Gunvor rachète Lukoil Belgique: un deal stratégique sous haute surveillance

Poutine et Timtchenko en 2015
Muriel Lefevre

En une semaine chrono, 180 stations-service belges passent d’un oligopole russe sanctionné (Lukoil) à un géant cypriot fondé par un ami de Poutine (Gunvor). Une rapidité qui soulève de nombreuses questions.

La vitesse d’exécution laisse perplexe. Une semaine à peine après l’annonce de nouvelles sanctions américaines visant les géants pétroliers russes Lukoil et Rosneft, le dossier semblait déjà bouclé. Jeudi dernier, Lukoil confirmait accepter l’offre de Gunvor pour l’ensemble de ses actifs internationaux. Et stoppait net toute discussion avec d’autres candidats repreneurs.

Pour la Belgique, l’enjeu est loin d’être anecdotique : 180 stations-service exploitées par des indépendants, des terminaux de stockage stratégiques à Neder-over-Heembeek qui approvisionnent d’autres pétroliers, et toute une infrastructure destinée aux clients professionnels. Sans compter les 45% détenus par Lukoil dans la raffinerie néerlandaise Zeeland Refinery qui alimente partiellement le réseau belge.

Rappelons aussi que Lukoil Belgique a réalisé l’an dernier 975 millions d’euros de chiffre d’affaires, pour un bénéfice net de 26 millions (+28,7%). Au niveau international, Lukoil International affichait 19,1 milliards d’euros de fonds propres en 2023.

Autant dire que si le montant du rachat des actifs de Lukoil n’a pas été communiqué, il risque d’être conséquent.

Un timing qui interroge

Cette célérité soulève des questions légitimes. Le géant russe semblait préparé aux sanctions américaines. Trop préparé ? Peut-être.

D’autant plus que le profil du repreneur alimente les réserves. Gunvor, trader pétrolier basé à Genève et enregistré à Chypre, affiche certes 136 milliards de dollars de chiffre d’affaires et 2.000 employés. Mais son histoire reste indissociable de Guennadi Timtchenko, oligarque russe et cofondateur de l’entreprise il y a un quart de siècle.

Ce proche notoire de Vladimir Poutine – les deux se fréquentent depuis les années 90 à Saint-Pétersbourg, unis notamment par leur passion commune pour le hockey sur glace – a atterri sur les listes de sanctions américaines et britanniques dès 2014, après l’annexion de la Crimée. Le Trésor américain affirmait alors que les activités énergétiques de Timtchenko étaient “directement liées” à Poutine, suggérant même que le président russe “pourrait avoir accès aux fonds de Gunvor”

Sous l’œil américain

Quelques heures après les sanctions de 2014, Timtchenko cédait ses 44% à son associé suédois Torbjörn Törnqvist (86,12% aujourd’hui). Les liens avec Moscou ont été méthodiquement coupés depuis. Gunvor martèle qu’il n’a “aucune exposition significante à la Russie” et ne traite “plus de pétrole brut russe”.

Suffisant pour effacer une décennie de proximité avec le Kremlin ? Le doute est permis.

Et si les deux parties se sont déjà mises d’accord sur les grandes lignes de l’opération, celle-ci reste soumise à plusieurs autorisations, notamment celle du gouvernement américain. Vu le contexte c’est loin d’être une simple formalité. Et le risque est grand que l’approbation américaine se transforme en négociation politique.

Gunvor de son côté rappelle dans De Standaard qu’en 2014, Washington précisait que “les sanctions visant Timtchenko personnellement n’ont pas vocation à affecter l’entreprise”. L’UE a d’ailleurs approuvé l’an dernier, après screening sévère, l’acquisition par Gunvor de 75% d’une centrale BP à Bilbao.

Impact belge : business as usual ?

Pour les consommateurs et gérants de stations belges, le changement devrait cependant être minime à court terme. Les approvisionnements continueront, les contrats de gérance aussi.

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