Fiscalité des entreprises : « Certains contrôleurs sont devenus de véritables prédateurs »
A l’occasion de la publication de son dernier « précis de fiscalité des sociétés », le fiscaliste Pierre-François Coppens nous brosse un portrait peu amène de la fiscalité des entreprises : toujours plus dense, plus complexe, avec une administration toujours plus intransigeante.
Conseiller fiscal, professeur à la Chambre belge des comptables, Pierre-François Coppens a édité une petite trentaine d’ouvrages et des centaines d’articles sur le droit fiscal. Son dernier opus, une nouvelle édition de son « Précis de fiscalité des sociétés » (dans la collection fiscale de l’ADFPC), vient de sortir. C’est l’occasion de faire le point avec un éminent expert sur la dernière actualité fiscale.
Au fil des éditions de votre ouvrage, qu’est-ce qui vous frappe dans l’évolution de la fiscalité des sociétés belges ?
Un premier élément évident est que les dernières lois sont toutes des transpositions de directives européennes et engendrent une complexité invraisemblable. Je pense notamment à la taxe minimum de 15% sur les bénéfices des multinationales. Cela a l’air simple, mais je me suis arraché les cheveux pour comprendre les mécanismes destinés à calculer ce taux entre filiales car ils s’accompagnent de mesures adaptatives. Pour atteindre ces 15 %, on transforme des déductions en crédits d’impôts avec des mécanismes complexes, les dépenses non admises, qui étaient peu nombreuses, se sont elles aussi complexifiées. Il y a une loi de décembre 2023 qui fixe la base minimum des multinationales, elle s’inspire de l’accord de l’CDE. Ce sont des règles qui sont d’une complexité ! Je ne sais même pas comment vont faire les entreprises. Il y a aussi des éléments positifs : le nombre de réserves exonérées aussi a augmenté. Il y a de plus en plus de réserves. Mais les conditions, les formulaires, les limites se multiplient et cela devient très compliqué.
Vous avez un exemple de cette inflation administrative ?
Par exemple pour bénéficier de la déduction pour investissement technologique dans des secteurs de l’environnement, il faut s’adresser à des cellules de la Région de Bruxelles-Capitale pour avoir des attestations, etc. C’est épouvantable. Cela vous dégoûte d’essayer d’avoir cette déduction.
Quand on parle avec des fiscalistes et des entreprises, on observe aussi une tendance toujours plus rigide de l’administration fiscale. C’est votre avis aussi ?
Oui, l’autre élément qui m’a frappé dans l’écriture de cet ouvrage est la tolérance zéro de l’administration. Une déclaration qui n’a que quelques jours de retard peut entraîner une faillite d’une entreprise. Pourquoi? Parce que la société qui est en perte, ces pertes sont remises en question parce que vous êtes en retard. Les pertes ne sont pas perdues, elles sont reportées l’année suivante. Mais comme vous devez payer l’impôt immédiatement, sans compter les amendes et les accroissements, vous mettez l’entreprise par terre.
Et certains contrôleurs sont devenus de vrais prédateurs. On leur dit parfois : mais rendez-vous compte de ce que vous faites, au regard d’une infraction minime ? La bonne foi est une notion qu’on ne retrouve plus beaucoup. Et ça, c’est quelque chose que je vois dans les lois récentes qui ont été structurées pour essayer vraiment de donner un maximum de pouvoir à l’administration. Les délais d’imposition se sont étendus. Les pouvoirs d’investigation se sont renforcés. Lorsque l’administration voulait taxer jusqu’à sept ans en arrière , elle devait auparavant notifier des indices de fraude. C’est fini. Elle peut simplement faire état de présomptions de fraude. Cela signifie que l’administration peut faire ce qu’elle veut, elle peut trouver un argument qui sort de son chapeau. Les combats deviennent très rudes. Donc les deux tendances que j’observe sont cette complexification et cette intransigeance qui devient presque sacralisée.
Comment l’expliquer ?
Alors je n’ose pas évidemment dire que c’est la faute de Vincent Van Peteghem parce que je l’ai déjà dit plusieurs fois, mais c’est quand même à mon avis un phénomène qui remonte à cette époque parce qu’il n’y avait pas avant autant de pouvoirs conférés à l’administration.
L’administration a pris le pas sur le ministre ?
C’est absolument clair. Le dernier ministre des Finances Vincent Van Peteghem me donnait l’impression d’être sous la coupe de quelques prédateurs qui sont des hauts fonctionnaires qui ont vraiment une vision radicale. Et c’est assez nouveau. Je reconnais qu’être ministre des Finances doit être un métier horriblement difficile. Mais quand on est dans une démocratie, il faut arrêter certaines dérives. Il y a eu un très bel article de Jacques Malherbe, un ancien professeur, sur « les dérives du droit fiscal ». Il montre l’évolution de l’abus de droit et la conception que l’administration en fait aujourd’hui.
Assez paradoxalement, il n’y a pas eu de loi programme, de grande loi depuis un an. Mais chacune des lois qui ont été votées constituent une incise qui va vers plus de sanctions et plus de dureté. Le seul incitant très intéressant, c’est la loi de mai 2024 qui augmente les déductions pour investissements. C’est vraiment la bonne mesure de ce mandat législatif. Mais tout le reste sont des mesures de procédure qui accroissent les pouvoirs de l’administration, qui renforcent les sanctions, qui refusent des déductions…. Et ce sont des formulaires à remplir à n’en plus finir.
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