À l’heure où les principales sociétés d’assurance ont décidé d’imposer à leurs travailleurs de revenir au bureau, la question du télétravail structurel se pose : apporte-t-il réellement un avantage aux entreprises, ou ses inconvénients l’emportent-ils sur ses bénéfices ?
Cela fait désormais plus de cinq ans que, dans le sillage de la pandémie, le télétravail s’est généralisé. Avant cette période, il restait une mesure exceptionnelle, limitée à un petit nombre d’entreprises. D’après un échantillon réalisé par l’Antwerp Management School (AMS), quatre entreprises sur dix ne connaissaient aucun télétravail avant 2020. Pour 40 % d’entre elles, il n’était pratiqué qu’occasionnellement. Seule une petite minorité offrait déjà la possibilité structurelle de travailler à domicile. Ces chiffres proviennent d’une enquête menée début 2025 par le centre d’expertise Next Generation Work de l’AMS et l’Institut Vias, à la demande du Service public fédéral Mobilité et Transports.
Du provisoire au structurel
Ce qui a commencé comme une mesure d’urgence est devenu, dans de nombreuses organisations, une politique structurelle. En 2025, 86 % des grands employeurs belges interrogés par l’AMS offrent à leur personnel la possibilité de télétravailler de façon régulière. Dans les plus petites organisations, cela concerne trois employeurs sur quatre. Dans les secteurs de bureau, il est désormais la norme de travailler de un à trois jours par semaine depuis chez soi.
Malgré ces chiffres élevés, la perception du télétravail reste nuancée. Des entreprises comme Amazon ou Disney ont relancé le débat en demandant à leurs collaborateurs de revenir plus souvent au bureau. D’autres, au contraire, misent résolument sur un modèle hybride. Cinq ans après la « révolution » du télétravail, une question centrale refait surface : le télétravail est-il réellement bon pour le business ?
« Le principal effet du télétravail est la fidélisation. Les entreprises dotées d’une politique de télétravail solide réussissent mieux à conserver leurs employés. »
Flexibilité et structure
Beaucoup d’organisations réduisent encore trop souvent la question du télétravail à une interrogation sur la productivité : les employés travaillent-ils vraiment assez chez eux ? Une fixation compréhensible, mais selon les chercheurs, injustifiée et réductrice.
La professeure Kathleen Vangronsvelt, qui a dirigé l’étude à l’AMS, nuance : « Il n’y a pas de baisse de productivité. Les recherches le montrent de manière répétée. Le principal effet du télétravail, c’est la fidélisation. Les entreprises dotées d’une politique de télétravail forte conservent mieux leurs collaborateurs. »
Selon l’étude, trois employeurs sur quatre constatent des effets positifs sur la fidélisation et aussi sur l’attraction de nouveaux talents. « Les employeurs sous-estiment combien les travailleurs attachent de valeur à l’autonomie, explique Vangronsvelt. Perdre cette autonomie est un puissant déclencheur pour chercher un autre emploi. Dans cette optique, le télétravail est surtout un outil de fidélisation. S’il est bien appliqué, il devient un atout majeur pour l’entreprise. »
Lire aussi| Télétravail: un choix qui peut coûter cher
Vangronsvelt souligne également que le télétravail est souvent perçu par les employés comme une marque de confiance. « En tant qu’employeur, vous dites : je crois que tu fais bien ton travail, même si je ne te surveille pas en permanence. Cela donne du sens, et ce sens retient les gens. »
Le réflexe compulsif de vouloir vérifier que la personne travaille bel et bien en voulant tout contrôler comporte des risques : « Ceux qui se focalisent sur le contrôle et l’assurance que l’employé travaille vivent dans une illusion », dit-elle. « Les employés qui perdaient du temps chez eux le faisaient déjà au bureau. Mais les entreprises risquent de perdre de bons éléments s’ils sentent qu’il n’y a plus d’espace pour la confiance et l’autonomie. »
« Ceux qui se concentrent sur le contrôle vivent dans une illusion. Les employés qui perdent du temps chez eux le faisaient déjà sur le lieu de travail. »
La guerre des talents
Le télétravail est ainsi devenu un facteur clé dans la guerre des talents, souligne Katleen Jacobs, business manager HR Advisory chez SD Worx, partenaire de l’étude AMS. « Si les gens trouvent plus de flexibilité ailleurs, ils changent rapidement d’employeur », explique-t-elle.
Dans la pratique, SD Worx observe que c’est la combinaison de flexibilité et de structure qui fonctionne le mieux. « Les gens veulent de la liberté de choix, mais aussi un cadre clair. Quand cette organisation est bien pensée, elle renforce l’engagement et réduit le turnover. »
Pas de recette universelle
Au-delà des effets sur la fidélisation et l’image employeur, la question de la productivité reste centrale. Comment les télétravailleurs performent-ils sur le long terme ? Les chiffres de l’enquête AMS montrent une image plus nuancée que les idées reçues.
La majorité des répondants perçoivent un impact positif du télétravail sur la productivité. C’est le cas pour 44 % des CEO, 71 % des chefs d’équipe et 66 % des professionnels RH.
Cependant, 32 % des dirigeants signalent un effet négatif. « Cette divergence dépend du contexte, explique Katleen Jacobs. La productivité est liée à l’organisation du travail, à la maturité des équipes et au niveau de confiance. Si le télétravail est autorisé sans cadre clair, le risque est que les gens s’enlisent. Mais si l’on définit des rôles, des objectifs et une structure, cela devient au contraire un levier de performance. »
« L’idée selon laquelle les gens travaillent moins à domicile est tenace mais généralement fausse, ajoute Kathleen Vangronsvelt. Dans beaucoup d’entreprises, c’est même l’inverse : les télétravailleurs sont moins interrompus, planifient mieux et participent à moins de réunions inutiles. Cela se traduit dans leurs résultats. »
Elle précise néanmoins qu’il n’existe pas de solution universelle : « Certains métiers et profils se prêtent mieux au télétravail, d’autres ont besoin de plus d’interactions. Pour construire une politique hybride durable, il faut regarder avant tout la nature du travail, et non le lieu où il s’effectue. »
Absentéisme
La fidélisation et la productivité sont les deux principaux indicateurs de la valeur du télétravail pour l’entreprise, mais ce ne sont pas les seuls. Selon l’étude, un employeur sur deux constate une baisse de l’absentéisme grâce au télétravail, et quatre sur cinq notent un effet positif sur l’engagement des collaborateurs.
Les répondants mentionnent aussi des économies de coûts et des bénéfices écologiques, bien que les opinions soient plus partagées sur ces deux points.
Dans l’ensemble, les conclusions laissent peu de place au doute : à la question le télétravail est-il bon pour les affaires ?, 71 % des organisations répondent un oui catégorique.
Cela ne signifie pas que le débat soit clos ou que le télétravail ne puisse pas, dans certains contextes, avoir un effet négatif. La charge de travail et la perte de lien social demeurent des points d’attention.
« Il faut bien comprendre que le télétravail ne rend pas le travail nécessairement plus léger », note Kathleen Vangronsvelt. « Beaucoup de gens fixent moins bien leurs limites, prennent moins de pauses, travaillent plus longtemps. Cela nécessite des accords clairs, mais aussi un leadership de proximité. »