EVS, la belle histoire belgo-américaine
La société liégeoise, célèbre pour ses ralentis télévisés, réalise un tiers de son chiffre d’affaires aux États-Unis. D’ici 2030, ce devrait être 50%, avec une Coupe du monde et des Jeux olympiques sur place. Son CEO, Serge Van Herck, nous raconte cette idylle.
Au cœur du New Jersey, une belle histoire belgo-américaine s’est enracinée. La société liégeoise EVS, qui vient de fêter ses 30 ans, a réussi la conquête de ce marché gigantesque. Arrivé à la tête de l’entreprise en 2019, Serge Van Herck prolonge cette romance après avoir déjà dirigé avec succès une autre entreprise technologique belge aux États-Unis : Newtec.
“Nous avons de bonnes technologies en Belgique et nous ne devons pas craindre de venir aux États-Unis, nous confie-il. Je dis souvent aux jeunes entrepreneurs que le marché américain est grand et donc plus facile à pénétrer que le marché européen, en l’absence de ‘United States of Europe’. Aux États-Unis, une fois que vous empruntez un canal de vente, il vous positionne partout, ou pratiquement. C’est un marché qui fonctionne de façon beaucoup plus structurée. On peut faire du scaling rapidement.”
Que l’on apprécie Donald Trump ou pas, le pays de l’oncle Sam devrait rester un lieu de croissance. Pour ces Belges, les opportunités dominent.
Vers la moitié du chiffre d’affaires aux Etats-Unis
EVS a été fondée en 1994. Sa success story, largement documentée, repose sur une nouvelle façon de réaliser des ralentis télévisés : le remplacement de la vieille technique sur bande magnétique par le numérique a permis une meilleure qualité et une vitesse maîtrisée. “Cette technologie numérique a révolutionné l’industrie, souligne son CEO. Le premier événement sur lequel nous avons été présents furent les Jeux olympiques d’Atlanta en 1996. Notre ‘première fois’ aux États-Unis…”
Les chaînes de télévision du monde entier, et singulièrement des États-Unis, découvrent la qualité du produit lors de cet événement planétaire. “Beaucoup de clients américains sont venus nous voir et se sont intéressés à cette technologie. Vu la demande, EVS a rapidement décidé d’installer une antenne sur place.” En 1998, un premier bureau a été ouvert dans le New Jersey. Un choix qui a porté ses fruits.
Actuellement, le pays de l’oncle Sam représente, pour l’entreprise, plus de 50 millions d’euros de son chiffre d’affaires sur un total d’environ 200 millions. La croissance est au rendez-vous. “À mon arrivée, en 2019, EVS employait 450 personnes pour un chiffre d’affaires de 103 millions d’euros, note Serge Van Herck. Cette année, 700 collaborateurs opéreront dans le monde entier et le chiffre d’affaires atteint désormais les 200 millions d’euros.” Et c’est loin d’être fini.
Le nord de l’Amérique devrait prendre une grande part de la croissance. “EVS s’est fixé pour objectif, d’ici 2030, d’atteindre un chiffre d’affaires dans le monde de 350 millions d’euros, not le CEO. Nous sommes sur une bonne trajectoire pour y arriver. Nous pensons qu’à cette date-là, la moitié de ce chiffre viendra d’Amérique du Nord.”
Cap sur la Coupe du monde 2026
La marche en avant américaine passera inévitablement par deux nouveaux événements planétaires : la Coupe du monde de football organisée conjointement en 2026 par les États-Unis, le Canada et le Mexique et les Jeux olympiques d’été à Los Angeles, en 2028.
“Depuis 1996, nous avons été présents à chaque Coupe du monde, chaque Euro, chaque JO comme fournisseur de premier plan, sourit fièrement Serge Van Herck. Nous venons de faire les Jeux olympiques de Paris dont nous sommes très fiers. Nous aurons maintenant ceux de Los Angeles. Pour la Coupe du monde 2026, les négociations sont encore en cours. Nous pensons que nous avons une grande chance de décrocher le contrat, car nous sommes les seuls à fournir cette technologie. Même si rien n’est fait tant que ce n’est pas signé.”
Aux États-Unis, le sport est omniprésent sur les écrans. “Les compétitions sont innombrables entre le base-ball, les différentes ligues de football américain, le hockey sur glace, etc., constate le patron d’EVS. Les budgets mis à disposition sont d’un autre niveau. La finale de la prochaine Coupe du monde de football se jouera au stade MetLife, dans le New Jersey. C’est une enceinte construite il y a une quinzaine d’années pour deux milliards de dollars. Le stade de Las Vegas, où s’est déroulé le dernier le Super Bowl, a coûté quatre milliards. C’est un autre monde par rapport à ce que l’on voit en Belgique.”
En effet, notre pays n’a même pas réussi à recueillir un consensus politique pour un nouveau stade national. Et la dernière enceinte neuve construite sur notre territoire remonte à 2013, à Gand.
“Pour EVS, c’est un marché important, vu les budgets mis à disposition par les chaînes de télévision, qui paient des droits de télévision importants, ajoute-t-il. Tout est plus vaste aux USA. Deux tiers des capitalisations boursières se trouvent ici.”
Risque, innovation et fiabilité
Pays de la démesure, les États-Unis sont également celui de la prise de risque et de l’ambition. “Dans la culture américaine, on dit ‘we expected to win’ là où en Belgique on préférera dire ‘we plan not to lose’, résume Serge Van Herck. Les choses vont beaucoup plus rapidement ici, avec davantage de moyens. La preuve, c’est qu’il y a nettement plus de financement disponible ici pour accélérer la croissance.”
Concrètement, EVS rencontre sur ce marché des pratiques qui n’ont pas lieu ailleurs. “Les Américains sont prêts à acheter sur papier et à prendre le risque d’acheter un produit que l’on ne fait que décrire, dit Serge Van Herck. En Asie, c’est impossible à imaginer, il faut d’abord voir le produit fonctionner.”
Il est essentiel de s’adapter et de comprendre en permanence ce que le marché attend. “Nos clients veulent également influencer notre feuille de route et notre vision du développement, ajoute-t-il. Ce sont des chaînes de télévision ou des fédérations sportives qui pèsent souvent lourd et si ces innovations répondent à un besoin, on pourra également revendre cela dans le reste du monde. Nous devons sans cesse continuer à développer de nouvelles technologies et améliorer le système. Après 30 ans, on n’en a pas fini avec le ralenti. Nous l’avons encore amélioré il y a deux ans grâce à l’intelligence artificielle pour transformer chaque caméra en slow motion.” EVS a également élargi sa palette en développant pour ses clients de nombreux outils hardware et software qui leur permettent de faire de la production en direct.
La réputation d’EVS lui permet de se situer dans une gamme de prix supérieure, gage de crédibilité.
Ce désir d’innovation n’est pas découplé d’un besoin de fiabilité et de stabilité. “Le premier client que j’ai rencontré quand je suis venu aux États-Unis, en octobre 2019 dans le Rockefeller Center, c’était le CTO de NBC, se souvient l’actuel CEO d’EVS. Il m’a félicité et m’a dit: ‘De tous les fournisseurs du monde entier, vous êtes le numéro un en ce qui concerne la technologie, la fiabilité et la qualité de service.’ L’après-midi, je visitais les installations de la MLB (Major League Baseball), qui est aussi cliente chez nous et peut compter sur 70 millions d’abonnés. Elle aussi louait aussi notre fiabilité. Notre réputation est impressionnante.”
Cela permet aussi à la société de se situer dans une gamme de prix supérieure, gage de crédibilité. “Ce qui est important aussi, c’est l’interface que nous avons avec l’utilisateur. Le ralenti vu à la télévision ne se fait pas automatiquement, des opérateurs EVS ont appris à utiliser nos outils, ce sont de véritables joueurs de piano. Ce sont eux qui décident les séquences. Cette liaison permanente est un gage de loyauté.” Une relation qui, jusqu’ici, noue des contacts durables avec les chaînes.
Le QG restera à Liège
Cette belle histoire américaine dont la source remonte à une start-up liégeoise, née au début des années 1990, pourrait-elle mener à une délocalisation, a fortiori avec une part du chiffre d’affaires s’orientant vers les 50% aux USA ? “Nous n’envisageons certainement pas d’installer notre siège aux États-Unis, nie Serge Van Herck. Nous y investissons de plus en plus et nous sommes de plus en plus présents, c’est une évidence. On essaie de mettre en place les bonnes personnes pour nous aider à réaliser cette croissance. Mais jamais un client ne nous a dit que l’on devait installer notre quartier général aux États-Unis. Nous sommes une cinquantaine à être présents ici et ce nombre va croître : ils savent que cela permet d’offrir les services dont ils ont besoin.”
Nous n’envisageons certainement pas d’installer notre siège aux États-Unis.
Serge Van Herck
CEO d’EVS
Par ailleurs, toute la recherche et développement d’EVS se situe en Europe de l’Ouest, majoritairement en Belgique, mais aussi aux Pays-Bas, en Angleterre et, depuis peu, au Portugal. “Notre culture de développement est meilleure et plus efficace que celle des Américains, explique son CEO. De leur côté, ils mettent davantage d’argent si cela ne fonctionne pas. De notre côté, nous serons toujours plus attachés à la qualité.”
Le contexte régulatoire, plus souple outre-Atlantique, n’est-il pas un incitant? “Nous ne sommes pas dans une industrie où l’on doit construire des usines avec un impact important sur l’environnement, notre business model consiste à avoir beaucoup d’ingénieurs pour vendre notre savoir-faire dans le monde entier. Aux États-Unis, toute notre activité est focalisée sur la vente et le support à la vente.” Et le contexte change, aussi. “Pendant le covid, nous avons vu des choses que l’on ne pensait pas possible : le gouvernement américain est intervenu auprès de clients qui étaient à l’arrêt. Chez nous, les sociétés pouvaient avoir des prêts, ici, ils donnaient de l’argent.”
Notre business model consiste à avoir beaucoup d’ingénieurs pour vendre notre savoir-faire dans le monde entier.
Serge Van Herck
CEO d’EVS
It’s the economy, stupid!
Le contexte politique découlant de l’élection américaine et le retour de Donald Trump dans le fauteuil du bureau ovale de la Maison Blanche ne déstabilisent pas l’entreprise belge. “Nous n’avons pas de raison de penser que cela aura une influence, pense Serge Van Herck. Durant la campagne, toutes les émissions directes étaient réalisées par nos clients avec de la technologie EVS, donc cela reste bon pour nous. Nous aurons toujours une carte à jouer.”
Le projet protectionniste de Trump n’est-il pas une menace potentielle ? “Toutes les chaînes nous utilisent, dont Fox Sports, sourit le CEO. S’ils ne veulent plus utiliser EVS, demain, ils peuvent fermer la chaîne. Nous avons des concurrents américains, mais ils sont en perte de vitesse. Il n’y a pas de bonnes alternatives.”
La crainte d’être remplacé n’est pas non plus de mise. “Le plus important pour nos clients, c’est la fiabilité. S’il y a une coupure dans une retransmission en direct, cela aura un impact sur ceux qui ont décidé. Ils prennent la meilleure technologie, qui en l’occurrence n’est pas la moins chère. Le Super Bowl, c’est 650 milliards de dollars de chiffre d’affaires en matière de publicité. On ne plaisante pas avec ça…”
Une entreprise belge conquérante, voilà qui explique aussi cette belle histoire d’amour.
Olivier Mouton, à New York
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