Fusion Aedifica-Cofinimmo: nouvel âge d’or pour les maisons de repos ou victoire du profit ?

BELGA
Caroline Lallemand

La fusion entre Aedifica et Cofinimmo marque un tournant majeur dans l’immobilier de soins en Belgique. Ce rapprochement, qui donne naissance au plus grand acteur européen du secteur, avec plus de 12 milliards d’euros d’actifs, suscite des espoirs mais aussi des craintes. Si les actionnaires se réjouissent déjà des synergies financières attendues, une question importante est soulevée : les résidents des maisons de repos en sortiront-ils gagnants ?

La mégafusion historique entre Aedifica et Cofinimmo marque un tournant majeur dans l’immobilier de soins en Belgique. Sous réserve d’approbation par les actionnaires, cette fusion donnera naissance au plus grand acteur européen de l’immobilier de soins, et au quatrième mondial.

Sur la valeur combinée de 12,1 milliards d’euros, pas moins de 10,6 milliards (soit 88 %) sont investis dans l’hébergement des personnes âgées, principalement dans des maisons de repos privées commerciales. Les crèches (chez Aedifica), les bureaux et les cafés (chez Cofinimmo) représentent les parties restantes rapporte De Morgen. « Ils deviennent vraiment très dominants sur le marché des maisons de repos commerciales », déclare au quotidien flamand Bart Thys, responsable du secteur soins aux personnes âgées chez ACV Puls. Une bonne nouvelle pour les actionnaires, certes, mais aussi pour les résidents ?

Rénover et moderniser les structures

Côté pile, cette concentration de capital permet d’accroître la capacité d’investissement dans la rénovation, la construction et la modernisation des infrastructures. Les deux groupes, leaders du marché belge, affichent leur ambition de répondre au défi du vieillissement démographique en offrant des établissements mieux équipés, plus confortables et adaptés aux besoins spécifiques des aînés. La mutualisation des ressources pourrait également permettre d’accélérer l’innovation technologique (dossiers médicaux électroniques, domotique, sécurité), d’améliorer l’accessibilité et de renforcer la formation du personnel. Autant de leviers qui, s’ils sont effectivement activés, peuvent bel et bien contribuer à une meilleure qualité de vie pour les résidents.

Le revers de la médaille : la tentation du profit à tout prix

Mais cette mégafusion s’inscrit aussi dans une tendance lourde à la financiarisation du secteur, déjà dénoncée par de nombreux acteurs sociaux et syndicaux. Depuis les années 1990, la privatisation progressive du secteur des maisons de repos à but lucratif a conduit à une gestion axée sur la rentabilité, souvent au détriment des conditions de travail du personnel et de la qualité des soins prodigués aux résidents. Un rapport du Gresea (Groupe de Recherche pour une Stratégie Économique Alternative) rédigé en 2021 dans le cadre du projet européen « Soigner pour le profit », met en lumière les conséquences de la marchandisation du secteur sur les conditions de travail et la qualité des soins : réduction des effectifs, standardisation des services, diminution des investissements en matériel et en infrastructure, et stress accru pour le personnel.

Manque de personnel

La pandémie de Covid-19 a d’ailleurs cruellement mis en lumière ces nombreuses failles. Lors de la première vague, 64 % des décès liés au Covid-19 en Belgique concernaient des résidents de maisons de repos et de soins. Le personnel, déjà en sous-effectif, a dû faire face à une surcharge de travail sans ressources supplémentaires, prenant en charge des patients que les hôpitaux refusaient d’admettre.

Une étude récente d’OKRA, la plus grande organisation de seniors en Flandre, montre que les maisons de repos commerciales respectent plus souvent le strict minimum légal fixé en Flandre en matière de personnel. Thys rapporte des témoignages de jeunes travailleurs à qui, malgré un contrat signé, on refuse le poste car « le directeur n’a pas atteint ses objectifs financiers et ne peut plus engager ».

Le risque des soins low cost

En 2021, une enquête du journal De Morgen révélait également comment les maisons de repos privées étaient devenues des vaches à lait pour des sociétés comme Cofinimmo et Aedifica via des formules de sale and lease back. Le principe : elles rachètent les bâtiments des groupes de soins commerciaux, puis les leur relouent, souvent à des prix élevés et pour des durées fixes de 27 ans. Des organisations comme ACV Puls et OKRA s’interrogent depuis longtemps sur l’imbrication croissante entre immobilier et soins, notamment lorsque des groupes de soins reçoivent des actions en échange de la vente de leurs bâtiments et qu’ils ont donc tout intérêt à payer des loyers élevés, qui alimentent ensuite leurs dividendes. Et Thys d’ACV Puls de rappeler que ces sociétés bénéficient aussi du régime fiscal très avantageux des sociétés immobilière réglementées (SIR). Elles sont exonérées d’impôt sur les sociétés sur leurs bénéfices, à condition de redistribuer au moins 80 % de ceux-ci sous forme de dividendes à leurs actionnaires.

Des fonds publics détournés vers les dividendes

« Les fonds publics ne retournent pas dans les soins, mais sont détournés vers les actionnaires », déplore, de son côté dans De Morgen Margot Cloet, directrice générale de Zorgnet-Icuro, la principale fédération flamande des organisations de soins de santé en Belgique. Selon elle, cette consolidation révèle ainsi une faille structurelle dans un secteur massivement subventionné où les fonds publics ne sont pas réinvestis dans les soins mais détournés vers les dividendes.

Le défi du vieillissement

L’inquiétude est que la fusion entre Aedifica et Cofinimmo ne fasse qu’amplifier cette dynamique, surtout à l’heure où les défis liés au vieillissement deviennent plus pressants. Selon le rapport annuel de Cofinimmo, la Belgique aura besoin de 30.000 lits supplémentaires à l’horizon 2030-2035. En Belgique, Aedifica et Cofinimmo affichent fièrement un taux d’occupation de 100 %.

Un équilibre entre rentabilité et mission sociale

Le risque d’une domination du marché par quelques grands groupes, au détriment de la diversité de l’offre et de la concurrence, n’est pas à négliger non plus. Le prix des séjours pourrait ainsi augmenter dans ce contexte d’hyper concentration. Les pouvoirs publics et les régulateurs devront rester vigilants pour éviter que la logique du profit n’éclipse la mission sociale fondamentale de ces établissements, avertit le Gresea dans son rapport.

“Mais, ils n’investiront bien sûr que dans les régions où ça rapporte”, avertit encore Bart Thys dans De Morgen. « Là où il y a suffisamment de gens avec de l’argent pour remplir les lits. » Cela renforce, selon Margot Cloet, la nécessité de ne pas oublier les aînés plus modestes : « Il est essentiel de garantir aussi à ces personnes un accès à des soins de qualité. ». 

Le précédent Orpea : un avertissement

Le scandale Orpea en France a révélé les dérives d’une financiarisation excessive du secteur : rationnement des soins, dégradation des conditions de vie des résidents et maltraitances institutionnelles. Ce cas emblématique rappelle que la pression sur les coûts et la rentabilité peut se faire au détriment de la qualité des soins et du bien-être des aînés. Depuis, Orpea (devenu Emeis) a dû engager une transformation profonde, notamment en augmentant les budgets pour les repas, en améliorant le taux d’encadrement et en réorientant les investissements vers le soin plutôt que l’immobilier pur, détaille le site Capital.fr. Ce précédent doit servir d’alerte pour le secteur et inciter à un contrôle rigoureux des pratiques des grands groupes immobiliers de santé. 

La fusion Aedifica-Cofinimmo offre une opportunité unique de repenser le modèle de gestion des maisons de repos. Le défi sera d’exploiter au mieux la puissance financière du nouvel ensemble au service du bien-être des aînés, en investissant dans la qualité des soins, la formation des équipes et la personnalisation de l’accompagnement.

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