IPTV: la riposte s’organise contre les pirates de l’audiovisuel en Belgique


La lutte s’intensifie contre les services illégaux de l’IPTV. Dans les prochains jours, RTL et la RTBF vont lancer ensemble une procédure d’injonction dynamique à l’encontre des pirates de l’audiovisuel, suivant ainsi l’exemple du groupe DAZN qui s’apprête à lancer aussi une deuxième opération coup de poing pour bloquer une nouvelle liste de sites frauduleux.
C’est un boîtier “magique” qui offre l’accès, pour quelques euros par mois, à des milliers de chaînes de télévision et des programmes de qualité via internet. Son nom tient en quatre lettres, IPTV (pour Internet Protocol Television), et son utilisation est, au départ, tout à fait légale. Mais il y a un “mais”. Depuis quelques années déjà, des petits malins en ont détourné l’usage pour proposer aux consommateurs des offres d’abonnement cette fois illégales puisqu’elles ne respectent tout simplement pas le droit d’auteur. Ces pirates s’emparent en effet de contenus qui ne leur appartiennent pas et facilitent leur diffusion payante (mais à prix cassés) via des sites frauduleux, sans rémunérer les ayants droit.
C’est précisément contre ce vol organisé que se bat aujourd’hui toute une série d’acteurs de la sphère audiovisuelle. Les plateformes reconnues qui proposent des formules payantes de leurs services comme DAZN ou BeTV en sont évidemment les premières victimes vu la perte réelle d’abonnés, mais les chaînes dites classiques comme la RTBF ou RTL (a priori gratuites moyennant un abonnement à un opérateur télécom) en souffrent également : moins d’audiences sur la Une, Tipik ou RTL-TVI, c’est non seulement moins de rentrées publicitaires pour ces chaînes linéaires, mais aussi moins de revenus que versent Proximus et consorts à ces groupes audiovisuels pour distribuer leurs programmes sur leurs réseaux (l’audience ayant un impact direct sur les montants déboursés).
Sérieux préjudice
Les ravages causés par ces nouveaux pirates de l’audiovisuel sont impressionnants car il y aurait, selon le SPF Économie, près de 660.000 abonnés aux services illégaux de l’IPTV sur notre territoire. “Cela représente près de 13% des 5,1 millions de foyers belges, détaille son porte-parole, étienne Mignolet. En ce qui concerne le préjudice économique de l’IPTV illégale en Belgique pour les six acteurs économiques qui sont les agrégateurs de contenus, les sociétés de gestion de droit d’auteur, les organismes de télédiffusion, les services de streaming payants, le secteur du sport et aussi l’État, il a été estimé à 189 millions par an sur la base des éléments disponibles, mais ce montant est certainement en dessous de la réalité.”
Voilà pourquoi, ces dernières semaines, la lutte contre ces actes de piratage audiovisuel s’est considérablement intensifiée. Il y a tout juste un mois, le groupe DAZN – qui détient les droits de retransmission du championnat belge de football – a profité du début des play-offs pour lancer une opération coup de poing contre plusieurs acteurs de l’IPTV illégale. Suite à une action en référé déposée par le groupe privé auprès du tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles, les opérateurs Proximus, Telenet, Orange/VOO et Digi, ainsi que des fournisseurs de services alternatifs (Google, Cloudflare et Cisco) ont dû bloquer plus de 100 sites web et cinq plateformes IPTV qui diffusaient, de manière illégale, les matchs de la Jupiler Pro League dont DAZN possède les droits exclusifs.
“Nous sommes satisfaits de cette action qui est la première d’une longue série, témoigne Benoît Cordemans, head of business development chez DAZN Belgium. L’ordonnance a été appliquée avec succès par les différents opérateurs et nous avons pu compter sur le soutien du SPF Économie qui a marqué sa volonté de prendre le problème du piratage à bras-le-corps. Cela a eu un impact positif puisque l’on a constaté une accélération de nos abonnements depuis cette opération menée au début des play-offs, mais ce n’est que le début. Notre souhait est d’installer ces actions de manière structurelle et donc de les répéter pour être de plus en plus efficace dans cette lutte contre les pirates.”
Nouvelle arme juridique
Selon nos informations, DAZN serait sur le point de lancer une deuxième offensive d’envergure dans le courant du mois de mai, avant que ne soient diffusés les derniers matchs des play-offs de la Jupiler Pro League. Comme pour l’opération précédente, le groupe privé pourra disposer d’une précieuse arme juridique, à savoir l’injonction dynamique.
“Avec la transposition de la directive sur les droits d’auteur en 2022, on a renforcé l’arsenal juridique en Belgique, explique Samy Carrere, responsable de l’unité Distributeurs et Opérateurs au sein du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA). Auparavant, lorsqu’un site litigieux avait été bloqué suite à une décision de justice, il suffisait aux pirates de créer un site miroir pour récupérer facilement ses utilisateurs. Les plaignants devaient alors lancer une nouvelle procédure, ce qui prenait un certain temps. Avec l’injonction dynamique, ce n’est plus nécessaire car cela permet de faire tomber les sites dupliqués sans être obligé de passer par la case tribunal.”
Le SPF Économie affiche déjà une liste noire de 118 sites web et autres contenus numériques qui ont été bloqués depuis le 5 avril.
Grâce à cette nouvelle arme juridique, le combat contre les pirates a gagné en efficacité et le SPF Économie affiche déjà une liste noire de 118 sites web et autres contenus numériques qui ont été bloqués depuis le 5 avril. Mais le combat est loin d’être terminé. “C’est un peu comme le jeu de la taupe, enchaîne Benoît Cordemans de DAZN Belgium. Quand on frappe sur la tête d’un site frauduleux pour le faire disparaître, il y en a un autre qui surgit ailleurs. Bien sûr, l’injonction dynamique nous aide à taper en rythme pour viser les sites dupliqués, mais nous devons aussi lancer d’autres procédures pour de nouveaux sites qui émergent.”
Alliance inattendue
Dans cette lutte contre le piratage et les sites illégaux, le mois de mai sera certainement à marquer d’une pierre blanche. Outre la deuxième opération coup de poing de DAZN Belgium prévue avant la fin des play-offs, deux grands acteurs du paysage audiovisuel belge s’apprêtent en effet à mener une action similaire en mettant leur animosité relative au vestiaire. Frères ennemis à l’écran, la RTBF et RTL vont s’unir pour lancer eux aussi, dans les prochains jours, une procédure d’injonction dynamique à l’encontre de plusieurs acteurs de l’IPTV illégale. Objectif : lutter contre le piratage de leurs contenus afin de préserver leurs audiences et les recettes publicitaires qui les accompagnent.
Si RTL est à la manœuvre en concertation avec l’Alliance for Creativity and Entertainment (ACE), elle a été rejointe dans sa démarche par la RTBF, en suivant ce bon vieil adage selon lequel l’union fait la force. “Nous sommes désormais membres de cette alliance qui regroupe plus de 50 grandes sociétés de divertissement dans le monde et qui lutte de manière acharnée contre le piratage en ligne, nous dit-on au service de juridique de RTL. Nous avons besoin des informations de l’ACE pour lancer chez nous cette procédure d’injonction dynamique de la manière la plus efficace possible et cela se fera dans le courant du mois de mai.”

Pour rappel, ce système permet au juge, dans le cadre d’une procédure unilatérale et très rapide, de donner des injonctions aux fournisseurs d’accès à internet pour bloquer des sites dont le contenu est en violation avec le droit d’auteur. “Le projet est en cours de finalisation, confirme Axelle Pollet , porte-parole de la RTBF. Nous sommes aujourd’hui alignés avec RTL qui pilote le travail de requête. C’est une thématique très importante pour nous car l’IPTV affaiblit non seulement le secteur de l’audiovisuel, mais c’est également une source de risques importants. Car derrière cette pratique, ce sont des réseaux mafieux qui aspirent les données des utilisateurs, sans contrôle ni éthique.”
Sensibiliser le citoyen
C’est l’autre grand combat des adversaires de l’IPTV illégale : faire prendre conscience au consommateur les risques qu’il encourt lorsqu’il s’aventure à payer un abonnement sur une plateforme ou un site frauduleux. Car le piratage affaiblit non seulement toute la chaîne de valeur audiovisuelle en Belgique et les acteurs qui y participent (création, production, distribution, diffusion, etc.), mais il place surtout les abonnés aux services illégaux en fâcheuse posture judiciaire. D’une part, ils risquent – en théorie – une amende pouvant aller de 500 à 100.000 euros et même une peine d’un an à cinq ans de prison pour avoir porté atteinte au droit d’auteur, mais ils s’exposent, d’autre part, à des ennuis supplémentaires.
“Notre rôle consiste à protéger non seulement les producteurs de contenu, mais aussi les consommateurs face aux dangers que représente l’IPTV.”
Samy Carrere (CSA)
Hermétiques au droit en vigueur, les plateformes illégales ne respectent évidemment aucune réglementation en matière de protection des données. Et comme les abonnés transmettent généralement leur adresse e-mail et leurs coordonnées bancaires aux pirates, ils s’exposent aux arnaques potentielles et autres fraudes à l’identité. “Au-delà de ces risques bien réels pour le consommateur, il faut aussi rappeler que l’IPTV illégale nourrit des intérêts économiques douteux, ajoute Samy Carrere du CSA. C’est pourquoi nous intervenons comme facilitateur dans ce dossier pour réunir les différents acteurs du secteur audiovisuel en Belgique autour de tables rondes afin de mieux endiguer le phénomène. Notre rôle consiste à protéger non seulement les producteurs de contenu, mais aussi les consommateurs face aux dangers que représente l’IPTV.”
Campagne de sensibilisation
Pour mener à bien cette double mission, une grande campagne de sensibilisation sera organisée avant la fin de l’année. Le projet se met doucement en place et il s’avère plus que nécessaire pour dissuader les consommateurs de tomber dans le piège – financièrement attrayant – de l’IPTV illégale. “De plus en plus d’acteurs du monde de la télévision, du sport, du cinéma et du divertissement sont conscients du problème et de l’impact négatif du piratage sur l’économie, conclut Benoît Cordemans de DAZN Belgium.
“Il est donc urgent de nous rassembler pour coordonner nos actions et pour renforcer aussi l’aspect éducationnel. Le consommateur doit être mieux informé sur les dangers du piratage et sur cet impact négatif sur de nombreux secteurs. C’est la raison pour laquelle une campagne nationale contre le piratage sera lancée, je l’espère, dans les prochains mois grâce à un travail collaboratif entre les autorités compétentes des différents gouvernements et l’écosystème médiatique belge.”
En attendant, le duo surprise RTL-RTBF et la société DAZN lanceront, chacun de leur côté, une procédure d’injonction dynamique pour bloquer une nouvelle liste de plateformes et de sites illégaux dans les prochains jours. Deux actions séparées, certes, mais qui enverront le même message d’alerte aux pirates et auront sans doute un effet dissuasif sur certains consommateurs.
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