Ilham Kadri: “La scission de Solvay n’est qu’un début, nous sommes des explorateurs”
Désormais CEO de Syensqo, Ilham Kadri raconte les coulisses de l’opération et souligne combien elle est vertueuse : clarté dans les métiers des deux entités, visibilité pour les investisseurs, séparation entre tradition et innovation… “Chez Syensqo, nous sommes des explorateurs.” Mais elle rassure : “Nous n’oublierons pas le cash.”
Ilham Kadri, devenue CEO de Syensqo, est une cheffe d’entreprise heureuse. “Je prends désormais la parole avec une bonne nouvelle à annoncer”, sourit-elle avant d’entrer dans le studio de notre Trends Talk. L’occasion de revenir sur cette fameuse “bonne nouvelle” – la scission réussie, fin 2023, de Solvay en deux entités, Solvay et Syensqo. Une évolution peu commune, dont Ilham Kadri assure qu’elle délivre déjà des résultats pour Solvay et qu’elle est pleine de promesses pour Syensqo.
“On ne se lève pas un matin en se disant que l’on va scinder en deux une société riche de 160 ans d’histoire, explique-t-elle. Le processus a été mûrement réfléchi et s’est fait de façon apaisée et patiente.”
Une scission voulue et plébiscitée
Lorsqu’elle est recrutée pour diriger Solvay en 2019, Ilham Kadri met en place une stratégie, baptisée “Grow”. Les analystes appellent alors Sovay “la belle endormie”. “Il fallait la secouer un peu et assainir les bilans, rappelle Ilham Kadri. J’aime le chiffre quatre. En quatre ans, on a désendetté la société de 4 milliards, on a laissé 4 milliards de liquidités et on a investi 4 milliards. Tout cela en doublant le rendement, qui est passé de 8 à 15 %. C’est important parce que sans bilan financier, vous ne pouvez pas rêver.”
A l’été 2021, l’étape suivante est discutée. “Nous avons regardé de façon très clinique la douzaine d’options que nous avions, dont le maintien en l’état, se souvient Ilham Kadri. Quand vous faites cela, il ne faut pas être émotionnel.” Finalement, en mars 2022, le projet de scission est entamé. “C’était une année assez exceptionnelle avec la crise de l’inflation, la guerre en Ukraine et une géopolitique très polarisée. Les gens de Solvay ont toutefois sublimé cette période difficile et nous avons mené l’opération à bien grâce à notre bilan, mais aussi grâce à l’embarquement de tous les employés. On ne fait pas cela tout seul !” La meilleure preuve, ajoute-t-elle, c’est qu’un employé sur quatre est devenu actionnaire de Syensqo pour appuyer le projet de scission.
Syensqo est une société de croissance, mais on va délivrer du cash, je vous l’assure.” – Ilham Kadri, CEO de Syensqo
Pourquoi une telle opération ? “Ce sont des activités très différentes, explique Ilham Kadri. Solvay prend en charge les technologies classiques et essentielles, qui ont besoin d’être gérées de manière efficace et qui sont des générateurs de liquidités. Syensqo peut se concentrer sur d’autres activités, tournées vers l’avenir et les solutions : les batteries, l’hydrogène vert, les thermoplastiques de la circularité… C’est de l’innovation proche des besoins des clients. Bien sûr, j’aurais pu continuer à gérer les deux, mais les besoins en infrastructures des deux sociétés étaient très différents. Une telle autonomie permet d’être mieux concentré sur les tâches et de prioritiser davantage les capitaux en fonction des besoins. Et cela donne de la visibilité pour les investisseurs. Nous étions un pot-pourri, il sentait bon, mais cela sentira encore meilleur.”
Cette scission, insiste Ilham Kadri, était voulue et non subie. Elle reposait sur un désendettement, crucial pour retrouver de l’accès aux capitaux. “Le plus souvent, c’est subi en raison d’une OPA ou des recommandations. Chez nous, c’était voulu et les actionnaires l’ont approuvée à 99,5 %.”
Syensqo : “Une start-up de 7 milliards”
Cette scission de Solvay n’est qu’un point de départ. Pour Ilham Kadri, à la tête de Syensqo, c’est le début d’une nouvelle aventure. “Je suis surprise chaque jour, s’enthousiasme-t-elle. Je connais tous ces business depuis cinq ans mais ce que nous vivons aujourd’hui est différent, je vous l’assure. D’ailleurs, nous nous appelons des explorateurs. Nous sommes une start-up, même si nous faisons 7 milliards et employons 13.000 personnes dans le monde. Nous sommes une grande société, mais l’esprit de la start-up est là. Nos explorateurs le vivent comme ça – on ne parle même plus d’employés.”
Syensqo a augmenté ses investissements dans les innovations de 2,8 % à 5 %, illustre notre interlocutrice. Sur les 13.000 employés, 15 % se consacrent à la R&D et 25 %, au contact avec les clients. “C’est une force de frappe extraordinaire, se félicite la CEO. Si c’est quelque chose que j’ai changé ? Quand je suis arrivée chez Solvay, c’était un monde d’ingénieurs – je n’ai rien contre ça, je suis ingénieure moi-même – qui célébrait peu les commerciaux. Maintenant, on les célèbre. Ce sont eux qui écoutent les clients, qui comprennent leurs besoins, qui génèrent les innovations et qui ramènent l’argent à la maison.”
Face aux nombreux défis de l’époque, Ilham Kadri se veut optimiste. “Je respecte les peurs et les interrogations. Il faut les intégrer et les écouter, mais il ne faut pas céder à une approche anxiogène sur le climat ou sur la science. C’est la même chose pour cette scission. Nous avons pris le temps d’avoir deux sociétés reconnues positivement par les agences de notation. Je les ai gérées ensemble depuis le 1er juillet, bien avant le résultat de décembre. Lors d’une scission précédente aux Etats-Unis, j’avais fait l’erreur de ne rendre les choses opérationnelles que 30 jours avant. Les premiers jours, nous avons eu trop d’inattendus, qui allaient de cartes bancaires qui ne fonctionnaient pas à des clients non livrés. Cela, on ne pouvait pas se le permettre.”
A ceux qui mettent en avant les débuts timides de Syensqo sur les marchés, Ilham Kadri réplique : “Les chiffres sont alignés sur nos prévisions. Nous n’avons jamais promis que les choses se feraient en une nuit. Et depuis l’annonce de la scission, en mars 2022, Solvay combiné a livré une meilleure performance en ce qui concerne le retour sur investissement pour les actionnaires, à 36 %. Il y a déjà des résultats. Le cours de Solvay en Bourse a augmenté de 6 ou 7 % parce que des investisseurs du Green Deal misent sur l’entreprise grâce à cette scission.”
Syensqo, c’est autre chose, reconnaît-elle : “C’est une société de croissance, mais on va délivrer du cash, je vous l’assure. Je suis assez connue pour être une ‘cash lady’… Les liquidités seront toujours présentes, mais elles serviront aussi à investir dans notre agenda de développement durable, qui est très important.” Car l’industrie, insiste-t-elle, sera au rendez-vous de la décarbonation. Syensqo le promet d’ailleurs pour 2040, 10 ans avant terme.
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