“Il n’y a pas de fumée sans feu” : six signes qui annoncent la fermeture d’Audi Brussels 

L'usine Audi de Bruxelles en décembre 2022 lors du lancement de la nouvelle Audi Q8 e-tron.
Sebastien Marien Stagiair Data News 

Le personnel d’Audi Brussels craint à nouveau la fermeture de l’usine, après avoir appris que la production du modèle électrique Q8 e-tron serait déplacée au Mexique et en Chine. Mais d’autres signes laissent présager cette fermeture : des volumes en baisse, le décès de la figure clé Roland D’Ieteren et une restructuration. Deux experts automobiles dressent une analyse détaillée, mais assez sombre de ce qui attend l’usine de Forest.

Les syndicats d’Audi Brussels ont exigé des explications à la direction sur l’avenir de l’usine, suite aux affirmations de Reuters et du magazine spécialisé Automobilwoche le week-end dernier, indiquant que l’usine belge perdrait la production de son SUV électrique, le Q8 e-tron. Entre-temps, la direction a confirmé la nouvelle aux syndicats. Selon Ronny Liedts, délégué principal du syndicat chrétien ACV-CSC Metea, la direction en Allemagne a été interrogée sur le futur de l’usine de Forest. La direction d’Audi Brussels doit désormais répondre à cette question. Parallèlement, les plus de 3 000 employés n’ont aucune visibilité sur ce que l’avenir leur réserve. 

Ce n’est pas une situation exceptionnelle. Il arrive souvent que les constructeurs automobiles déplacent leurs chaînes de production. En 2016, l’usine avait connu la plus grande restructuration de son histoire. Volkswagen faisait face à une surcapacité et l’existence même de l’usine était menacée, jusqu’à ce qu’Audi, une filiale de Volkswagen AG, annonce qu’elle recherchait une capacité supplémentaire à Bruxelles. 

Initialement, l’Audi A1 y était produite. Plus tard, l’usine de Bruxelles a pu fabriquer le premier modèle électrique de la marque : l’Audi e-tron. “Ensuite, l’usine a souvent été utilisée pour tester en première les nouvelles technologies de production de véhicules électriques”, explique Tony Verhelle, journaliste automobile chez Newmobility.news. 

Six signes avant-coureurs d’une fermeture  

Tony Verhelle a travaillé pendant plus de quarante ans pour le magazine Autogids avant d’écrire pour Newmobility.news. Avec son collègue Yves Wouters d’Autofans.be, ils analysent la situation chez Audi Brussels. Ils dressent tous les deux un tableau peu optimiste de l’avenir de l’usine automobile.  

1. Aucun nouveau projet 

 “La situation était censée être très positive pour Audi Brussels l’année dernière, commente Yves Wouters. “L’usine devait normalement produire la Q4 e-tron électrique, ce qui aurait assuré une plus grande stabilité en termes d’existence, car elle aurait alors construit deux modèles au lieu d’un. Cependant, la Q8 e-tron a vieilli d’un an et un nouveau modèle est prévu d’ici 2027. Cela entraîne une baisse des ventes. Fin 2023, la nouvelle est tombée sans aucune explication : Audi Brussels ne produira finalement pas la Q4 e-tron.“ 

Cette annonce fut “une énorme déception“, décrit Verhelle. “La Q4 aurait normalement été construite sur la plateforme MEB, également utilisée pour la série ID électrique de Volkswagen. En théorie, Bruxelles aurait ainsi été prête pour construire également d’autres modèles dans le futur.” 

Selon les experts, Audi Brussels dépend principalement des modèles premium. Les coûts de main-d’œuvre élevés dans notre pays impactent le prix de la production d’une voiture, et cela se ressent particulièrement dans le segment moyen de gamme, expliquent les experts. 

Cette année, trois modèles plus chers, dont l’A6, seront lancés”, indique Wouters. “Ils pourraient être particulièrement adaptés à la production à Bruxelles, mais il est frappant que la direction et le personnel n’aient encore rien entendu sur d’éventuels projets pour aligner leur production en conséquence. Il n’y a pas de fumée sans feu.” 

Alors que Volkswagen, avec toutes ses marques, vend environ 780.000 voitures électriques, Tesla en expédie 2 millions

Yves Wouters, journaliste d’Autofans.be

2. Baisse des volumes 

La baisse des volumes ne concerne pas seulement la Q8 e-tron, le modèle de SUV un peu plus ancien produit à Bruxelles. Cela fait un moment que les ventes de véhicules électriques au sein du groupe Volkswagen posent problème. 

“Le tout-puissant Volkswagen, qui était autrefois inébranlable, est devenu instable ces dernières années et se trouve à un tournant. L’impact est particulièrement important pour ces marques. Alors que Volkswagen, avec toutes ses marques, vend environ 780.000 voitures électriques, Tesla en expédie 2 millions”, explique Yves Wouters. “Même en Chine, le groupe Volkswagen AG perd rapidement du terrain face au succès des constructeurs chinois.” 

La question se pose : l’Union européenne a-t-elle causé du tort à ses propres marques automobiles avec son ambitieuse électrification du parc automobile ? D’ici 2035, il ne sera plus possible de vendre de nouvelles voitures diesel ou essence dans l’Union. “Non, c’est une vision simpliste“, estime Wouters. 

“Regardez Stellantis (un groupe comprenant des marques telles que Peugeot, Fiat, Opel et Citroën, ndlr) ou Renault. Ces constructeurs ont pu s’adapter parfaitement. De plus, d’énormes usines de production de batteries sont en construction en France. Volkswagen a tardé à se lancer dans les voitures électriques parce qu’il a été inattaquable pendant vingt à trente ans. Aujourd’hui, le groupe recherche toujours la bonne formule, et cela se traduit par une sorte de procrastination. Tout à coup, la Polo reste en production plus longtemps, après qu’il a été révélé que la Volkswagen ID2 électrique abordable ne sera disponible qu’en 2025. C’est frappant, car il y a actuellement une demande croissante pour des voitures électriques abordables.” 

3. Restructuration chez Volkswagen  

En raison de ces chiffres décevants, il est devenu évident chez Volkswagen AG que des changements vont survenir. À la fin de l’année dernière, les usines allemandes dédiées à la production de voitures électriques ont été à l’arrêt pendant une longue période. La stratégie est actuellement remise en question, ce qui pousse le groupe à opter pour des économies de coûts. 

Un exemple: la récente décision de produire la nouvelle Audi Q8 e-tron au Mexique, où la main-d’œuvre est moins chère. La décision de ne pas fabriquer la Q4 e-tron à Bruxelles en découle également directement. “Volkswagen AG partait du principe d’une pénurie de capacités, ce qui aurait nécessité l’intervention d’Audi Brussels pour produire la Q4 e-tron. Cependant, il s’avère maintenant qu’il y a plutôt un excédent de capacités, notamment dans l’usine de Zwickau, en Allemagne. Il s’agit de la plus grande usine de Volkswagen dédiée à la production de voitures électriques. Il est actuellement moins coûteux pour le groupe de produire les Audi là-bas”, explique Tony Verhelle. 

“Vu la structure actuelle des coûts, il n’est plus possible de continuer ainsi. Volkswagen recherche rapidement des solutions. Il est frappant que l’entreprise demande conseil au Français Renault. Ce dernier fabrique une Twingo électrique, disponible à partir de 20 000 euros. Volkswagen rencontre d’énormes difficultés à réduire les coûts. C’est pourquoi il opte pour la production dans des pays moins chers.” 

Vu la structure actuelle des coûts, il n’est plus possible de continuer ainsi. Volkswagen recherche rapidement des solutions. Il est frappant que l’entreprise demande conseil au Français Renault.

Tony Verhelle, journaliste chez Newmobility.news

4. Moins d’atouts  

Mais l’usine belge n’a-t-elle pas ses propres atouts ? Bruxelles a été la première usine Audi à produire des voitures électriques. De nouvelles technologies y sont testées, et les travailleurs possèdent une grande expérience, comme l’a souligné le syndicat d’Audi Brussels dans l’émission De Ochtend sur Radio 1. 

Tony Verhelle craint que cette position avantageuse ne s’affaiblisse. “Le personnel compétent et la productivité élevée ont contribué à faire de l’usine Audi le premier choix pour la production des modèles électriques Audi. Avec le temps et l’émergence de nombreuses usines de voitures électriques, cela devient moins déterminant. De plus, parfois, des plans sont élaborés à long terme, comme avec la Q8 e-tron. Si le nouveau modèle est fabriqué au Mexique en 2027, il y a amplement de temps pour préparer ce processus.” 

5. Perte du pouvoir de lobbying  

Verhelle constate, en plus des coûts élevés de la main-d’œuvre qui pèsent sur les dépenses, d’autres aspects défavorables pour Audi Brussels. “Si, en raison de la surcapacité et de la préférence pour les pays à bas salaires, des usines doivent disparaître, cela pose un problème pour la compétitivité d’Audi Brussels. Elle doit principalement rivaliser avec les usines allemandes, qui sont confrontées à la même situation. Cependant, pour une entreprise allemande comme Volkswagen AG, il est bien sûr plus difficile de supprimer des emplois allemands que belges”, souligne Verhelle. L’expert automobile mentionne également que l’usine Audi Brussels est depuis longtemps considérée comme une “usine difficile” en raison du syndicat fort et assertif. La direction en Allemagne sait, grâce à l’expérience passée, que des actions de grève peuvent être rapidement organisées à Bruxelles. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles des efforts importants de lobbying ont été nécessaires par le passé pour assurer la survie de l’usine.” 

“L’ancien Premier ministre belge Guy Verhofstadt serre la main du PDG de Volkswagen, Ferdinand Piech, lors du lancement d’un nouveau modèle de l’Audi A3, produit à Bruxelles. Image : BELGA PHOTO BENOIT DOPPAGNE”

Verhelle se souvient d’un moment à la fin de 2006. “L’ancien Premier ministre Guy Verhofstadt s’est rendu en Allemagne pour discuter avec la direction de Volkswagen et avec le ministre-président de Basse-Saxe. Ferdinand Piëch était alors à la tête du groupe. Il était connu comme un patron très autoritaire, mais il y avait malgré tout une connexion avec Verhofstadt. Cela était également dû au rôle de Roland D’Ieteren, qui faisait office d’intermédiaire. Il avait été le dirigeant de D’Ieteren, l’importateur de Volkswagen, pendant de nombreuses années. D’Ieteren et Piëch étaient de la même génération et avaient même étudié ensemble à l’école.” 

En décembre 2020, Roland D’Ieteren est décédé, et selon les deux journalistes automobiles, une partie importante du pouvoir de lobbying d’Audi Brussels a ainsi disparu avec lui.  

Tony Verhelle, journaliste pour Newmobility.news

6. Des tensions entre VW et D’Ieteren  

Le journaliste automobile Yves Wouters ressent que la relation entre D’Ieteren et Volkswagen s’est détériorée depuis. “Lors des salons automobiles allemands, Volkswagen organise toujours des présentations de presse dévoilant ses nouveautés, mais on remarque que beaucoup moins de journalistes belges y sont invités. De plus, le personnel belge des relations publiques n’est pas autorisé à assister à la conférence de presse, car ils sont officiellement employés par D’Ieteren et non par le groupe Volkswagen.” 

“Il semble également que Volkswagen soit contrarié par le fait qu’il y ait encore un importateur en Belgique avec D’Ieteren. Alors que la relation avec Roland D’Ieteren était autrefois un atout, Volkswagen pourrait maintenant préférer assumer lui-même le rôle de distributeur.” 

“Je crains la fin d’Audi Brussels”  

Lorsque Tony Verhelle prend en compte tous ces signaux, il estime que la situation est sombre. “Je crains la fin d’Audi Brussels. La seule opportunité que je vois c’est que l’usine produise les modèles les plus luxueux du groupe Volkswagen, tels que les voitures Porsche et Bentley. Cependant, la direction de Volkswagen devrait être à nouveau convaincue, alors que les cartes sont moins favorables.” 

Je crains la fin d’Audi Brussels. La seule opportunité que je vois c’est que l’usine produise les modèles les plus luxueux du groupe Volkswagen, tels que les voitures Porsche et Bentley.

Tony Verhelle, journaliste pour Newmobility.news

“Il n’y a pas de fumée sans feu”, conclut également Yves Wouters. “Je trouve cela regrettable que cette analyse soit si négative, mais plusieurs signaux vont dans la même direction. Il est nécessaire d’avoir un nouveau départ pour Volkswagen et peut-être une toute nouvelle gamme de voitures. Mais en ce qui concerne Audi Brussels, il reste certainement une lueur d’espoir, car de nouveaux modèles électriques d’Audi sont toujours attendus cette année.” 

© Belga

Plusieurs scénarios pour le successeur de la Q8 e-tron 

La direction d’Audi Brussels examine différents scénarios pour le successeur de la génération actuelle du modèle de SUV de luxe Q8 e-tron, actuellement produit à Bruxelles jusqu’en 2027. C’est ce qu’a appris l’agence de presse Belga mardi auprès de Peter D’hoore, porte-parole de l’usine automobile à Forest. D’hoore ne peut pas confirmer que la prochaine génération du Q8 e-tron ne sera plus produite à Bruxelles, comme l’ont indiqué les syndicats de l’usine lundi. 

“La décision d’attribuer un modèle à une usine se fait lors de ce que l’on nomme les ‘rondes de planification’. Celles-ci ont lieu à la fin de l’année. La production du Q8 e-tron actuel et du Q8 e-tron Sportback a été lancée en 2022. Ce modèle est donc encore très récent et n’en est qu’au début de son cycle de vie. La capacité de notre site est actuellement bien utilisée”, a déclaré D’hoore. 

Le porte-parole ajoute que “Audi travaille en étroite collaboration avec le groupe VW pour optimiser l’attribution des usines dans le cadre du réseau mondial de production, dans le but d’assurer l’efficacité économique et l’emploi“. “Cela vaut bien entendu aussi pour Audi Brussels, pionnière dans la production de voitures électriques.” 

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