Jacco Leurs (Canon Belgique et Luxembourg): “Personne ne souhaite devenir le prochain Kodak”
Face à des téléphones à l’optique de plus en plus précise, Canon s’est focalisé ces dernières années sur les appareils photos réflex. Mais le groupe nippon s’est surtout diversifié dans des domaines comme la santé ou la sécurité. Un redéploiement que le ” managing director ” de Canon Belgique et Luxembourg a suivi de près.
Quand on jette un oeil dans l’objectif de la société Canon, on découvre un avant-plan encombré d’appareils photos et d’imprimantes à destination des particuliers. Mais comme l’explique Jacco Leurs, managing director de Canon Belgique et Luxembourg, le groupe nippon fait aussi bien d’autres choses. Si on choisit une ouverture grand angle, on découvre ainsi, à l’arrière-plan, les produits et services proposés aux entreprises. Un segment qui concerne, en fait, la majeure partie des activités du groupe. Il représente les trois quarts du chiffre d’affaires de Canon en Belgique-Luxembourg, s’avérant également grand fournisseur d’emplois. Sur les 650 collaborateurs du groupe dans ces deux pays, seuls une petite cinquantaine opè-rent ainsi pour le B to C, le segment destiné aux particuliers. Il faut dire que le groupe travaille surtout avec de grandes chaînes de magasins comme Krëfel, MediaMarkt ou Vanden Borre. Un différentiel que l’on le retrouve également au niveau mondial, où le B to C représente 20% des activités de l’entreprise nippone, contre 80% pour le B to B.
Ces chiffres, c’est Jacco Leurs qui nous les présente. L’homme semble incollable sur les activités de son entreprise. Arrivé à la tête de Canon Belgique et Luxembourg en février 2018, le Néerlandais est un pur produit maison : il a fait toute sa carrière dans l’entreprise, d’abord aux Pays-Bas, puis en France et au Royaume-Uni. Le managing director a donc suivi de l’intérieur toutes les grandes évolutions du groupe ces 20 dernières années, avec deux bouleversements majeurs pour le secteur : la digitalisation des apareils photos et l’arrivée des smartphones.
TRENDS-TENDANCES. Aujourd’hui, la plupart des Belges possèdent un smartphone capable de prendre des photos et des vidéos. Quel impact cette technologie a-t-elle eu sur votre business ?
JACCO LEURS. Nous vendons moins d’appareils qu’auparavant. Cependant, nous voyons aussi que les dépenses moyennes sur nos produits ont augmenté. Le panier moyen par consommateur a donc augmenté. Il y a un shift de certains clients vers des produits de plus grande valeur. Mais vous savez, que ce soient des smartphones ou des appareils photos, le nombre de dispositifs permettant de prendre des images est partout en augmentation. Tout comme le nombre de photos. Pour les prendre, certains utilisent leur smartphone, d’autres des appareils photos. Tout dépend de leurs besoins.
Qui achète vos appareils photos ?
Je vous répondrai en vous expliquant comment se présente le marché de la photo, qu’on peut découper en trois segments : celui des happy snappers, des happy enthusiast et des professionnels. Les happy snappers ne sont pas intéressés par des photos de grande qualité. Ils utilisent juste leur smartphone pour capturer des moments de leur vie et les partager sur les réseaux sociaux. Ce n’est pas un public qui achète nos appareils photos. Parce que produire des appareils bon marché et les vendre pour 99 euros, par exemple, n’a plus de sens. Ils ont tous été remplacés par les smartphones. Les happy enthusiast, eux, sont passionnés par la photographie et partagent leurs photos sur leurs blogs, mais également sur Facebook ou Instagram. Ils représentent une part importante de ce marché. Notamment les jeunes : la plupart utilisent leurs smartphones, mais certains développent une véritable passion pour la photo, et font donc le pas vers des appareils plus avancés. Enfin, vous avez le marché professionnel, qui est aussi très important pour nous. Vous l’avez compris, nous nous concentrons sur ces deux derniers segments d’utilisateurs, les plus créatifs : les happy enthusiast et les professionnels.
“Prendre des photos comme un pro, sans être un pro”. Ce slogan est celui d’un des géants du secteur du smartphone, qui présente un téléphone avec téléobjectif, grand angle, etc. Vous ne pensez pas que ce type d’engin va aussi finir par remplacer à terme les “vrais” appareils réflex ?
Que veut dire “être un pro” ? Un professionnel est quelqu’un qui a une vision créative de ce qu’il veut exprimer, de l’histoire qu’il veut raconter. Et il veut le meilleur équipement pour le faire. Plus il devient créatif, plus il souhaite faire différentes choses, et plus il cherche différents objectifs. La grande différence entre un smartphone et un appareil photo, c’est la quantité de lumière. De grands objectifs capturent une plus grande quantité de lumière que de petits capteurs. Avec le développement d’algorithmes et de logiciels, votre smartphone améliore de plus en plus la qualité des images qu’il prend. Mais ce sera toujours différent, il y aura toujours une limite. Ceci étant, le phénomène happy snappers, pour qui le smartphone sera toujours suffisamment bon, rappelle que le marché de la photo est mature. Voilà pourquoi, il y a quelques années, nous avons aussi décidé de nous diversifier. Parce que nous ne voulions plus dépendre d’un seul marché.
Vers quels secteurs Canon s’est-il tourné ?
Notamment vers l’impression commerciale. Nous avons acquis la compagnie néerlandaise Océ en 2014. Jusqu’alors, Canon avait grandi de manière organique, en développant ses propres technologies. Puis, nous avons commencé à faire des acquisitions. Océ fut la première. Ses imprimantes font partie du core business de nos clients (des imprimeries, par exemple, Ndlr), là où Canon était plutôt actif dans les imprimantes de bureau. Désormais, grâce à cette acquisition, que ce soit pour de l’impression, des copies, du scan ou de la gestion de document, nous avons tous les types de machines à disposition, de l’imprimante d’entrée de gamme à 29 euros jusqu’à des machines qui valent plus d’un million d’euros. Nous pouvons donc toucher n’importe quel type de client pour n’importe quelle application.
Canon a également acquis la société belge Iris en 2013…
Effectivement. Cependant, Iris conserve son identité et travaille de manière indépendante au sein du groupe. Basée à Louvain-la-Neuve, elle possède des bureaux dans une petite dizaine de pays à travers le monde. C’est une ancienne spin-off de l’UCLouvain fondée dans les années 1980. Elle est spécialisée dans la gestion d’informations : elle édite des logiciels (notamment pour numériser des documents et convertir les caractères imprimés en données qui sont directement exploitables sous forme de texte électronique ou dans d’autres logiciels, Ndlr) et propose aussi ses services à destination des professionnels. Nous coopérons avec eux pour aider nos clients à gérer les grandes masses d’informations qu’ils ont parfois à disposition et optimiser leurs flux de documents.
Canon s’est aussi diversifié dans des domaines a priori fort éloignés de son “core business”, comme la sécurité ou le secteur médical…
En réalité, même si c’est très méconnu, le secteur médical fait partie de notre business depuis le début. Takeshi Mitarai, l’un des fondateurs du Precision Optical Instruments Laboratory qui fut renommé Canon en 1935, était obstétricien. A ses débuts, l’entreprise a développé une caméra à rayon X. Canon s’est ensuite rapidement dirigée vers les appareils photos pour le grand public, qui ont représenté une grande partie de ses activités jusqu’à la moitié des années 1960, avant de s’étendre aux équipements de bureau.
Mais nous sommes toujours restés dans ce secteur, essentiellement dans les équipements destinés à contrôler les yeux. Avec l’acquisition de Toshiba Medical en 2017, nous avons aussi complété notre gamme avec d’autres types d’équipement d’aide au diagnostic (IRM, échographies, radios, etc., Ndlr). Le secteur médical est redevenu une partie importante de nos activités. D’autant que c’est un marché en pleine croissance. Dans ce secteur, tout l’enjeu tourne autour de l’amélioration de la qualité et de la fiabilité de l’image, afin d’aider à de meilleurs diagnostics.
Et dans le domaine de la sécurité ?
Nous avons acquis en 2014 la société danoise Milestone Systems, qui conçoit des logiciels de gestion vidéo. Nous avons ensuite mis la main sur Axis en 2016, entreprise suédoise qui est leader dans le secteur des caméras de surveillance. Avec ces acquisitions, Canon est donc devenu le numéro 1 sur ce marché. Mais ces sociétés ne sont pas uniquement actives dans le secteur de la sécurité. Ces caméras peuvent être utilisées dans les magasins, par exemple pour mieux connaître les habitudes des clients quand ils font leur shopping. Elles peuvent aussi compter le nombre de personnes ou contrôler une foule lors de grands événements.
Aujourd’hui, notre core business mondial se compose donc comme suit: d’un côté, les appareils photos, l’imagerie, les imprimantes, les photocopieurs et la gestion de documents, qui représentent 75% de notre business ; de l’autre, ces nouvelles activités dans lesquelles nous nous sommes diversifiés (l’impression commerciale, la sécurité, et le secteur médical) qui représentent les 25% restant. Mais il y a toujours une logique claire. Que l’on parle d’impression commerciale, de secteur médical, de sécurité, etc., toutes les technologiques sous-jacentes à ces activités tournent toujours autour de l’optique.
Se diversifier est devenu un instinct de survie ?
Aujourd’hui, les choses changent de plus en plus vite. Si vous ne diversifiez pas, vous risquez de devenir assez rapidement obsolète. Pensez aux navigateurs GPS dans votre voiture. Google Maps est arrivé, tuant ce business model. Je pense que chaque entreprise doit toujours être prête à être disruptée. Vous devez être capable de résister et de trouver d’autres débouchés. Aucune entreprise ne peut penser “nous sommes en sécurité pour les prochaines années à venir”. Vous devez donc continuellement réfléchir à changer votre modèle, à vous adapter aux réalités du marché en étant sûr d’être suffisamment diversifié et bien placé dans différents domaines. Personne ne souhaite devenir le prochain Kodak.
Profil
Né le 21 juillet 1970, master en gestion des entreprises à la Rijksuniversiteit de Groningen.
1996 : débute sa carrière au QG européen de Canon, aux Pays-Bas
2000 : directeur marketing pour le segment ” B to C ”
2008 : directeur ” B to C ” de Canon France
2012 : directeur du département ” images professionnelles ” de Canon Europe, au Royaume-Uni, avant de devenir directeur des ventes en 2016
2018 : ” managing director ” de Canon Belgique et Luxembourg
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