Jean-Pol Boone: “Il faut d’urgence un État fort dans le domaine agricole”
Après la faillite d’une de ses entreprises active dans la production de légumes, le serial entrepreneur de la tech Jean-Pol Boone tire les leçons d’un échec et élabore quelques pistes pour sortir l’agriculture de ses difficultés.
En marge de plusieurs entreprises réussies dans la tech, Jean-Pol Boone, entrepreneur du numérique, s’est lancé en plein Covid dans le développement d’une entreprise de production agricole en Wallonie, avec un associé maraîcher. Malgré des succès commerciaux, l’entreprise tout juste rentable a manqué de trésorerie, l’obligeant à mettre la clé sous le paillasson. La cause principale ? Les chocs climatiques et maladies qui se multiplient et touchent les récoltes, comme en témoigne notre article ici.
Depuis la mise en faillite d’Eco.Cultures, Jean-Pol Boone analyse très en détail ce qui cloche et quelles solutions sont envisageables. Son constat est étonnant. Interview.
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Depuis plusieurs semaines, vous réfléchissez très en détail sur la situation des agriculteurs et sur le modèle de production agricole. Pourquoi ?
Quelques jours après mon post sur ma première faillite, je me suis rendu compte que je n’étais ni fou ni incapable de gérer une entreprise agricole. Le constat est malheureusement général. Des paysans, des industriels, des fonds d’investissement, des banques : j’ai eu l’occasion d’échanger avec des personnes pleines d’humilité et d’expérience. Le verdict ? L’agriculture ne génère plus de vocations, ne produit plus de bénéfices ; elle est dans une impasse.
Pourquoi dans une impasse ?
Pour qu’un agriculteur puisse exister, il doit emprunter, à moins qu’il ne vienne d’une famille aisée. Il s’endette auprès d’une banque ou, pour certains, auprès de fonds publics ou privés. Mais les taux bancaires augmentent, et les rendements exigés par les fonds sont tels (entre 8 et 15 % par an) que l’agriculteur est constamment sous pression. Quoi qu’il arrive, il doit rembourser ou générer du rendement. Sinon, il perd tout, même son patrimoine personnel mis en garantie. Et quand ses revenus chutent à cause des aléas climatiques ou de l’évolution constante des prix du marché, plus il est gros, plus il perd, et plus la pression augmente. L’agriculteur devient l’esclave de son banquier ou de son investisseur, en plus d’être tributaire du prix du marché. Il se trouve pris dans un étau constant. Pire encore, quand un fonds décide de vendre ses participations (généralement après 7 ans), à qui vend-il ? L’agriculteur ne peut souvent pas racheter les parts faute de liquidités. La cession se fait donc à l’extérieur, en Belgique ou ailleurs : à un industriel ou à un autre fonds plus important, qui cherchera d’autant plus à rentabiliser son investissement. Une spirale sans fin.
De quoi décourager énormément de vocations…
Je comprends pourquoi un agriculteur se suicide chaque jour : la pression financière et l’impression de ne pas être maître de son exploitation sont extrêmement douloureuses. Pourtant, le moteur de tout entrepreneur est sa liberté. De plus, exiger un tel rendement ne permet pas de respecter la transition agricole imposée par le changement climatique. Jamais.
Il y a pourtant le créneau du bio et du souhait, en croissance, de manger sain et local. Insuffisant ?
L’agriculture “bio” ? C’est un luxe qui s’adresse bien souvent à ceux qui disposent d’un patrimoine au départ. Et pourtant, eux aussi souffrent. C’est terrible, mais ma conclusion est à l’opposé de mes convictions d’homme de droite : il faut un État fort dans le domaine agricole.
C’est-à-dire ?
Je crois en un État avec une vision à long terme (20 ans), loin des logiques court-termistes, qu’elles soient politiques ou dictées par le marché, et qui soutient les entreprises en tant qu’investisseur de long terme, avec des taux intégrant la transition imposée par le climat. On parle souvent de 4 % de rendement acceptable. Il est essentiel de rendre le métier d’agriculteur à nouveau attractif et rentable, de manière à offrir une hygiène de vie saine, équilibrée entre vie privée et vie professionnelle. Aujourd’hui, l’agriculteur travaille trop, car il souffre financièrement.
Pourtant vu le niveau de la dette publique, cela ne semble pas évident.
C’est vrai et nous savons que chaque euro compte. C’est pourquoi il est important que chaque institution publique se concentre sur certains secteurs stratégiques. Dans un esprit de paix sociale, et pour éviter un potentiel risque de sécurité alimentaire, il me semble crucial de donner priorité, entre autres, au secteur de la production agricole. Dans ce chaos qui s’installe pour longtemps, le financement public doit aider à sortir le secteur agricole de la spéculation, qui n’a pas toujours conscience du danger de ses conséquences.
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