Jean Eylenbosch (Fevia): “Le politique n’a plus aucune vision globale des taxes qui nous touchent”
Le présidence de la Fédération de l’industrie alimentaire belge termine son mandat sur un bilan positif. Exportations en hausse, créations d’emplois, augmentation des dépenses liées à l’innovation, etc. Les défis, toutefois, restent nombreux. A commencer par la redynamisation du marché intérieur, pénalisé, selon le président sortant, par une ” lasagne de taxes “.
“Mon mandat est passé comme un coup de vent, c’est affolant ! ” Après avoir présidé pendant trois ans la Fédération de l’industrie alimentaire belge (Fevia), Jean Eylenbosch cède le flambeau en ce début d’année au président du conseil d’administration de Lotus Bakeries, Jan Vander Stichele. ” J’ai la satisfaction du travail accompli en équipe, lance celui qui reste par ailleurs director & vice president european government relations de Coca-Cola European Partners. Tout seul, vous pouvez donner des inflexions. Mais s’il n’y a pas une équipe derrière, vous n’êtes pas grand-chose. ”
Ces dernières années, l’homme s’est employé à donner davantage de visibilité au secteur. ” Alors que nous sommes le premier secteur industriel du pays, nous avons longtemps été méconnus des autorités publiques, assure notre interlocuteur. Je me souviens m’être rendu chez un vice-Premier ministre qui avait confondu la Fevia avec l’industrie automobile… Avec toute l’équipe, nous avons travaillé au rebranding de la fédération. ”
Une croisstance tirée par les exportations
A l’heure de quitter la présidence, Jean Eylenbosch tire, statistiques à l’appui, un bilan positif. En trois ans, le chiffre d’affaires des entreprises du secteur (4.500 sociétés membres, essentiellement des PME, et 90.000 emplois directs) a augmenté significativement pour passer de 48 à 52 milliards d’euros. Une croissance qui est exclusivement due à l’exportation. ” J’ai l’habitude de dire que lorsque vous êtes une mie de pain sur la carte, les portes du monde s’ouvrent à vous, sourit le responsable. Mon prédécesseur avait lancé la marque food.be ( destinée à faciliter l’accès des entreprises belges aux marchés extérieurs, Ndlr). Nous l’avons faite évoluer en mettant l’accent sur trois éléments : la qualité, la diversité et l’innovation. Nous avons martelé ce message partout, tout le temps, lors de visites d’Etat, etc. Le résultat, c’est que nous constatons aujourd’hui que l’exportation est le moteur de la croissance. ”
Le défi des emplois vacants
Autres sources de fierté pour l’ex-président : l’emploi et l’innovation. ” En matière de ‘jobs, jobs, jobs’, l’industrie alimentaire a fait son bout de chemin, dit-il. Pas moins de 2.300 emplois ont été créés en trois ans. Par ailleurs, nous sommes devenus en 2016, en plus du premier secteur industriel du pays, le premier investisseur industriel de Belgique. En trois ans, les dépenses liées à l’innovation ont augmenté de 300 millions d’euros pour atteindre aujourd’hui 1,8 milliard. Sur ce montant, 250 millions d’euros sont exclusivement réservés à la recherche et au développement.
Les défis pour le secteur restent toutefois nombreux. En matière d’emplois, tout d’abord. Même si leur nombre a augmenté, l’industrie alimentaire peine encore à recruter des profils adéquats. ” Il y a 1.500 emplois vacants, explique Jean Eylenbosch. Le monde de l’entreprise alimentaire n’est plus du tout ce qu’il était il y a 10 ans. L’environnement est hautement technologique et nous sommes donc à la recherche d’ouvriers techniquement qualifiés, ouverts à la robotisation, à la digitalisation. Il y a toujours un aspect ‘artisanat’ dans certains secteurs. Mais la foodtech prend de plus en plus d’importance. Les profils ont définitivement évolué parce que les moyens de production ont aussi fortement changé. Or, il est compliqué de trouver ces nouveaux profils. A l’aide de notre fonds sectoriel Alimento et de notre marque Food At Work, nous organisons des concours à l’innovation durant lesquels nous tentons de susciter des vocations dès l’enseignement secondaire. ”
Le monde de l’entreprise alimentaire n’est plus le même qu’il y a 10 ans. La ‘foodtech’ prend de plus en plus d’importance.
Comment expliquer cette difficulté à dénicher des talents possédant les compétences requises ? Notre interlocuteur voit plusieurs explications. ” Il y a tout d’abord un décalage entre l’enseignement et le monde professionnel, estime-t-il. Par ailleurs, beaucoup de parents souhaitent aujourd’hui envoyer leurs enfants à l’université. Or, cette dernière n’offre pas toujours les débouchés escomptés. Il existe pourtant des métiers extraordinaires dans notre secteur, qui permettent de faire de très belles carrières. En tant que fédération, il me semble que nous devons ouvrir davantage les portes des entreprises pour montrer la diversité de nos métiers. Enfin, il est important de travailler beaucoup plus de concert avec le monde de l’enseignement, et de développer davantage la formation permanente. ”
Le risque d’un Brexit dur
Autre défi : la diversification des marchés. ” En cas de Brexit dur, 10% de nos exportations seraient concernés, explique Jean Eylenbosch. Le Royaume-Uni est en effet le quatrième marché pour l’exportation de produits alimentaires belges. Il est donc nécessaire d’être perpétuellement en recherche de nouveaux débouchés. Lors de l’embargo russe sur les fruits et légumes, nous avions par exemple pu nous tourner vers le Canada. Nous constatons d’ailleurs que les destinations lointaines ont beaucoup de succès. Je pense à l’Indonésie, au Japon, au Canada, aux Etats-Unis. Mais les pays européens restent nos marchés privilégiés, puisque certaines de nos activités ne nous permettent pas de vendre plus loin. Or, ces marchés de proximité ne sont pas forcément les plus faciles. ”
L’ex-président de la Fevia pointe aussi le défi de ce qu’il appelle le ” gastronationalisme “. ” On assiste de plus en plus à une résurgence du repli sur soi, qui constitue des entraves à l’importation, avec des appellations d’origine ou des mesures ultra-protectionnistes comme celles décrétées par exemple en France dans le secteur de la viande. Je crois pourtant qu’il y a moyen de combiner fierté du terroir et circuit court sans verser dans ce ‘gastronationalisme’.”
Le marché intérieur pénalisé
Si les exportations se portent bien (+5%), le grand défi pour l’industrie alimentaire belge est de redynamiser son marché intérieur. En 2016, ce dernier avait déjà reculé de 1,6%. Un recul qui s’est encore creusé puisqu’il était de 2,2% en 2017. ” La raison essentielle, c’est la lasagne de taxes à laquelle nous sommes confrontés, précise Jean Eylenbosch. Sur certains produits, nous avons à la fois des accises, une taxe ‘santé’, une contribution d’emballage, un taux de TVA plus élevé que chez nos voisins, etc. Cette accumulation rend certains produits 10 à 30% plus chers que dans les pays limitrophes. Le consommateur n’est pas idiot, surtout quand il habite à moins de 50 km d’une frontière. Il vote donc avec ses pieds et va consommer ailleurs. On le voit : les achats transfrontaliers sont en augmentation. On constate en outre combien l’e-commerce se développe lui aussi en matière d’alimentation. Or, en Belgique, nous n’y sommes pas adaptés. Il y a encore des contraintes légales pour le travail de nuit, par exemple, qui font que certains marchés nous échappent. ”
Pour relancer l’activité, la Fevia compte poursuivre le dialogue avec le monde politique. ” Ce qui est frappant, c’est que ce dernier n’a plus de vue holistique sur l’ensemble des taxes, pointe notre interlocuteur. Chaque taxe prise individuellement n’est pas dramatique en tant que telle. Mais leur accumulation produit un effet d’étranglement. Parce qu’il est confronté à la nécessité de devoir combler un trou de 300 à 800 millions d’euros, le politique se dit tous les ans, à l’occasion des contrôles budgétaires, qu’il pourrait augmenter un peu la taxe sur les emballages ou les accises sur tel ou tel produit. Le monde politique a par exemple augmenté les accises sur les alcools de plus de 47%, ce qui a tué l’activité. En plus, les politiques font preuve d’un certain cynisme. Voyez la taxe ‘santé’. Au départ, elle s’appelait ‘taxe sucre’, mais a été rebaptisée ‘taxe santé’ quand on s’est rendu compte que même les produits sans sucre étaient impactés. En réalité, elle n’a aucun impact sur la santé et ne solutionne rien. Elle n’est qu’un simple prélèvement financier. ”
Recyclage des emballages et alimentation saine
Enfin, l’industrie est également confrontée aux défis de la réduction et du recyclage des emballages, ainsi qu’à la nécessité d’offrir une alimentation toujours plus saine et équilibrée. En matière d’emballages, il y a, à en croire Jean Eylenbosch, une ” préoccupation réelle “. ” Pour prendre l’exemple de Coca-Cola, nous avons très clairement affirmé qu’à l’horizon 2025, nous voulons que 100% de nos emballages soient effectivement recyclés. Maintenant, il ne faut pas se tromper de débat. Un emballage, c’est quoi ? Il facilite tout d’abord l’usage. Il permet ensuite de préserver l’intégrité du produit, il a une fonction de publicité et d’information au consommateur. Certes, l’industrie a sa part de responsabilité, mais le consommateur doit aussi pouvoir se regarder dans un miroir et arrêter de se comporter comme un cochon. ”
Concernant la qualité de l’alimentation, enfin, le responsable dit avoir été le promoteur, avec les autorités publiques, d’un ” pacte pour une alimentation équilibrée ” basé sur plusieurs piliers : la réduction des portions, un marketing plus responsable (engagements clairs en matière de publicité envers les enfants de moins de 12 ans, retrait de certains produits des écoles, etc.) et la reformulation des produits (en diminuant le sel, le sucre, la graisse). ” Tout cela ne se fait pas en un claquement de doigts, souligne-t-il. Car la finalité est de pouvoir préserver un équilibre entre saveur, qualité et reformulation, ce qui demande des investissements énormes en recherche et développement. Heureusement, en cette matière, l’industrie alimentaire belge est pionnière. “
“La grande distribution doit arrêter de ne voir qu’un prix”
” Je me rappelle d’une publicité d’une grande chaîne de distribution annonçant deux bouteilles de vin pour 2,99 euros. C’est déraisonnable ! Il faut se rendre compte qu’un produit est le fruit du travail de plusieurs acteurs en amont. La grande distribution et le consommateur doivent arrêter de ne voir qu’un prix. Je pense toutefois que les choses évoluent. Dans les négociations avec le retail, on remarque que d’autres éléments entrent progressivement en ligne de compte : les aspects environnementaux, de bien-être, etc. ”
“Il faut garder de la nuance”
” Tout système qui informe mieux le consommateur mérite d’être analysé. Mais le Nutri-Score ( ce système d’étiquetage nutritionnel instauré par plusieurs distributeurs sur certains de leurs produits propres, basé sur cinq valeurs allant de A à E et du vert au rouge, Ndlr) ne tient pas compte des portions. Il faut garder de la nuance. Par ailleurs, si vous mangez toute la boîte, je vous assure que le résultat sera tout à fait différent de ce qui est affiché. Je crois enfin que l’évolution technologique va permettre à terme de personnaliser beaucoup plus les informations au consommateur plutôt que d’avoir un outil générique comme le Nutri-Score, qui s’adresse à un spectre très large. ”
“Le consommateur tantôt ‘locavore’,’digitavore’ ou ‘transfrontavore'”
” On constate un glissement des trois repas quotidiens classiques attablés en famille vers une consommation mobile, souvent individuelle, quasi permanente et néanmoins irrégulière. Par ailleurs, le consommateur combine allègrement un aspect ‘locavore’ quand il se veut chantre du circuit-court, ‘digitavore’ quand il procède par facilité à ses achats par Internet, ou ‘transfrontavore’ quand, confronté à une accumulation de taxes indirectes, il se rend au-delà de nos frontières pour faire le choix de produits à meilleur prix. “
52 milliards d’euros
Le chiffre d’affaires du secteur, pour 90.000 emplois directs.
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