Extra, la “success story” belge

© PG
Camille Delannois Journaliste Trends-Tendances  

Extra Shop, la chaîne de magasin wallonne inaugure son 44e magasin à Dour. L’occasion de revenir sur un exemple inspirant d’entreprise ayant misé sur la complémentarité entre le nord et le sud de notre pays pour faire de leur enseigne une réelle “success story” belge.

Le nom est familier en Wallonie, un petit peu à Bruxelles, mais complètement inconnu en Flandre. Pourtant, ce sont deux entrepreneurs flamands, Greet Huysentruyt et Stephan Lesage, qui sont responsables de l’enseigne Extra Shop, un magasin de vente au détail associant décoration et déstockage. “En fait, nous ne sommes pas conscients d’écrire une histoire entrepre­neuriale atypique avec Extra Shop. Nous nous voyons comme une entreprise belge”, explique le couple d’entrepreneurs. Ce qui n‘était au départ qu‘un modeste magasin de 100 m² est devenu une chaîne de magasins prospère comptant 44 magasins en Wallonie dont la superficie totale atteint 70.000 m².

Stephan Lesage et Greet Huysentruyt ont ouvert leur premier magasin en 1992. A l’époque, le fondateur de la chaîne travaillait en tant que vendeur de tapis en Flandre. “Je vendais à des petits commerçants qui trouvaient mes produits trop chers”, se souvient-il. En discutant avec l’un d’eux, il parvient à négocier des palettes de produits à des prix moins élevés. Il découvre alors les solderies : un type de commerce typique de la région de Mons et Charleroi, mais inconnu en Flandre. “L’idée de développer un business similaire m’est restée en tête”, explique-t-il.

Une opportunité se présente alors à Comines, pas très loin de l’endroit où habitent Greet Huysentruyt et Stephan Lesage à l’époque, et ceux-ci décident alors de se lancer dans l’aventure entrepreneuriale. “A cette période, la région frontalière était très animée, se rappelle Stephan Lesage. C’était un grand mélange entre les Français qui passaient la frontière et les Flamands et Wallons qui cohabitaient dans la région.” Le premier magasin est alors inauguré, occupe une surface de 100 m² (contre 1.500 actuellement) et s’appelait Eurobazar. “Il y avait moins d’offres qu’en Flandre-­Occidentale et nous pensions avoir plus de chances de réussir.”

Bien que le centre logistique et administratif se trouve à Zwevegem, le couple continue de s’étendre uniquement en Wallonie. “Une fois le premier magasin ouvert, c’était plus simple de poursuivre l’activité dans la même région, assure Greet Huysentruyt. Il suffisait de copier-coller ce qui avait été fait à Comines.” Ce n’est qu’en 2015 que la marque Extra sera créée (née d’une fusion entre Eurobazar et Lediscount, l’autre nom utilisé par le couple pour ses magasins à leurs débuts).

“Nous pouvons encore ouvrir une dizaine de magasins supplémentaires en Wallonie pour arriver à une soixantaine de points de vente.”

Spécialiste du déstockage

Outre une logistique différente et la modification d’étiquettes qui devraient alors être traduites, c’est également la gamme qui devrait être modifiée si Extra passait la frontière linguistique. “Sans aucun doute, l’assortiment devrait être adapté”, estime la responsable. A commencer par un changement dans les couleurs qui devraient être plus neutres en Flandre. “Les Wallons sont très expressifs et aiment colorer leur intérieur suivant leur émotion”, ajoute-t-elle. “Je pense que ça doit être plus gai de vivre comme un Wallon que comme un Flamand”, poursuit Stephan Lesage.

Stephan Lesage et Greet Huysentruyt, fondateurs de l’enseigne Extra Shop

Poudre à lessiver, linge de maison, accessoires de bain, cosmétiques, luminaires, objets de décoration, équipements scolaires, plaids, etc., voici quelques exemples de produits disponibles dans la gamme Extra. L’entreprise s’est spécialisée dans le déstockage, ce qui lui permet de proposer des prix jusqu’à 20% moins chers que la grande distribution. “Nous rachetons aux grandes marques des surplus de stocks, des produits en fin de promotion ou des produits avec d’anciens emballages et les proposons à des prix très avantageux”, précise l’entrepreneur. Concernant le chiffre d’affaires et la croissance de l’entreprise, les cofondateurs restent très pudiques. “Même si nous sommes implantés en Wallonie, nous restons Flamands et dans notre région, les gens aiment rester discrets”, glissent-ils. A ce jour, les entrepreneurs sont encore les seuls et uniques actionnaires de l’entreprise.

Le concept de l’entreprise se rapproche des magasins Trafic ou Hema combinés à l’inspiration de Maisons du Monde. Entretien, décoration et saison… les magasins sont divisés en trois zones. La première catégorie, qui est la plus importante, est consacrée aux produits d’entretien et de cosmétiques. Ces derniers sont majoritairement issus du déstockage. “On s’est engouffré dans une brèche laissée par la grande distribution lors de l’arrivée de Lidl sur le marché”, note Stephan Lesage. La réponse à ce nouveau venu de la part de la grande distribution avait été d’agrandir leur offre de produits alimentaires au détriment des produits DPH (drogueries, parfumerie et hygiène) qui ont alors été drastiquement réduits. “Je pense qu’en 10 ans leur nombre a diminué de moitié, c’est comme cela que nous sommes devenus spécialistes de la catégorie entretien.”

Vient ensuite la catégorie décoration où sont disponibles des produits tels que le linge de maison, l’art de la table ou des accessoires de salles de bains. “Notre mission est d’inspirer le client, nous misons beaucoup sur la créativité.” Enfin, la dernière catégorie – qui correspond à 30% du chiffre d’affaires – est celle des produits saisonniers avec des articles de jardins, piscines, les thématiques de Pâques, de la rentrée des classes et surtout Noël qui représentent une grosse partie des ventes. “Chacun de nos magasins arbore une dizaine de sapins de Noël magnifiquement décorés par nos collaborateurs selon des thèmes, explique Greet Huysentruyt. Les gens achètent alors l’arbre, mais aussi les décorations que le décorent.”

Au total, ce sont plus de 15 millions d’euros qui ont été investis sur plusieurs années afin de rénover les boutiques.

La formation en réponse à Action

Derrière ces décorations, ce sont en fait les formations d’employés qu’Extra met en évidence. “Vingt de nos collaborateurs ont été formés à la décoration des sapins de Noël et ont alors la possibilité de former ensuite d’autres personnes, c’est une manière de les responsabiliser”, poursuit Stephan Lesage. Chaque année, Extra investi entre un et deux millions d’euros dans la formation de ses collaborateurs dans diverses tâches. “Et c’est l’investissement qui rapporte le plus puisqu’un employé heureux sera productif”, observe-t-il. Il faut dire que sur 450 employés, Extra ne recense aucun burn-out. “Et c’est une grande source de fierté, soulignent les responsables. Aujourd’hui, le problème des entreprises c’est qu’elles cherchent uniquement de la main-d’œuvre. Or il faut pouvoir permettre à un employé de s’épanouir et cela passe par le fait de le responsabiliser et de lui donner des perspectives.”

Ce renforcement dans la formation des équipes vise notamment à offrir une “expérience shopping” au consommateur. Une réponse notamment à l’arrivée d’Action en Belgique qui a provoqué une remise en question du modèle. “Nonante pour cent de nos clients vont chez Action, mais ça ne les empêche pas de revenir chez nous”, assure Stephan Lesage. La chaîne qui était alors positionnée comme discounter a adopté une position différente sur le marché et a décidé de miser davantage sur l’expérience que sur le prix. “Il a fallu s’adapter”, confesse Stephan Lesage. Plafond, sol, éclairage… les cofondateurs ont transformé la totalité de leurs magasins. Au total, ce sont plus de 15 millions d’euros qui ont été investis sur plusieurs années afin de rénover les boutiques. “Auparavant, les magasins étaient plus désordonnés et moins bien agencés.”

Outre la rénovation des points de vente, l’assortiment a également été amélioré. “Nous ne vendons pas seulement des produits, mais des univers, ajoute-t-il. Si vous allez chez Action pour un rideau de douche, vous allez trouver un produit basique alors que chez nous il y aura plus de 12 thè­mes proposés et assortis à d’autres accessoires de salle de bain, tout en restant moins cher que les magasins spécialisés.”

Plutôt qu’être chasseuse de prix, l’enseigne veut se positionner dans le créneau de la durabilité. “On vend une gamme juste au juste prix”, assurent les entrepreneurs qui expliquent travailler avec des entreprises locales lorsque c’est possible. “Les balais, par exemple, sont fabriqués en Belgique, ils sont un peu plus chers, mais dureront plus longtemps”, promettent-ils. Pour le duo, l’important est le rapport qualité-prix. “Sur le moment, c’est un peu plus cher, mais sur le long terme ce sont des économies qui sont réalisées”, rappelle Stephan Lesage qui précise qu’il possède le même balai depuis 10 ans. “Lorsque nous achetons quelque chose, ce n’est pas pour le jeter quelques mois plus tard.”

La Flandre plutôt que la France

A contre-courant de ses concurrents, Extra n’a pas encore investi dans un site e-commerce. “En toute honnêteté, je ne comprends pas très bien pourquoi il faudrait nécessairement investir là-dedans, admet Stephan Lesage. Pour le moment, l’e-commerce n’est pas rentable. Je peux me tromper, mais je ne comprends pas très bien pourquoi il faudrait investir des millions d‘euros pour en per­dre chaque année.” Pour autant, l’idée de faire du commerce en ligne n’est pas rejetée, mais la priorité reste les points de vente. “La fonction sociale du magasin est trop importante.”

Aujourd’hui, les deux cofon­dateurs sont propriétaires d’un tiers de leur parc commercial. “Nous essayons de construire nos propres magasins et de ne pas les louer”, poursuivent-ils. Concernant l’emplacement, les entrepreneurs recherchent la parfaite combinaison “à savoir l’alliance entre une population assez importante et un pouvoir d’achat suffisant”. Bien que les permis soient compliqués à obtenir, l’entreprise souhaite encore ouvrir de nouveaux points de vente, mais le potentiel d’expansion est réel. “Nous pouvons encore ouvrir une dizaine de magasins supplémentaires en Wallonie pour arriver à une soixantaine de points de vente”, ajoute-t-il.

Si tous les deux sont de grands fans de la Wallonie et de la lan­gue française, ils voient davantage de perspective dans une implantation en Flandre qu’en France. Ce pourrait-il que l’arrivée en Flandre soit imminente ? “C’est sur la table, reconnaissent-ils. Et c’est la suite logique des choses même si ça risque de ne pas être simple.”

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content