Jacques Séguéla, publicitaire: “L’écologie est un geste d’éternité”
A 87 ans, Jacques Séguéla est plus vert que jamais. Le papy de la pub le confesse d’ailleurs dans son dernier livre: “Ne dites pas à mes filles que je suis devenu écolo, elles me croient publicitaire!”.
On ne l’attendait pas dans ce registre-là. Glorificateur de la société de consommation tout au long de sa carrière, le publicitaire Jacques Séguéla a viré sa cuti pour devenir 100% écolo. L’ancien vice-président du groupe Havas s’en amuse d’ailleurs dans son dernier essai (*) qui résonne comme un écho rédempteur à son célèbre livre Ne dites pas à ma mère que je suis dans la publicité… Elle me croit pianiste dans un bordel, sorti il y a plus de 40 ans déjà.
Tout au long de ses 211 pages, le papy de la pub dresse un état des lieux plutôt inquiétant de la planète Terre, mais se veut toutefois optimiste… si chacun y met du sien, conseils à l’appui. Rencontre avec un “néo-converti” qui n’a rien perdu de son sens légendaire de la punchline.
TRENDS-TENDANCES. Dans son livre, Bill Gates explique qu’il y a 20 ans, l’enjeu climatique ne le tracassait pas vraiment. Et vous, qu’en pensiez-vous à l’époque?
JACQUES SÉGUÉLA. J’étais dans le même état d’esprit que lui: cela ne me tracassait pas. La publicité a toujours été marchande de rêves avant d’être marchande d’autre chose, donc on avait peu de préoccupation écologique. Cela dit, j’ai eu l’incroyable chance de faire, à 20 ans, un tour du monde en voiture et, par la suite, j’ai toujours eu une espèce de mal-être lorsque je retournais en avion, aux quatre coins du globe, pour ouvrir des agences. En 60 ans, j’ai vu comment le monde s’est dégradé et comment la tête des gens s’est aussi dégradée. Le monde est devenu antipathique et c’est ce qui m’a fait prendre conscience peu à peu des véritables enjeux…
Les optimistes ont inventé l’avion et les pessimistes, le parachute. Moi, je reste dans l’avion car l’écologie doit être optimiste.
Mais quel fut le vrai “déclic écologique” pour vous?
Je le dois à l’un de mes clients à qui je dédie mon dernier livre. Il s’agit de Fabrice Beaulieu, patron du groupe Reckitt qui possède entre autres la gamme de produits de lave-vaisselle Finish. Il a attiré mon attention, il y a un peu plus de deux ans, sur le fait qu’en Turquie, 80% des ménages avaient la fâcheuse habitude de rincer leurs assiettes avant de les mettre au lave-vaisselle. Or, des études ont prouvé que ce double rinçage est totalement inutile car les produits sont suffisamment performants. Chaque année, rien qu’en Turquie, c’est toute l’eau d’un lac de taille moyenne qui était ainsi gaspillée! Avec notre agence Havas à Istanbul, nous avons donc réalisé une campagne de sensibilisation, soutenue par le magazine National Geographic et le gouvernement turc, qui a très bien marché. D’ailleurs, aujourd’hui, il n’y a plus que 20% des ménages turcs qui rincent leur vaisselle avant de la mettre en machine.
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De là à écrire tout un livre sur votre conversion à l’écologie, il y a une marge…
J’ai voulu écrire ce livre pour mes filles, plus de 40 ans après Ne dites pas à ma mère que je suis dans la publicité… Elle me croit pianiste dans un bordel. J’ai eu cinq filles avec la même femme, ce qui est unique dans le monde de la pub (rires)! Donc, j’ai écrit ce nouveau livre pour elles et pour cette génération, mais aussi pour les “Havasiens”. Il y a 20.000 personnes qui travaillent pour le groupe Havas dans le monde et c’est une façon, pour moi, de leur apporter la bonne parole.
Avez-vous le sentiment que les marques ont dépassé aujourd’hui le stade du “greenwashing” et ont enfin compris l’importance de l’enjeu écologique?
C’est un mouvement profond: il n’y a plus de marques aujourd’hui qui se détournent de l’écologie. C’est un choix très sincère de leur part parce que les consommateurs l’ont demandé. Ce sont eux qui ont fini par convaincre les marques de s’adonner à plus d’écologie. Mais il faut maintenant que cela se structure et que chacune s’adonne à un combat en particulier: la défense des espèces menacées, la fin du plastique, etc.
Vous écrivez d’ailleurs que les marques doivent devenir des “coachs de notre quotidien, des aides personnelles à un vivre mieux”. Sont-elles vraiment prêtes à assumer ce rôle sociétal?
Bien sûr et elles sont même obligées d’assumer ce rôle! Autrement, les consommateurs vont se détourner d’elles. C’est le grand combat du moment et ce combat pour la survie de la Terre est d’ailleurs lié à la survie de marques. J’ai découvert que 80% des marques que j’ai connues au 20e siècle ont disparu. Ce sera la même chose au 21e siècle: 80% des marques que vous connaissez aujourd’hui vont disparaître avec le siècle prochain! Nous, publicitaires, nous devons donc assurer le quotidien de ces marques, leur image, mais aussi leur éternité. Et l’écologie, justement, c’est un geste d’éternité.
Et vous, à 87 ans, vous accompagnez encore ces marques tous les jours…
Oui, mais j’ai la chance de choisir mes combats. Je m’occupe des grandes marques de l’agence et aussi des grandes prospections.
Vous avez longtemps incarné les années pub, les années fric… Pensez-vous que le grand public va accueillir votre livre de manière crédible ou va-t-il vous suspecter de “greenwashing”?
Les ultras ne peuvent que me critiquer. J’ai vécu ça toute ma vie et je m’y suis habitué ( rires). J’ai une carapace. Cela dit, je n’ai pas encore eu beaucoup de réactions hostiles avec ce livre, alors que je m’attendais au pire…
Personnellement, j’espérais plus de mea culpa de votre part concernant, justement, ces années fric et gaspi…
Oh, mais le livre commence par ça! J’écris que ma conversion est tardive, que j’en ai honte et que je me soigne. Pour paraphraser Pierre Dac, je dis d’ailleurs qu’il n’est jamais trop tôt pour savoir qu’il n’est pas trop tard…
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Bien sûr, mais vous auriez pu tirer, par exemple, votre propre bilan carbone en guise de clin d’oeil!
Je n’allais pas non plus me prosterner! Dans mon livre, je demande pardon avec simplicité et j’invite les gens à se mobiliser. Albert Camus disait: “On ne change pas le monde, on le répare”. Aujourd’hui, j’invite chacun à réparer son petit morceau de Terre. Mais surtout, j’ai voulu écrire un livre qui soit optimiste. Je dis toujours que les optimistes ont inventé l’avion et les pessimistes, le parachute. Moi, je reste dans l’avion car l’écologie doit être optimiste. Le ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin a dit: “Si la révolution écologique n’est pas populaire, elle ne marchera pas”. C’est pour ça qu’il ne faut pas laisser l’écologie aux seuls écologistes parce que, dans leur jusqu’au-boutisme, ils sont en train de politiser ce combat, ce qui va finir par dégoûter les gens. Moi, je suis contre la politisation de l’écologie. Je pense que le combat pour la sauvegarde du monde ne réussira que si tous les Terriens se donnent la main.
Vous avez mené, avec succès, les campagnes présidentielles de François Mitterrand en 1981 et 1988. Donc, si je vous comprends bien, vous ne mettriez pas votre expertise au service d’un candidat écolo aujourd’hui?
D’abord, vous vous trompez: Mitterrand a été le premier des écolos! Il adorait les arbres. Quand je le voyais à l’Elysée, il m’invitait à le rejoindre dans le parc et c’est là qu’on travaillait, debout, en marchant. Il connaissait bien les arbres, il les caressait! Donc, j’ai fait la campagne de Mitterrand écolo, mais pour répondre à votre question, je ne pourrais pas faire la campagne d’un candidat du parti Europe Ecologie Les Verts. Car je le répète: je suis contre la politisation de l’écologie. Je suis plutôt pour la soft écologie qui n’est pas une écologie de décroissance mais de croissance, qui n’est pas une écologie de destruction mais de construction, qui n’est pas une écologie sectaire mais une écologie humaine.
Avec ce manifeste écolo, regrettez-vous votre phrase “Si à 50 ans, on n’a pas une Rolex, c’est qu’on a raté sa vie” que vous aviez sortie pour défendre Nicolas Sarkozy?
Je la regrette depuis le premier jour (rires)! C’était une connerie. Ce n’est pas ce que je pense et je me suis d’ailleurs excusé publiquement. Parfois, les mots nous échappent…
Mais depuis l’écriture de ce livre, votre comportement de citoyen a-t-il changé? Etes-vous moins matérialiste qu’avant? Etes-vous davantage tourné vers le recyclage par exemple?
Absolument! Je fais attention. Bon, j’ai encore de vieux réflexes qui m’échappent, mais je me soigne. J’ai divisé la viande par deux, je plante des arbres, je fais attention au tri sélectif et j’essaie de former mes enfants à l’écologie. Je pense que la nature peut nous apporter tout ce que le monde moderne nous enlève, c’est-à-dire une sorte de fraîcheur, de naturel et de retour à l’origine parce que le premier homme était évidemment écolo.
Il y a aujourd’hui un grand débat en France sur l’interdiction éventuelle de la publicité pour certains produits comme les SUV par exemple, mais malgré votre virage écolo, vous n’y êtes pas favorable…
Non parce que, dans 10 ans, le marché automobile aura de toute façon viré à l’électrique! Ce qu’il faut plutôt faire maintenant, c’est obliger les marques à sauver la planète en leur imposant des compensations comme, par exemple, créer des campagnes en faveur de l’écologie, sauver des espèces menacées et, surtout, planter des arbres. C’est bien plus malin que d’interdire purement et simplement la publicité car ces actions créeront, elles, un cercle vertueux.
Seriez-vous toutefois prêt à accepter certaines réglementations plus strictes, voire des taxations, afin de verdir l’économie?
Je ne suis pas pour les taxations, mais je suis favorable à ce que l’on oblige davantage les entreprises à sauver la Terre. Les taxations, c’est de l’argent qui part dans la grande lessiveuse de l’Etat et on ne sait pas à quoi ça sert. En revanche, dire aux entreprises “On ne va pas vous taxer de 3% supplémentaires, mais vous allez consacrer ces 3% à des oeuvres écologiques”, ça peut participer à ce cercle vertueux. Les entreprises vont même y prendre goût car cela va verdir leur âme et cela fera aussi leur communication! La taxation, c’est une punition. L’engagement à sauver la nature, c’est un combat.
(*) Jacques Séguéla, Ne dites pas à mes filles que je suis devenu écolo, elles me croient publicitaire!, éditions Coup de coeur, 211 pages.
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