Face à un deuxième confinement, les pubs anglais sous pression
“Catastrophe”, “goutte d’eau qui fait déborder le vase”… Déjà mis à rude épreuve par des mois de pandémie, les pubs anglais servent mercredi avec angoisse leurs dernières pintes avant au moins un mois de confinement.
Dans le très vivant quartier londonien de Soho, Joe Curran, propriétaire du pub The Queen’s Head, se demande ce qu’il adviendra de son entreprise en décembre. “On va payer ça pendant des années. Cette fermeture nous coûtera des milliers (de livres sterling) supplémentaires, sur des milliers déjà engagés”, déplore-t-il, interrogé par l’AFP. “Quand vous ne tenez plus qu’à un fil, vous devez sérieusement réfléchir à ce que cela implique”.
A partir de jeudi et jusqu’au 2 décembre, les Anglais sont appelés à rester chez eux. Les commerces non-essentiels devront fermer, tandis que les restaurants, pubs et cafés ne pourront proposer que livraisons ou vente à emporter. “Cela pourrait être la goutte d’eau qui fait déborder le vase pour des milliers de pubs et brasseurs”, s’est désolée Emma McClarkin, directrice de l’Association britannique des pubs et de la bière, qui représente quelque 20.000 établissements. “Cela va créer des perturbations majeures dans la chaîne d’approvisionnement”.
En Angleterre, les pubs constituent depuis des siècles l’épicentre de la vie sociale britannique et leur fermeture devient emblématique des bouleversements liés à la pandémie. Mais un quart d’entre eux a déjà fermé depuis une quinzaine d’années, sous l’effet de l’évolution des modes de consommation ou du contexte économique et fiscal, et en laissant bien d’autres en situation précaire.
– Appel à l’aide –
En annonçant leur première fermeture en mars, le Premier ministre Boris Johnson avait qualifié de “déchirante” sa décision d’enlever “aux personnes nées libres au Royaume-Uni le droit ancien et inaliénable d’aller au pub”.
Même si les pubs avaient pu rouvrir en juillet, les mesures de distanciation sociale doublées ensuite d’un couvre-feu à 22H00 ont sérieusement diminué leurs recettes. En temps normal, la West Berkshire Brewery produit cinq millions de pintes par an et gère cinq pubs. La première fermeture en mars a été “catastrophique”, explique son directeur Tom Lucas, qui a vu ses affaires chuter de 85% du jour au lendemain.
Et l’entreprise “ne s’est jamais remise”, soupire-t-il. “Même si nous avons rouvert nos pubs, ils ont accusé une perte de 30% à 50% de leur chiffre d’affaires par rapport à l’année précédente”.
La société a pu en compenser une partie, en se tournant vers la mise en bouteilles pour d’autres brasseries. Mais tout le monde n’a pas pu s’adapter aussi facilement, concède Tom Lucas, et “cela a mis une pression énorme sur le secteur”.
L’organisme professionnel de la restauration, UKHospitality, craint que ce second confinement soit encore plus difficile à surmonter que le précédent, à cause des effets cumulés. Selon sa directrice Kate Nicholls, si le secteur, “troisième plus grand pourvoyeur d’emplois de notre pays, veut survivre, il aura besoin d’un soutien équivalent -ou supérieur- à celui du premier confinement”.
– Pintes gâchées –
Cette nouvelle fermeture ne pouvait pas plus mal tomber, la période précédant Noël étant la plus chargée de l’année, comme le relève le propriétaire du Queen’s Head à Soho. “Nous allons peut-être pouvoir rouvrir en décembre, mais pas comme d’habitude”, s’est-il désolé, alors que c’est habituellement “le mois qui fait vivre l’entreprise”.
Depuis son Bank Tavern de Bristol, dans l’ouest de l’Angleterre, Sam Gregory enrage. Pour lui, les propriétaires de pubs payent pour le manque de prévoyance du gouvernement. “C’est une politique impulsive”, déplore-t-il, dénonçant des mesures “sans queue ni tête” et “balancées à la dernière minute”.
Selon TradeWaste, l’organisme chargé de collecter et recycler les déchets pour les entreprises, environ 7,5 millions de pintes vont être gâchées en raison du second confinement, s’ajoutant aux 70 millions de la première fermeture.
Pour limiter ce grand gâchis, la chaine Wetherspoons a décidé de servir de la bière pression à 99 pences (1,1 euro) la pinte dans ses 750 bars avant de les fermer. “De toute façon, toute la bière pression qui n’est pas vendue avant le confinement devra être jetée”, a expliqué Eddie Gershon, porte-parole du groupe.
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