Humus x Hortense concilie durabilité et haute gastronomie: “Nous travaillons avec 24 saisons”

NICOLAS DECLOEDT et CAROLINE BAERTEN: "Nous sommes très fidèles à notre ­agriculteur biologique."

Humus x Hortense est le premier restaurant gastronomique purement ­végétal à décrocher un 16/20 dans le guide Gault & Millau. Il a également été récompensé par une étoile Michelin et occupe la neuvième place dans la liste des meilleurs restaurants de légumes du monde établie par We’re Smart World.

L’entretien avec Nicolas Decloedt et Caroline Baerten, les chefs du restaurant Humus x Hortense situé à Ixelles, s’est déroulé un jour de février, alors que les agriculteurs manifestaient bruyamment à Bruxelles. L’établissement s’approvisionne en légumes auprès de la ferme bio Le Monde des Mille Couleurs de Dries Delanote. Nicolas Decloedt signe les plats, Caroline Baerten les boissons et l’intérieur. Les deux chefs, qui forment également un couple à la ville, ont une vision de l’alimentation et de l’agriculture très différente de celle des agriculteurs qui ont pris d’assaut les routes européennes. C’est ce qui ressort, notamment, du rapport sur le développement durable que produit le grand restaurant. Ce rapport ne porte pas uniquement sur les ingrédients utilisés et la manière dont le restaurant évite le gaspillage alimentaire, mais également sur l’utilisation efficace de l’eau et de l’énergie, la conception durable et l’utilisation des transports publics.

“Nous travaillons depuis 12 ans à ce que l’on appelle la décarbonation, c’est-à-dire à rendre notre empreinte écologique aussi faible que possible, explique Caroline Baerten. Nous nous approvisionnons dans un rayon de 100 kilomètres. Nonante-neuf pour cent de nos produits proviennent d’un seul agriculteur, Dries Delanote. On peut faire la distinction entre l’agriculture dégénérative et l’agriculture régénérative. Dans l’agriculture dégénérative, on utilise des engrais et des pesticides pour reconstituer le sol, car les nutriments sont retirés du sol lors de la récolte. L’agriculture régénérative, que propose Dries, prend soin du sol. Toute la vie se trouve dans les 50 premiers centimètres de terre. Dries n’utilise pas de pesticides, mais améliore constamment son sol. En tant que chefs, nous en sommes très heureux, car les saveurs en bénéficient. Pour les spiritueux que nous utilisons, il a été un peu plus difficile d’opter pour des produits durables et locaux, mais j’ai trouvé une distillerie en Belgique qui travaille avec des céréales biologiques. Nous travaillons entièrement sur base de plantes. Pas de viande, pas de poisson chez nous. C’est le meilleur moyen de réduire notre empreinte écologique. C’est aussi notre mode de vie. Nous ne faisons pas de différence entre notre vie privée et notre vie professionnelle. Il serait difficile de travailler avec des producteurs de viande si vous n’en mangez pas vous-même.”

TRENDS-TENDANCES. Humus x Hortense ne veut pas gaspiller la nourriture. Il semble très difficile de ne rien gaspiller du tout. Comment faites-vous ?

CAROLINE BAERTEN. Il est important de faire la distinction entre les pertes et les déchets alimentaires. Dans le premier cas, il s’agit de la nourriture perdue sur le terrain, par exemple parce que la demande est différente de ce qui se trouve sur le terrain. Nous ne travaillons pas seulement avec les quatre saisons, mais avec 24 micro-saisons. Depuis 13 ans que nous collaborons avec Dries, notre agriculteur biologique, nous avons constaté que le rythme de la nature change toutes les deux ou trois semaines. Dries nous indique quels légumes sont au sommet de leur potentiel gustatif, et nous y répondons au maximum avec notre menu. Par exemple, si Dries manque soudainement de chou-fleur en raison des circonstances, nous n’allons pas en chercher au supermarché, nous adaptons notre menu en conséquence.

NICOLAS DECLOEDT. Aujourd’hui, par exemple, nous remplaçons les navets par du chicon. Nous avons aussi des carottes, des champignons avec des pousses de chou, de la betterave rouge, du céleri-rave, de la betterave jaune. Nous commençons à tester un nouveau dessert et la semaine prochaine nous travaillerons sur une nouvelle entrée. Nous sommes donc constamment en train de créer. Une chose naît d’une autre.

C.B. Dries sait que nous utiliserons un jour ou l’autre tout ce qu’il a prévu. C’est un système complètement différent de celui d’un agriculteur qui doit s’adapter au magasin ou au restaurant. En travaillant avec l’agriculteur de cette manière, on évite beaucoup de pertes de nourriture dans les champs. Par exemple, s’il y a beaucoup de soleil et beaucoup de tomates molles qui ne peuvent plus être transportées, nous pouvons en faire une passata. A une période, Dries disposait d’une grande quantité de feuilles de shiso, qu’il fallait utiliser rapidement. Nous l’avons achetée et, en collaboration avec un scientifique de l’alimentation, nous avons fait un praliné belge avec une ganache de shiso. Nous sommes très fidèles à notre agriculteur biologique.

Dans le restaurant, nous pouvons éviter le gaspillage alimentaire parce que nous travaillons avec un système de réservation, de sorte que nous savons exactement de combien d’ingrédients nous avons besoin. Il n’y a donc pas de perte en cuisine. Les épluchures de légumes et autres parties inutilisées sont transformées en infusions ou en macérations. Ce qui reste est collecté pour être utilisé comme compost dans l’agriculture urbaine. Nous avons un système entièrement circulaire.

“Le plus important pour nous est que chaque service soit ­complet. – Caroline Baerten

Votre rapport sur le développement durable aborde également des questions moins évidentes pour les restaurants, telles que l’efficacité énergétique et l’humidité.

C.B. Nous n’utilisons que des éclairages leds et nous travaillons avec un fournisseur d’énergie durable. De cette manière, nous nous assurons de changer les choses à la source. Nous utilisons des capteurs pour l’éclairage des toilettes. Tout dans notre restaurant est réglé pour consommer le moins d’énergie possible. Nous motivons également notre équipe par une prime à l’utilisation des transports publics ou du vélo. Nous réduisons ainsi la consommation de combustibles fossiles. Nos produits ménagers sont entièrement durables et les tables en chêne conçues pour nous ont été fabriquées à Bruxelles.


N.D. Nous aimons tout ce qui est beau, les matériaux durables. Nous n’inventons rien. Autrefois, cette beauté était presque la norme. Les choses étaient faites pour durer, maintenant elles sont faites pour se dégrader rapidement. Ce à quoi nous nous opposons. Nous revenons aux anciennes techniques. J’aime bien l’affirmation selon laquelle on se tourne vers l’histoire pour innover soi-même. Le fait qu’avant de devenir cuisiniers, nous ayons tous deux étudié l’art nous a fortement façonnés. L’art et la culture sont une source d’inspiration. En fait, je suis presque plus inspiré par quelque chose de visuel que par une carotte, par exemple. Sans cette inspiration visuelle, je dois travailler plus dur sur quelque chose de nouveau. Je peux aussi m’inspirer du jardin de Dries.

La durabilité ne concerne pas seulement le climat, mais aussi les personnes. C’est une question délicate dans le monde de la restauration, où de nombreuses histoires circulent sur le personnel de cuisine mal traité. Comment l’abordez-vous ?

C.B. J’ai malheureusement fait l’expérience du sexisme dans mon boulot antérieurement. Nous ne voulons pas que de telles choses se produisent dans notre entreprise. Nous nous efforçons d’assurer l’égalité entre les hommes et les femmes et nous prenons des mesures immédiates si nous constatons quoi que ce soit. Une fois, nous avons mis à la porte un client qui ne voulait pas être servi par une personne de couleur et qui tenait des propos racistes.

Qu’en est-il de la charge de travail élevée ? Comment veillez-vous au bien-être de vos employés ?

C.B. Nous avons limité le nombre de jours d’ouverture et de services. Nos employés ont trois jours de congé et travaillent quatre jours. Au total, leur nombre d’heures de travail correspond à peu près à une semaine de travail normale. Nous voulons aussi que les gens aient une vie en dehors du travail. Nous n’avons jamais connu cela nous-mêmes lorsque nous devions travailler 60 à 70 heures par semaine dans les restaurants.

N.D. Les repas de nos employés sont préparés avec les ingrédients de Dries. Nous n’allons pas travailler avec des produits de qualité pour les clients et donner de la camelote industrielle bon marché à nos collaborateurs.

Le secteur de la restauration est un secteur difficile. De nombreux restaurants se plaignent de la difficulté d’être rentable. Comment cela se passe-t-il pour vous ? Devez-vous augmenter vos prix pour compenser une fermeture de trois jours ?

C.B. Notre comptable est satisfait. Le plus important pour nous est que chaque service soit complet. Il y a des entreprises qui peuvent être ouvertes plus de jours mais qui ne sont occupées qu’à moitié les mardis, mercredis et jeudis.

Votre restaurant commence-t-il à être connu au niveau international ?

C.B. Récemment, nous avons été invités par Madrid Fusión à venir raconter notre histoire. Il s’agit d’un sommet mondial de l’alimentation. C’est là que Ferran Adriá (le grand chef de l’ancien El Bulli, Ndlr) est venu parler de sa cuisine moléculaire il y a 20 ans. Nous appelons ce que nous faisons de la “gastronomie botanique”, hyper-locale et hyper-saisonnière. C’est tout à fait unique. Nous sommes l’un des rares restaurants de gastronomie végétale au monde.

Utilisez-vous le terme “botanique” pour éviter les discussions politiques ? Des mots comme “végétalien” et les discussions sur le fait de ne pas manger de viande sont des sujets polarisants…

C.B. Nous n’avons pas d’enfants, mais nous sommes conscients que les générations futures ont besoin d’une planète vivable. Pour y parvenir, il faut changer les comportements. En tant que nutritionniste, je sais qu’il n’est pas nécessaire de consommer des produits animaux tous les jours. C’est surtout une question d’habitude. On peut remettre en question ces vieux schémas et en apprendre de ­nouveaux.

N.D. Allons-nous changer le monde ? Je crains que non, malheureusement. Nous pensons qu’il est important d’inspirer les gens en leur montrant ce qu’il est possible de faire. Nous avons maintenant 9.000 hôtes par an, certains reviennent naturellement. J’estime qu’en sept ans d’existence, nous avons accueilli environ 60.000 clients. Nous espérons également inspirer nos collègues. Nous voulons amener cette cuisine à un niveau tel que personne ne puisse plus en nier la valeur. C’est notre façon de montrer à nos collègues que c’est possible et que cela peut aussi être économiquement viable.

Le Green Deal européen stipule que notre agriculture doit devenir beaucoup plus biologique et durable. Nombreux sont ceux qui pensent que l’agriculture durable restera une petite niche et que l’agriculture industrielle est nécessaire pour nourrir le monde. Comment appréhendez-vous l’opposition entre ces deux systèmes agricoles ?

C.B. La déforestation qui a lieu pour s’assurer que l’on peut planter suffisamment de végétaux pour nourrir les animaux destinés à la consommation de viande a un impact énorme sur le monde. C’est pourquoi je préfère parler d’agriculture régénérative plutôt que d’agriculture biologique. En ­Amérique ou en Australie, on peut trouver des ranchs de milliers d’hectares qui travaillent de manière régénérative. Les ­animaux peuvent y avoir leur place. Ces agriculteurs déplacent leurs vaches, par exemple, de sorte que la terre où se trouvaient les vaches est naturellement fertilisée. Ils y plantent ensuite des céréales et des haricots. Lorsque les céréales et les haricots sont récoltés, ils plantent des citrouilles. Celles-ci peuvent également être combinées à d’autres légumes.

“Les agriculteurs sont devenus une forme moderne de serfs 
de l’industrie. Ils en sont 
complètement prisonniers. ” – Nicolas Decloedt

Nous avons beaucoup travaillé sur l’agriculture régénérative. En collaboration avec des chefs, des agriculteurs, des artistes et des scientifiques, nous avons lancé Soilmates en 2019, un mouvement visant à souligner l’importance de la couche arable, la couche supérieure de notre sol. Il est important de ne pas labourer sur cette couche arable et de ne pas utiliser d’engrais artificiels, afin que le réseau de micro- organismes de cette couche arable reste aussi sain que possible. Nous avons fondé Soilmates à la suite d’un rapport des Nations unies de 2014 sur lequel des centaines de scientifiques de haut niveau ont travaillé. Ce rapport affirmait que l’agriculture régénérative était l’avenir.

Le passage de l’agriculture traditionnelle à l’agriculture régénérative nécessite une période de transition de trois à cinq ans. Les agriculteurs doivent pouvoir s’en sortir financièrement, mais leurs dettes sont si élevées qu’ils ne peuvent pas prendre le risque de passer d’une agriculture traditionnelle à une agriculture régénérative. Le système est donc complètement ­bloqué.

N.D. C’est comme les vêtements Primark. Quelqu’un paie le prix de la camelote bon marché qui est produite. Les agriculteurs sont devenus une forme moderne de serfs de l’industrie, ils en sont complètement prisonniers. Et bien sûr, la terre est aussi complètement détruite par cette façon de travailler.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content