Exaspération: les plateformes digitales du fisc enchaînent les problèmes

Ministry of finance | Ministère des finances SPF 14/06/2018 © BELGAIMAGE
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Trop is te veel. Au moment des dates butoirs pour le dépôt des déclarations à l’impôt des sociétés et des dirigeants d’entreprise, les plateformes numériques du SPF Finances – Tax-on-web, Biztax, MyMinfin – sont à nouveau en panne. Les professionnels du chiffre commencent à en avoir assez.

“J’ai commencé à utiliser Tax-on-web au début des années 2000, explique l’expert-comptable Philippe Nieus. Nous nous levions déjà la nuit pour pouvoir déposer les déclarations fiscales de nos clients parce que le système ne fonctionnait pas. Mais aujourd’hui, le problème est que c’est l’ensemble des plateformes qui dysfonctionne : MyMinfin, Biztax, Tax-on-web. Nous utilisons par exemple l’application Tax-on-web ou MyMinfin pour vérifier que les versements anticipés correspondent bien à ce que nous avons dans la comptabilité, pour vérifier les biens immobiliers, etc. Il y a toute une série de travaux que nous effectuons et où les programmes interagissent. Et s’ils ne fonctionnent pas, nous ne pouvons pas travailler.”

Les bugs s’étaient tellement multipliés que le ministre des Finances, Vincent Van Peteghem, avait accordé fin septembre un délai d’une semaine supplémentaire, jusqu’au 7 octobre, pour déposer les déclarations à l’impôt des sociétés. Mais même pendant ce délai, des problèmes ont encore été constatés.

Depuis plus de 20 ans

“Je travaille à l’ITAA (Institut des conseillers fiscaux et des experts-comptables) depuis sept ans, et je ne pense pas avoir connu une année sans report ou délai entraîné par une panne informatique, observe Alexis de Biolley, le conseiller pour les affaires extérieures de l’ITAA. Mais on peut penser que le problème est plus ancien encore.”

Le problème est aussi vieux que le lancement des premières plateformes informatiques au début des années 2000 : il y a quelque temps, un forum d’experts comptables avait lancé le concours de la plus ancienne capture d’écran relative à un bug d’une plateforme du ministère des Finances. Le gagnant l’a emporté avec une image de 2003.

“Ce n’est donc plus un hasard, c’est vraiment un manque de préparation, poursuit Alexis de Biolley. C’est épuisant pour nos membres qui sont confrontés à ces problèmes, alors qu’ils ont des plannings à tenir. Ils sont dans un métier où il y a énormément d’obligations administratives qui se concentrent à certains moments de l’année. Et évidemment, c’est toujours dans les moments les plus stressants, où se concentrent les deadlines, que ces choses-là arrivent.” La fin septembre et le début octobre sont en effet des périodes chargées avec les déclarations à l’impôt des sociétés, les déclarations des indépendants et dirigeants d’entreprise, et les déclarations TVA.

“Au niveau de l’Institut, nous essayons d’échanger avec l’administration de façon proactive et de la façon la plus intelligente possible pour que tout simplement cela n’arrive plus, parce que finalement cela dessert tout le monde. Mais nous nous sentons un peu démunis”, ajoute Alexis de Biolley.

Des coupures de plusieurs heures, parfois même une journée entière, ont été constatées.

Des interlocuteurs cloisonnés

Vice-président de l’ITAA et associé aux cabinets Numibel et Coficonsult, Vincent Delvaux relaie les plaintes de ses membres auprès de l’administration.

“Nous insistons beaucoup auprès des membres sur le fait de communiquer toutes les difficultés qu’ils ont et qu’ils fassent des captures d’écran. Pourquoi ? Parce que l’administration fiscale, comme toutes les administrations, est cloisonnée. Le service informatique est séparé du ministère et du cabinet du ministre. Et les informations que l’administration récolte ne sont pas les mêmes que les nôtres. L’administration nous rapporte quelques coupures d’un quart d’heure ou de 20 minutes. Mais sur le terrain, nous rencontrons l’exaspération de nos membres, qui subissent des coupures de plusieurs heures, parfois même une journée entière. Nous avons des contacts permanents avec le SPF Finances, le cabinet du ministre, le ministère même. Et ils nous écoutent. C’est pour cela que cette année, nous avons bénéficié d’un délai un peu plus long que les années précédentes.”

Des causes diverses

Au ministère des Finances, on ne se voile pas la face : il y a effectivement des problèmes, mais “les causes des problèmes sont très diverses, fait observer Florence Angelici, porte-parole du SPF Finances. Pour les citoyens ou les gens du chiffre, ajoute-t-elle, le résultat est le même et structurel, c’est-à-dire la non-disponibilité ou une lenteur dans les e-services. Mais comme la cause est parfois différente, nos services techniques doivent intervenir d’une autre manière. Des actions préventives sont mises en place, mais ne mitigent pas la totalité des risques sur les différents domaines. Pendant la dernière période, nous avons eu cinq jours avec des difficultés de plus de 20 minutes sur Tax-on-web”. Notre interlocutrice précise aussi qu’il y a parfois des effets en cascade, puisque certains bugs peuvent impacter diverses plateformes.

L’administration a identifié quatre grandes causes à l’origine des pannes. Il y a d’abord “des incidents pendant une intervention technique sur les bases de données du SPF. Ces interventions sont limitées le plus possible pendant ces périodes chargées, mais sont quand même inévitables à certains moments”, explique Florence Angelici. Pour remédier à ces désagréments, “il y a un projet en cours pour remplacer notre environnement base de données. Ce projet doit moderniser cette partie de l’infrastructure. L’architecture de la nouvelle solution est dessinée avec une attention spécifique pour les charges de plus en plus importantes”, précise-t-elle.

Il y a parfois des effets en cascade, puisque certains bugs peuvent impacter diverses plateformes.

Les bugs qui surviennent lors des processus d’authentification sont une deuxième cause de désagrément. Lors du processus d’authentification complexe, lié aux contrôles spécifiques et aux mandats utilisés dans les e-services, “notre système d’accès management et de contrôle des mandats n’était pas disponible, avec des effets sur tous nos services”, explique Florence Angelici. “Il y a un projet en cours pour simplifier les différents types de mandats et pour mettre en place un système plus robuste”, ajoute-t-elle. Et puis d’autres processus d’authentification – tel itsme – sont liés au système fédéral. “Le système géré par BOSA était bloqué et sa relance a pris un certain temps. Le SPF Finances n’a pas en main ce système, mais travaille le plus possible ensemble avec le SPF Stratégie et Appui BOSA pour faire passer des informations utiles et pour en souligner l’importance”, ajoute la porte-parole.

Il existe aussi des causes matérielles. “Une partie des problèmes a été causée par des cartes de réseau (qui) ne fonctionnaient plus. Elles ont dû être remplacées et la synchronisation de différents serveurs a pris du temps, explique-t-on encore au SPF Finances. Nous exécutons des activités de maintenance selon des best practices. Des incidents ponctuels restent possibles.”

Et puis, il peut y avoir un problème en amont, “un blocage sur MyMinfin qui est la porte d’entrée pour les citoyens vers Tax-on-web. Même s’il n’y a pas de problème sur Tax-on-web lui-même, le résultat est le même pour les citoyens”, souligne Florence Angelici qui ajoute : “Nous faisons attention à la bonne gestion de notre infrastructure. (…) Mais des interruptions sur un élément spécifique restent toujours possibles”. Et lorsque l’on arrive à des périodes chargées, telle que la fin septembre, les logiciels et les machines sont davantage sollicités “et la probabilité des incidents est plus élevée à ces moments”, dit-elle.

Un problème profond

Mais cela ne suffit pas à rassurer les professionnels du chiffre, d’autant plus que l’administration ne paraît pas se rendre compte de l’ampleur des difficultés qu’ils rencontrent.

“Nous entendons assez souvent que s’il y a des problèmes récurrents, c’est parce que nous sommes mal organisés et que nous rentrons les déclarations à la dernière minute”, poursuit Vincent Delvaux, qui observe que, c’est vrai, certains contribuables sont moins zélés que d’autres. “Même pour un cabinet comme le mien, où nous sommes une vingtaine de personnes, cela prend du temps de récolter les documents des clients, dit-il. Nous avons de bons clients qui signent rapidement les déclarations que nous commençons à déposer au mois d’août. Certains contribuables en revanche signent plus tard, voire ne signent pas, et ceux-là arrivent en dernier lieu. Mais ce n’est pas un problème d’organisation de nos cabinets. Dès le moment où l’administration reporte le délai au 7 octobre, nous devons pouvoir rentrer les déclarations jusqu’au 7 octobre sans souci.”

“Quand l’administration impose un outil, il doit fonctionner.” – Vincent Delvaux (ITAA)

Or, les pannes se sont poursuivies, même pendant la période de délai supplémentaire, laissant l’administration de marbre. À la demande entrée par une entreprise soumise à ces problèmes de connexion et qui désirait bénéficier de quelques jours supplémentaires après le 7 octobre, le fisc a en effet répondu : “Vous avez jusqu’au 7 de ce mois pour souscrire les déclarations en question. S’il n’est pas exclu et même avéré que vous rencontriez certains problèmes avec l’application Biztax, il est tout aussi avéré que ceux-ci ne sont pas permanents. Vous devriez donc être en mesure de souscrire d’ici le 7.” Et intraitable, l’administration conclut : “Par conséquent, aucun délai complémentaire ne sera accordé.”

“Nous avons dit à l’administration qu’il était impossible de continuer à supporter cette situation, qui dure depuis 20 ans, réagit Vincent Delvaux. L’administration elle-même ne sait pas d’où viennent clairement les problèmes. Je suis parfois enclin à croire ce qu’elle me dit, quand elle déclare qu’il y a une panne de 20 minutes, mais cela peut se traduire par une interruption de deux heures chez nous, parce que le problème peut être ailleurs. Mais savoir où se trouve la panne n’est pas le problème des contribuables et des mandataires. Nous avons encore eu une réunion ces derniers jours, au cours de laquelle nous avons insisté lourdement pour qu’ils cherchent la cause de ces problèmes et qu’ils se rendent compte qu’ils peuvent penser être en ligne, alors qu’ils ne sont pas accessibles. Le problème est profond puisqu’il est récurrent. Il existe depuis le début de Tax-on-web. On a tout évoqué : insuffisance de la plateforme et de la bande passante, etc. Mais quand l’administration impose un outil – pour rentrer une déclaration à l’impôt des sociétés, il faut passer par Biztax –, il doit fonctionner.”

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