Heineken ou quand l’abus d’hypocrisie organisationnelle nuit à l’entreprise
Les actions des sociétés ne sont pas toujours cohérentes avec leur discours. La preuve avec les révélations faites sur Heineken qui continue à faire des affaires en Russie. Elles ont créé un véritable tollé aux Pays-Bas, certains analystes n’hésitant pas à parler d’une hypocrisie organisationnelle.
L’hypocrisie organisationnelle est une notion apparue en 1989 sous la plume de Nils Brunsson. Elle décrit des entreprises où il existe un décalage plus ou moins important entre action prescrite et action réelle. Ou quand le discours officiel diffère de la réalité. « Faites ce que je dis, pas ce que je fais»
Cette hypocrisie organisationnelle consiste aussi à recourir à la communication pour faire oublier la réalité des actions menées par l’entreprise. En offrant une image sociale valorisante (on se préoccupe, par exemple, de l’environnement, des droits humains ou encore de l’Ukraine) qui est en contradiction avec les pratiques réelles de l’entreprise (on continue, par exemple toujours, une activité extrêmement polluante, on exploite des individus ou l’on continue tranquillement ses activités en Russie).
Les avantages d’un comportement ambivalent
Ce comportement ambivalent offre l’avantage d’une certaine marge de manœuvre. Cette hypocrisie est en effet souvent menée dans un souci de performance économique. Elle permet de stabiliser temporairement l’entreprise face aux exigences parfois antagonistes d’une certaine réalité et la pression du discours dominant (qui peut être à la fois politique et moral). Elle est aussi encouragée par des demandes contradictoires issues des instances institutionnelles qui subsidient, de partenaires ou fournisseurs, ou encore clients qui achètent. Comme il est souvent impossible de satisfaire tout le monde, on passe simplement certains aspects contradictoires sous silence.
Cette hypocrisie organisationnelle peut même jouer un rôle positif en permettant à l’entreprise de se concentrer plus librement sur ses activités et donc augmenter singulièrement sa productivité. Certains n’hésitant pas à faire l’éloge d’une certaine opacité, la transparence plombant, parfois, tout fonctionnement économique. Une entreprise, comme les individus, ayant besoin pour survivre de pouvoir s’adapter à ses interlocuteurs et aux circonstances.
L’hypocrisie organisationnelle, tel un boomerang
Néanmoins pour que cette hypocrisie se cantonne à positionner l’entreprise de façon efficace et légitime, il faut que le discours et l’organisation d’action soient des systèmes indépendants qui interagissent sans se nuire. Plus concrètement, il faut que l’hypocrisie organisationnelle demeure bénigne et, surtout, qu’elle ne soit pas découverte. Lorsque cette hypocrisie est trop grande ou trop flagrante, elle peut se retourner de façon redoutable contre l’entreprise qui en a abusé. Lorsque la médiatisation de ce qui s’apparente alors à un scandale s’emballe, le risque est réel que cela pénalise durablement l’entreprise. De grandes entreprises comme Volkswagen, et maintenant donc Heineken, en ont déjà fait les frais.
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En septembre 2015, le monde découvre ainsi que Volkswagen a procédé à une triche généralisée. L’entreprise a introduit un logiciel « truqueur » sur ses modèles diesel. L’idée était que ce logiciel permette de contourner les règles mises en place par les organismes d’homologation. L’entreprise qui était alors l’un des leaders du secteur et bénéficiait d’une aura de sérieux va traverser l’une des plus grandes crises de son histoire. Elle ira même jusqu’à changer de slogan dans un grand acte de contrition. Dans le même ordre d’idée citons aussi les cas flagrants de green washing ou encore de pratiques frauduleuses au sein d’entreprises engagées dans le sociales ou l’humanitaire. La révélation de situations avérées d’hypocrisie organisationnelle impose humilité et discrétion à l’entreprise concernée si elle veut limiter les dégâts et s’éviter de réels préjudices comme un boycott massif. Une leçon que Heineken risque d’apprendre dans la douleur.
Heineken se réveille avec une gueule de bois grâce à ses brassins russes
Depuis une semaine, Heineken s’est réveillée avec une sacrée gueule de bois. Soit depuis la parution de l’enquête de la plateforme d’investigation Follow The Money. Celle-ci révèle que Heineken était non seulement encore présente en Russie, mais qu’elle aurait même lancé 61 nouvelles boissons dans ce pays en plus des 35 produits qu’il y vendait déjà avant la guerre en Ukraine.L’entreprise brassicole se voulait pourtant l’un des fers de lance de la responsabilité sociale des entreprises et se targuait d’être l’une des premières entreprises à proclamer qu’elle allait quitter la Russie. Malgré ces beaux discours, et selon Follow The Money, “Heineken rompt sa promesse et investit quand même en Russie”.
Heineken – qui possède tout de même sept brasseries en Russie, qui emploient 1 800 personnes – va tenter de contrer les critiques. Elle va ainsi accuser la plateforme d’avoir diffusé des “informations incorrectes, absolument fausses et trompeuses ». Les employés locaux ne faisant que maintenir l’entreprise en activité pour éviter que le gouvernement russe ne nationalise tout. Elle précisera également qu’elle quittera bel et bien la Russie, même si cela lui coûtera environ 300 millions d’euros.
Les explications de l’entreprise ne parviendront cependant pas à calmer la tempête. D’autant plus que d’autres révélations vont suivre. Ainsi le très populaire d’Arjen Lubach révèle dans son De avondshow qu’Heineken ne se contentait pas de lancer de nouveaux produits. Elle remplaçait aussi des produits plus disponibles en Russie. Ainsi Heineken semble avoir lancé une alternative à la Guinness sur le marché russe avec une nouvelle bière stout.
Depuis ces révélations, l’entreprise baigne dans un parfum de scandale et les appels sur les médias sociaux à ne plus boire de Heineken ont fleuri aux Pays-Bas. Un pays où la question russe est particulièrement sensible depuis qu’un avion de ligne a été abattu au-dessus de l’Ukraine en 2014, tuant 192 Néerlandais. L’affaire prendra même un tour politique puisque Wopke Hoekstra, le ministre néerlandais des Affaires étrangères, a jugé les investissements russes présumés du géant brassicole “moralement inexplicables”.
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