ” pour pousser Villo à améliorer la performance. Henry-Jean Gathon, économiste des transports à l’ULiège, estime qu’il ” aurait mieux valu deux appels d’offres distincts, un pour les vélos et un pour la publicité sur la voie publique, car un seul appel d’offres limite fortement la concurrence. Seules les rares firmes actives à la fois dans le vélo et la publicité peuvent y participer “.

L’e-Villo répond partiellement à toutes ces critiques. Sur le terrain, nous avons brièvement eu l’occasion de le comparer avec Jump et Billy Bike. Le système e-Villo est simple à l’usage, mais l’assistance est plus modérée que celle d’un Billy Bike ou d’un Jump. Sans doute est-ce un compromis pour limiter le poids et le coût de la batterie. L’autonomie est limitée (8 à 10 km selon Villo, mais c’est généreux). Elle est optimisée pour un usage moyen de 20 à 30 minutes. Soit plus ou moins l’usage moyen d’un Villo.

Le service Villo électrifié conserve l’avantage compétitif des vélos jaunes, dont l’usage plus ou moins régulier reste meilleur marché que celui des vélos électriques concurrents. C’est la conséquence de son statut de service public. L’usager ne paie qu’un tiers du coût. JC Decaux a obtenu la concession et a lancé le service en 2009, au terme d’un appel d’offres auquel trois opérateurs avaient répondu.

Financé par la publicité

” La Région ne finance pas Villo, mais nous avons la possibilité d’installer des panneaux publicitaires aux stations où sont réunis les vélos “, indique Jérôme Blanchevoye. Le contrat prévoit ainsi une compensation. ” Villo est un service public, nous devons respecter des critères, poursuit le patron. Une fois par an, les comptes sont vérifiés. Nous assumons le risque de l’activité. ”

Chaque changement du service fait l’objet d’une négociation avec la Région. Ainsi, l’électrification imposait une discussion sur des recettes compensatoires. Elle a été échangée contre une source de revenus supplémentaire pour JCDecaux, la digitalisation de certains panneaux d’affichage.

Les autres acteurs de la mobilité partagée comme Billy Bike, Jump ou Lime, vivent uniquement des recettes des utilisateurs. Pour les optimiser, ils limitent leur couverture aux zones les plus porteuses, le centre-ville et l’est de la capitale, et sont quasi absents à l’ouest du canal (Anderlecht, Molenbeek, Jette, Ganshoren, etc.).

La Région bruxelloise, ravie de voir l’offre de mobilité augmenter, les a laissés s’installer. Et a fini par réglementer l’activité pour en réguler l’offre et en limiter les nuisances. Un arrêté impose des conditions d’exploitation à partir de septembre 2019 pour les opérateurs de cyclopartage en flotte libre, notamment sur la qualité du matériel mis à disposition, sa disponibilité et les zones interdites pour le stationnement.

La bataille des vélos partagés à Bruxelles: JCDecaux électrisé
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Jump : 37,55 euros pour 9 minutes

Les opérateurs en free float peuvent choisir de ne couvrir qu’un morceau de commune. Nous avons pu subir les effets de ces découpages particuliers lors d’un premier usage du service Jump. La course, de 9 minutes, a coûté 37,55 euros ! Essentiellement à cause d’une pénalité de 35 euros, car la course s’est achevée juste hors de la zone couverte, bien qu’elle fût toujours sur Woluwe-Saint-Lambert. Le coin du shopping center y figurait, pas la zone proche des cliniques universitaires Saint-Luc, point d’arrivée.

L’utilisateur doit donc être très attentif pour éviter une note salée. Le free float peut cacher des surprises.

Renégocier ?

Villo ne fait pas que des heureux. Un élu du Parlement bruxellois, Christophe De Beukelaer (cdH), souhaite que la Région renégocie la concession, qui court jusqu’en 2026. Il estime le service trop peu performant. Selon lui, le principe de son financement par compensation, via l’usage d’espace pour faire de l’affichage, n’est pas idéal. ” Ce dispositif n’incite pas assez JCDecaux à pousser l’utilisation des vélos, qui est de moins d’une utilisation par vélo et par jour “, alors que d’autres villes, avec le même type de service, arrivent à plus de cinq utilisations, avance-t-il, faisant allusion à une étude réalisée pour Bruxelles Mobilité.

Il aimerait que la concession soit cassée, ce qui ne semble pas actuellement être d’actualité pour l’exécutif bruxellois. Ou à tout le moins renégociée pour améliorer la rotation des vélos. Il souhaite que cette discussion permette la mise en place, avant l’échéance de la concession, d’un service en free float, avec des vélos à assistance électrique. ” C’est nettement mieux qu’un système avec des stations comme Villo. Pour moi, son intérêt est limité, la station la plus proche est au moins à 500 mètres de mon domicile. ”

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