Financement des start-up: le retour sur terre
Le contexte des levées de fonds dont les jeunes pousses se sont fait une spécialité est en berne. Négociations plus compliquées, valorisations qui fondent comme neige au soleil… Inquiétant pour les fondateurs, certes, mais simple retour à la normale disent les experts et les investisseurs.
La crise économique actuelle touche les start-up de la tech, tout comme n’importe quelle autre entreprise. Ce n’est pourtant généralement pas tant la flambée des prix de l’énergie ou la crainte d’un manque de clients qui les alarment à ce stade, mais la perspective d’un financement plus difficile. On le sait, pas mal de jeunes pousses évoluent sur le modèle du fundraising: pour se développer, elles lèvent des fonds auprès d’investisseurs en échange de parts dans l’entreprise. Cela leur permet de disposer des sommes nécessaires pour créer leur produit, engager les premiers employés, assurer le marketing et le développement.
Mais si ces dernières années, la multiplication des structures (privées comme publiques) et des business angels avait permis de rendre l’argent beaucoup plus accessible, la crise actuelle est en train de clairement changer la donne. “En théorie, nous devrions lever des fonds en 2023, mais le contexte n’est clairement pas bon, admet cet entrepreneur à la tête d’une start-up bruxelloise. Nous allons faire le gros dos pendant l’année qui vient et envisagerons ultérieurement une levée de fonds.” Cette stratégie, cette start-up qui commercialise un software as a service (logiciel sur abonnement) peut se la permettre parce qu’elle dispose de revenus récurrents et de quelques réserves provenant de sa précédente levée de fonds. Et même si l’entreprise n’est pas encore rentable, ses fondateurs ont accepté de réduire des investissements qui leur auraient assuré une croissance maximale. “Quand on a vu le contexte, on a rapidement préparé un plan permettant d’étendre le runway, c’est-à-dire la durée avant d’arriver à court de cash, nous glisse ce jeune patron d’une boîte de plus de 10 personnes. Comment? En nous refocalisant sur le coeur de notre entreprise, en éliminant les paris risqués et en ayant une discipline financière bien plus importante. Nous avons également repoussé des décisions stratégiques comme l’ouverture de nouveaux marchés ou le lancement de nouveaux produits ou de fonctionnalités. L’idée, c’est vraiment de ne pas prendre de risques additionnels.”
Fini, l’argent facile…
D’autres structures vont toutefois plus loin encore dans leur besoin de freiner leurs dépenses, réduisant notamment la voilure parmi les équipes. C’est que la situation économique et les perspectives inquiètent les différents écosystèmes… “Le marché qui était dans les mains des start-up est désormais dans les mains des investisseurs”, observe Frank Maene, managing partner du fonds Volta Ventures. Comprenez que dorénavant, ce ne sont plus les start-up qui dictent la loi mais bien ceux qui allouent les fonds. Après deux années durant lesquelles les jeunes pousses n’avaient aucun mal à trouver de l’argent et à profiter de valorisations énormes, les choses ont donc désormais totalement changé. “Ce n’est pas qu’il n’y a plus d’argent, note Frank Maene. Il reste disponible mais les investisseurs ne l’injectent plus aussi facilement et ne signent plus des terms sheets après deux meetings seulement. Désormais, tout le monde se montre bien plus prudent.” Il est vrai qu’en pleine période covid, alors que le digital montrait toute son importance, les start-up avaient l’embarras du choix et aucun investisseur n’avait envie de rater un bon dossier. Aujourd’hui, la prudence semble davantage de mise du côté des venture capitals (capitaux-risques) et des fonds. Avec, pour conséquence, une vraie morosité chez les entrepreneurs en quête de financement. “C’est une réalité évidente, pointe Thibaut Claes, invest manager à la SRIW. Beaucoup de négociations déçoivent aujourd’hui les fondateurs, soit parce que les montants qu’ils peuvent lever sont revus à la baisse, soit parce que la valorisation de l’entreprise est nettement moins élevée qu’espéré.”
Pour cet entrepreneur de la tech en pleine levée de fonds d’envergure depuis le début de l’année, le contexte n’a donc rien de simple. “Nos négociations prennent énormément de temps, admet-il. Et malheureusement, le temps ne joue pas en notre faveur. Quand les marchés boursiers dégringolent ou que Poutine profère de nouvelles menaces, nous en subissons les conséquences. Nous discutons avec de grands fonds qui revoient les conditions au fur et à mesure que le temps passe. Alors que l’on s’approche d’un accord, les conditions ne sont plus du tout les mêmes que celles en début d’année, tant sur les KPI (indicateurs clés de performance, Ndlr) opérationnels et financiers à respecter pour qu’ils investissent, que sur la valorisation de l’entreprise.”
Cette grosse scale-up aurait ainsi vu sa nouvelle valorisation fondre de 20% en quelques mois au cours des négociations. Certes, grâce à la très forte croissance qu’elle affiche dans un secteur en pleine expansion, l’entreprise semble conserver une valorisation intéressante, en hausse par rapport à son précédent tour de table très ambitieux. Mais d’autres ont nettement moins de chance, subissant de véritables down rounds: cela signifie que la valorisation de la boîte a fondu entre deux tours de financement, étant moins valorisée lors du tour suivant, ce qui n’est pas sans poser problème. Surtout quand la baisse est particulièrement importante. Cet été, l’exemple emblématique est venu de la scale-up Klarna. Cette fintech suédoise a vu sa valorisation fondre d’environ 80% lors de son dernier tour de table!
Beaucoup de licornes, ces entreprises non cotées valorisées à plus d’un milliard, ont perdu ce statut.” – THIBAUT CLAES (SRIW)
Des stars internationales comme Stripe ou Instacart ont, elles aussi, subi de solides décotes. Ces down rounds font même dire à Thibaut Claes qu’aujourd’hui, “beaucoup de licornes, ces entreprises non cotées valorisées à plus d’un milliard, ont perdu ce statut”. Difficile à dire, évidemment: les start-up d’ordinaire si enclines à communiquer sur leurs levées de fonds dans la presse s’abstiennent désormais de dévoiler leurs opérations en demi-teinte.
Dangers pour les fondateurs
La frilosité actuelle des investisseurs n’est pas sans fondement, reposant notamment sur les manques possibles de débouchés pour leurs jeunes pousses. “Pas mal d’investisseurs se rendent compte que les tours de table de ces deux dernières années ont été négociés à des prix beaucoup trop élevés et qu’ils y perdent des plumes, analyse l’invest manager de la SRIW. Ils font alors attention et se montrent plus sélectifs et plus prudents.” C’est que l’objectif final des investisseurs repose sur la vente de leurs parts, soit lors de tours de financement ultérieurs, soit lors de la revente. Mais si la valorisation des entreprises est à la baisse, ils risquent de ne pas s’y retrouver, et la situation pourrait se révéler dramatique pour les fondateurs. En cas de down rounds, les investisseurs qui auront prévu les clauses ad hoc voudront en effet d’abord récupérer leur mise, forçant les entrepreneurs à encaisser le choc, au risque de ne faire aucune plus-value, voire d’en sortir perdants. Et de l’avis des experts interrogés, cette perspective n’a absolument rien de théorique…
Pourtant, si nombre d’entrepreneurs de start-up soutiennent que le marché du financement subit une “dégringolade jamais vue” et une situation affolante, les experts (et les investisseurs) pointent plutôt un retour à plus de normalité, après un moment de flambée irrationnelle des investissements dans le secteur. “Ce sont les deux années précédentes qui étaient absolument anormales”, insiste Frank Maene. Et Thibaut Claes d’afficher la même position: “Le contexte des années précédentes étaient hors de toute logique. On voyait des valorisations énormes pour des entreprises vraiment très faibles. D’ailleurs, si l’on regarde l’évolution des valorisations et des montants investis au fil des ans, on voit que les années 2020 à 2022 étaient exceptionnelles. On revient aujourd’hui à une approche plus réaliste et beaucoup plus saine.” Plus saine dans le sens où les investisseurs vont de nouveau regarder plus en détail le business réel des jeunes pousses, et plus seulement leurs promesses futures.
Les start-up naissantes, celles en difficulté et celles qui n’ont pas rempli les objectifs annoncés risquent donc bien de ne pas être en bonne position pour arracher de fortes valorisations et minimiser leur dilution. Voire pour trouver du cash. Par contre, celles qui sont capables de montrer aux investisseurs la croissance de leur business et de leurs revenus ne devraient pas rencontrer trop de problèmes, même si les négociations sur leur valorisation risquent d’être plus tendues. On découvrira encore des deals très positifs, surtout lorsque les entreprises disposent déjà de rentrées en croissance et peuvent afficher un plan vers la rentabilité. De la “croissance à tout prix” qui n’est plus acceptée (ou alors rarement) et des investisseurs qui commencent à s’inquiéter plus vite de la rentabilité… Pas si anormal, finalement.
Que peuvent faire les start-up?
Le financement des start-up s’avère plus compliqué que lors des deux années précédentes. Pourtant, beaucoup misent sur des levées de fonds pour continuer à exister. Celles qui ont levé de l’argent auprès d’investisseurs ces 12 ou 18 derniers mois doivent plus que probablement envisager de trouver de nouveaux fonds, surtout si elles grandissent sans trop se soucier de la rentabilité immédiate de leur projet. Mais le climat n’est pas propice et les conditions (valorisation, dilution…) ne sont pas bonnes pour les fondateurs.
Que faire?
Pour Frank Maene, le mot d’ordre est de garder le cash: “Je conseille aux start-up de couper les coûts et de se montrer plus prudents que l’année précédente. Il ne faut plus jeter l’argent par les fenêtres mais, au contraire, s’assurer qu’un euro dépensé est susceptible d’en ramener un, voire plus. On explique aux fondateurs des start-up dans lesquelles on est entré qu’il faut être efficace”. Si cette stratégie freine inévitablement les jeunes pousses dans leur croissance en diminuant la prise de risque, cela les force par contre à se focaliser sur les initiatives les plus porteuses. Néanmoins, diminuer ses coûts et donc ses besoins en financement ne permet pas toujours de se passer de levées de fonds. Pas mal de ces sociétés risquent donc d’arriver à court de cash… “On leur conseille alors de quand même lever de l’argent, enchaîne le responsable de Volta Ventures. Y compris si elles doivent subir des baisses de valorisation de 20%. Car la réalité, c’est qu’on ne sait pas combien de temps va durer la situation, ni prédire si, à court ou moyen terme, le contexte sera plus favorable. Mieux vaut donc lever maintenant.”
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