Festival: les petits secrets des toilettes mobiles
Au pays des festivals, les toilettes sont une expérience en soi. Quel business se cache derrière ce passage obligé ? Plongée dans les petits coins qui font ce qu’ils peuvent pour rester propres.
En moyenne, on passe un an de notre vie aux toilettes. Il est cependant probable que cette moyenne ne doit rien aux toilettes d’un festival. Si on n’y échappe guère, ce lieu est bien le dernier endroit où l’on a envie de flâner. Ainsi à Werchter, par exemple, 820 toilettes couvertes sont prévues. Cela peut sembler conséquent, mais, au ratio, on est tout de même à une toilette pour 107 personnes. En sachant que ces mêmes personnes vont aux toilettes en moyenne six fois et demie par jour, cela donne une idée de l’ampleur du défi. La plupart des autres gros festivals tournent autour du même ratio. Ainsi aux Ardentes, c’est plus ou moins 600 toilettes (+ une quinzaine de rampes urinoirs de six personnes) pour 60.000 visiteurs quotidiens. Le seul à se démarquer serait Dour où il n’y aurait pas moins de 1200 pour 50.000 visiteurs par jour, soit un ratio d’une toilette pour 42 personnes.
Merci les GI’s
Le concept des toilettes mobiles est originaire des États-Unis et ne servait au départ qu’à l’armée américaine lorsque celle-ci était en manœuvre. Lorsque les Américains s’installent à Berlin après la Seconde Guerre mondiale, ils emportent dans leur bagage ces toilettes mobiles. Le concept va rapidement séduire les Allemands qui les font installer sur leur chantier. Car si de nombreuses personnes ne les visitent que lors de grands évènements, le gros du marché du secteur de la toilette mobile reste la toilette de chantier. Elle concerne en moyenne entre 60 et 70% des parts des marchés du secteur (bien que certaines entreprises ne sont spécialisées que dans les chantiers ou que dans les évènements). Le fait de pouvoir aller à la toilette sur son lieu de travail est en effet un droit et la toilette mobile est souvent obligatoire sur un chantier. Comme le précise Philippe de Braekeleer, managing director de Dexi Toi Toi (prononcer Toï Toï), « la législation telle qu’elle est en vigueur est vraiment dans l’intérêt du gars qui travaille sur le chantier. Mais c’est comme tout. S’il n’y a pas de contrôle ou s’il n’y a pas assez de contrôle, il y a du laisser-aller. Il reste donc une vraie marge de ce côté-là».
On ne manque pas de toilettes mobiles en Belgique
Ce n’est qu’à partir des années 1990 que ce secteur prendra réellement son envol en Belgique avec l’arrivée de Dixi Toi Toi et Cathy Cabine (désormais WCLOC). Le secteur compte aujourd’hui près de quinze gros acteurs, dont un gros tiers aurait une présence nationale. A ceux-là s’ajoutent beaucoup d’acteurs très locaux n’offrant qu’une centaine de toilettes. Il y a donc en Belgique plusieurs dizaines de milliers de toilettes mobiles (entre 15.000 et 30.000 selon les sources). On ne manque donc pas de toilette dans ce marché particulièrement concurrentiel.
Une saisonnalité marquée
C’est aussi un secteur touché par une certaine saisonnalité. Autant la construction que les événements connaissent des pics durant les beaux mois de l’année (à l’exception du congé du bâtiment) et un ralentissement certain les mois d’hiver. Cette dualité oblige les entreprises à être flexibles et représente un défi logistique selon les périodes. La gestion logistique est d’ailleurs l’un des principaux challenges économiques. Celle-ci inclut la livraison et la récupération rapides d’un grand nombre de toilettes, mais aussi la gestion des effluents (les excréments donc). Sans parler de la maintenance lors de leur utilisation.
Un autre problème relevé par Philippe De Braekeleer sont les zones à basse émission et le changement de tonnage maximum des rues et de certains quartiers. «C’est quelque chose qui se développe très fort en Belgique. Tout le monde, toutes les communes font de tout pour que le camion ne passe plus dans les rues. Mais si vous voulez construire une maison, vous avez le plus souvent besoin d’une toilette mobile. Or quasi toutes les sociétés sont équipées de gros camions permettant de prendre plusieurs toilettes et une citerne pour pouvoir faire les nettoyages et les vidanges. Je peux vous assurer que certaines toilettes sont devenues inaccessibles. »
Un secteur en pleine mutation
Le secteur des toilettes portables et des installations sanitaires mobiles est en pleine mutation, avec des tendances marquées par la saisonnalité, les défis économiques, et les avancées technologiques. Il existe une demande croissante pour des conteneurs sanitaires plus complets offrant un niveau d’hygiène supérieur et une meilleure expérience utilisateur (par exemple avec un lavabo pour se nettoyer les mains). Concrètement : on se contente de moins en moins d’une simple cabine avec juste un trou et une fosse.
Depuis quelques années – et surtout depuis la pandémie – l’hygiène s’est très fort renforcée. Plus que de la simple location de toilette, ils se voient « comme des prestataires d’hygiène », nous dit Michael Sluse, directeur de WC Loc Belgium & Luxembourg (Ex Cathy Cabines). L’entreprise propose un paquet complet permettant d’augmenter l’aspect sanitaire. « Un lieu propre et qui permet aussi de laver les mains. Un lieu qui fait que les gens n’ai pas de souci d’aller aux toilettes ».
Moins d’eau et recyclage d’urine
Un autre aspect en forte évolution est le souci d’écologie. Des exigences qui poussent le secteur à se tourner vers des technologies plus avancées qui permettent une meilleure gestion des ressources. Exit les produits chimiques, la plupart des entreprises proposent aujourd’hui des alternatives biologiques et plus économiques en eau. Comme les toilettes à aspiration (un peu comme celles des avions). Dans une toilette classique, il faut tirer 9 litres d’eau pour tout évacuer, alors que pour celles qui aspirent il ne faut que entre 0,5 et 0,8 litre. C’est ainsi 90 % d’eau en moins qu’il faut traiter. Ces technologies économes en eau ne sont pas qu’écologiques. Elles permettent d’avoir des coûts moindres, puisque c’est autant de volume que l’on ne doit pas transporter pour être traité. On estime que chaque toilette a une réserve moyenne de 250 litres, autant qu’il ne s’agisse pas que d’eau. WCLoc s’est même lancé dans le recyclage de l’urine. « Avec l’entreprise Toopi Organics on récolte l’urine humaine pour la transformer en engrais pour les agriculteurs », précise Michael Sluse.
Enfin bien qu’elles existent, les toilettes sèches ne suscitent pas encore un grand intérêt. Le système n’est pas encore assez solide que pour être généralisé pour de très grandes assemblées. Et elles ne permettent pas non plus de se laver les mains.
«Les gens sont des porcs »
Les gestionnaires font donc ce qu’ils peuvent pour maintenir l’ensemble rutilant. Et s’ils sont sales, ce n’est généralement pas de leur fait. Le nettoyage est souvent délégué aux festivals et le plus souvent réalisé par des étudiants. Les cabines elles-mêmes ne peuvent être complètement nettoyées que lorsqu’elles sont reprises, soit la nuit, soit après le festival. En cas de grosse affluence, il faudrait nettoyer les cabines toutes les dix minutes. Un travail ingrat et surtout sans fin. Comme le précise un membre du personnel de nettoyage dans De Standaard : « les gens sont des porcs ». Et ce serait particulièrement le cas pour les festivaliers. Une seule certitude : «au plus il est tard, au plus c’est sale». Une attitude peu civilisée qui a pour conséquence des toilettes régulièrement bouchées. De quoi se retrouver, littéralement, dans la m…
Heureusement, tous les festivals ne se ressemblent pas. Certains ont des festivaliers mieux éduqués et surtout une meilleure évacuation des eaux. Ce genre d’installation demande en effet une infrastructure énorme en termes d’eau et de drainage. Mais les terrains pour les grands évènements ne sont pas si nombreux à proposer une bonne liaison vers les eaux usées. Dans la plupart des cas, il n’y a tout simplement pas d’égout et il faut tout évacuer par camions-citernes vers les stations d’épuration les plus proches.
Autant d’aspects à méditer avant de ruiner l’endroit.
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