La Claes Retail Group (CRG), maison-mère des enseignes JBC, CKS, Mayerline et de la jeune marque durable HNST, célèbre son cinquantième anniversaire avec un événement rassemblant ses 1 400 collaborateurs.
En cinquante ans, le secteur de la mode a connu des mutations profondes. Pourtant, grâce à des valeurs solides telles que la durabilité, l’ancrage local et une gestion familiale cohérente, JBC est devenu un acteur incontournable du retail belge. Et alors que la troisième génération fait progressivement son entrée, l’entreprise continue sur sa lancée.
Anaïs Claes et Lucas Geuens, respectivement petite-fille et petit-fils du fondateur Jean-Baptiste Claes, assument aujourd’hui des rôles clés dans l’entreprise. Anaïs, fille de Bart Claes (co-CEO), pilote la stratégie de durabilité du groupe en tant que sustainability manager. Lucas, fils d’Ann Claes (également co-CEO), est intégré au département design & concept. Tous deux ont suivi des stages dans différentes entités de l’entreprise familiale et acquis une expérience professionnelle externe – Lucas chez l’agence Black and Gold à Anvers, Anaïs avec son propre label, Gia Lu Nova.
Une troisième membre de la génération montante, Amber Geuens (fille d’Ann Claes), a également intégré le groupe en tant que happiness officer, fonction axée sur le bien-être au travail. En raison de sa récente arrivée, elle n’a toutefois pas participé à cet entretien.
« J’ai toujours voulu rejoindre l’entreprise familiale », déclare Lucas Geuens. « Et je tenais à le faire tant que la deuxième génération est encore active, pour bénéficier de leur expérience. » Anaïs Claes ajoute : « Je n’y ai jamais été contrainte, mais en tant que membre de la famille, on ressent une forte responsabilité. Ce groupe est le fruit du travail acharné de nos prédécesseurs. Certains collaborateurs sont là depuis si longtemps qu’ils font presque partie de notre famille. On ressent énormément d’amour, et ce autant pour l’entreprise que pour les gens qui y travaillent »
Une gouvernance et une charte familiale
Cela ne veut pas dire pour autant que les deux ont eu leur poste sur un plateau. Anaïs, Lucas et Amber ont dû postuler à des offres d’emploi ouvertes et passer un assessment visant à évaluer leurs compétences et leur potentiel de développement. « C’est d’ailleurs indiqué de façon très claire dans ce que l’on appelle notre “compas familial” : aucun poste n’est créé sur mesure pour un membre de la famille », explique Bart Claes.
« Certaines personnes travaillent ici depuis si longtemps que nous avons quasiment grandi avec elles. Elles sont comme une extension de la famille. »
Ce « compas familial », soit une charte mise en place en 2009 par le fondateur Jean-Baptiste Claes et ses enfants et qui encadre la gouvernance intergénérationnelle de CRG. Une première révision a eu lieu en 2018 avec la participation des six petits-enfants. Une seconde a été menée en décembre 2023, de manière participative.
« Il ne s’agissait pas simplement de leur transmettre un document à relire », explique Ann Claes. « Nous avons passé chaque point en revue avec eux, pour qu’ils s’approprient pleinement les valeurs du groupe. Je pense que cette approche collaborative est assez rare dans une entreprise familiale. »
Une entreprise familiale ou plutôt une famille entrepreneuriale ?
Certaines pratiques évoluent avec leur temps, mais le fameux compas familial intègre également des principes fondamentaux. Bart Claes explique : « Une des questions que nous voulions clarifier était : sommes-nous une entreprise familiale ou plutôt une famille entrepreneuriale ? En d’autres termes : les petits-enfants doivent-ils automatiquement rejoindre l’entreprise ? Est-ce une obligation ? Et surtout, en ont-ils réellement envie ? Nous avons été très clairs : il n’y a aucune obligation. Nous sommes une famille entrepreneuriale, ce qui signifie que les générations futures peuvent également s’investir dans d’autres secteurs, d’autres entreprises ou d’autres fonctions, tout en bénéficiant du soutien de la famille. Cela ne figurait pas dans la première version du compas, simplement parce que cette question ne se posait pas encore à l’époque. »
Ann Claes ajoute : « Tous les petits-enfants sont co-actionnaires, mais cela ne signifie pas qu’ils doivent tous travailler dans le groupe. L’un de mes fils, par exemple, est contrôleur aérien et ne travaille pas dans l’entreprise, mais en tant qu’actionnaire, il est bien évidemment informé du fonctionnement de celle-ci. »
Une nouvelle génération, un regard neuf
L’arrivée de Lucas Geuens et d’Anaïs Claes a insufflé un vent de renouveau dans l’organisation. Lucas a contribué à simplifier la structure des stylesheets utilisées dans le design textile, rendant le processus de création plus fluide tant pour les stylistes que pour les fabricants. Avec Anaïs, il a aussi structuré certaines procédures internes jusqu’alors implicites.
« Lorsque des processus se développent de manière organique au fil des années, on oublie parfois pourquoi on fait les choses d’une certaine manière. Cela complique la transmission à de nouveaux collaborateurs. Leur regard neuf nous a permis de formaliser ces méthodes, ce qui a renforcé la clarté et la lisibilité de nos pratiques », explique Ann Claes.
La durabilité en bandoulière
Certaines orientations déjà prises par l’entreprise sont désormais poursuivies avec encore plus de rigueur, notamment en matière de durabilité, l’un des axes stratégiques historiques du groupe depuis de nombreuses années.
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Anaïs Claes précise : « je ne suis pas arrivée dans une page blanche en matière de développement durable, bien au contraire. Je pense même que nous pouvons revendiquer le statut de pionnier. Nous sommes d’ailleurs le seul acteur belge du secteur de la mode à avoir récemment obtenu le label Fair Wear – Good, la deuxième meilleure notation possible, ce dont nous sommes très fiers. Mais nous restons tournés vers l’avenir : nous cherchons sans cesse la prochaine étape, les innovations possibles, ce que nous pouvons encore améliorer. »
« Tous les petits-enfants sont impliqués en tant que coactionnaires, mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils travaillent pour l’entreprise. »
« Nous avons par exemple élaboré une feuille de route vers 2030, dans laquelle nous prévoyons de remplacer les matériaux les plus utilisés — comme le coton et le polyester — par des alternatives à plus faible impact environnemental. Ce changement s’initie dès la présentation des tendances, qui marque chaque nouvelle saison, afin que cela reste une priorité pour chacun au sein de l’entreprise. L’ensemble de cette démarche est d’ailleurs visible sur notre site internet.
À la suite d’un appel à contribution, de nombreux collaborateurs se sont portés volontaires pour devenir des “sustainabuddies” : des ambassadeurs du développement durable qui participent activement au projet, formulent des suggestions d’amélioration et identifient des opportunités au sein de leur département.
Un ancrage local comme avantage concurrentiel
Au-delà de la durabilité, une autre constante stratégique de l’entreprise est l’ancrage local. JBC a toujours misé sur le marché belge, ce qui lui a permis de développer une proximité forte avec ses clients. Bart Claes y voit l’une des raisons principales du succès du groupe face à une concurrence internationale croissante. « Une multinationale étrangère ne réalise ici qu’un faible pourcentage de son chiffre d’affaires. Elle ne va donc pas adapter spécifiquement son offre au marché belge ou flamand. Nous, si.» « Nos collections pour les grandes occasions — communions, fêtes de printemps ou de fin de Ramadan — sont aussi un bon exemple de notre ancrage local », explique Ann. « En tant qu’entreprise familiale, nous accordons une attention particulière aux vêtements pour enfants, et ces collections en font pleinement partie.
Ce type d’offres est beaucoup moins courant dans d’autres pays. Nous évoluons avec nos clients, ce qui nous permet de nous concentrer sur ce qui compte réellement pour eux. Bart et moi avons eu la chance, à nos débuts, d’être jeunes parents, ce qui nous a permis de mieux comprendre leurs besoins. C’est pour cela qu’il est essentiel que la troisième génération rejoigne aujourd’hui le groupe, afin de rester connecté aux attentes des jeunes familles. Et, bien évidemment, on tient aussi compte de l’avis de nos collègues plus jeunes.»
La seconde main
L’un des premiers signaux que JBC a capté, avant beaucoup d’autres enseignes, est l’importance croissante accordée par les consommateurs à la réutilisation. Depuis longtemps, les clients peuvent déposer leurs vêtements de seconde main en magasin pour les recycler. Mais depuis fin 2023, le groupe va plus loin : il revend directement ces vêtements d’occasion dans ses propres points de vente, sous la marque Op-Nieuw.
« Même si ce modèle n’est pas toujours facile à rendre rentable, nous sommes fiers d’être la première chaîne à proposer notre propre offre de seconde main. Cela nous permet de maintenir une logique circulaire locale, tout en réduisant les déchets textiles en donnant une seconde vie aux vêtements. Les articles changent peut-être de région, de la côte à la province du Limbourg, mais ils ne sont pas expédiés aux confins de l’Europe ou vers l’Afrique. Le fait que 90 % des vêtements collectés puissent être revendus démontre aussi la qualité de notre offre. »
Concurrence déloyale
Une autre évolution marquante de la dernière décennie est l’essor du commerce en ligne, auquel JBC n’a bien sûr pas échappé. Les ventes en ligne représentent aujourd’hui plus de 10 % du chiffre d’affaires. Toutefois, ce qui dérange particulièrement la famille Claes, c’est un terrain de jeu devenu inégal, notamment à cause de la concurrence déloyale venant de Chine.
« Nous n’utilisons aucun produit chimique interdit – c’est un choix délibéré, car c’est ainsi que cela doit se faire. Mais selon certaines études, 40 % des produits expédiés massivement d’Asie vers l’Europe via des plateformes chinoises contiennent des substances nocives. De plus, ces colis échappent à la TVA car ils sont envoyés directement au consommateur. Et très peu de droits d’importation sont perçus, puisqu’ils ne s’appliquent qu’au-delà de 150 euros par envoi. Pendant ce temps, nos produits en magasin font l’objet de contrôles rigoureux. Nous n’avons rien contre ces contrôles – au contraire, ils sont nécessaires – mais ils doivent s’appliquer à tous. Avec la fédération sectorielle Comeos, nous espérons que le monde politique prendra des mesures fermes, car cette situation ne nuit pas seulement aux acteurs locaux comme nous, elle a aussi un impact environnemental et sociétal», explique Bart Claes.
Malgré l’importance croissante du e-commerce, le groupe Claes Retail Group (CRG) continue de croire au potentiel des points de vente physiques, et ne cesse d’innover dans ce domaine. Cela passe par les boutiques de seconde main Op-Nieuw, mais aussi par l’ouverture récente d’un nouveau complexe à Sluis, en Zélande, réunissant les marques CKS et Mayerline dans un même espace.
Le magasin physique est loin d’être mort
Bart Claes : « Le magasin physique est loin d’être mort, mais il faut le repenser en permanence. L’expérience client devient centrale : il faut porter une attention renforcée à la manière d’interagir avec le client. Ce qu’on faisait autrefois ne suffit plus. » Dans cette optique, l’intelligence artificielle est également intégrée dans la gestion opérationnelle, notamment pour optimiser la gestion des stocks et soulager la charge de travail de certains employés.
« Parce qu’ils voient que nous communiquons de manière ouverte et transparente entre nous, les collaborateurs font de même avec nous. »
Ainsi, CRG continue de bâtir son avenir avec énergie. Lors de cette interview, il est frappant de voir à quel point les quatre membres de la famille s’écoutent avec respect, se soutiennent, se complètent.
Plus facile en famille ?
Est-ce plus facile de collaborer lorsqu’on est en famille ? Un court silence s’installe – c’est visiblement une question à laquelle ils n’ont pas souvent réfléchi.
« Je pense que le lien familial est suffisamment fort pour que tout soit discutable, ce qui nous permet de mieux nous comprendre », observe Anaïs Claes. Lucas Geuens partage cette perception : « Les collaborateurs remarquent cette transparence dans nos échanges, et cela les encourage à s’exprimer aussi ouvertement avec nous. » Anaïs confirme : « Je ne pense pas qu’il existe beaucoup d’entreprises où un collaborateur peut être aussi proche du CEO, et même de toute l’équipe de direction. Les portes sont toujours ouvertes, et si quelqu’un a besoin de parler, on prend toujours le temps de l’écouter. Je trouve ça beau. »
« Je ne sais pas si c’est plus facile parce qu’on est une famille, mais on se connaît très bien. On connaît les forces de chacun, mais aussi leurs faiblesses », ajoute Ann Claes. Bart Claes, quant à lui, conclut sur une note plus personnelle : « Ce que j’apprécie surtout, c’est que nous avons encore de vrais moments de famille en dehors du travail, avec les conjoints. Avant, on devait se forcer à ne pas parler boulot, mais aujourd’hui, on y arrive vraiment. Lors de ces moments, on ne parle presque plus du tout de l’entreprise, et je trouve important que l’on continue à le faire. »