Eurostar Group mise sur de nouveaux trains pour augmenter fortement son trafic, et améliorer les alternatives à l’avion. Il doit aussi se préparer à une concurrence ferroviaire encore limitée, mais qui pourrait s’intensifier.
Toujours plus loin pour l’Eurostar ? L’opérateur des trains transmanche et des liaisons entre Paris et Amsterdam, via Bruxelles, a des ambitions de croissance. Il annonce son projet d’aller jusqu’à Francfort et Genève, via Bruxelles, une fois qu’il aura reçu de nouvelles rames, après 2030.
“Nous sommes en pleine négociation, indique Matthieu Quyollet, chief finance, strategy and transformation officer d’Eurostar Group. Nous allons acquérir entre 30 et 50 rames et espérons faire une annonce d’ici la fin de l’année. Ces cinq prochaines années, nous allons investir massivement.”
Il promet du matériel particulièrement sophistiqué. “Ce seront les seuls trains à grande vitesse capables de franchir autant de frontières. Nous aurons les trains les plus sophistiqués au monde.” Ceux-ci pourraient représenter 2 milliards d’euros d’investissement. Des discussions sont en cours avec des fournisseurs potentiels, sans doute Siemens et Alstom.
Une Europe du rail bancale
En effet, l’Europe du rail est particulièrement difficile à mettre en place, en raison d’une forêt de standards, de tensions électriques différentes, de règles nationales que les tentatives européennes d’harmonisation ne parviennent pas à unifier. Un avion va partout, pas un train. Par exemple, le passage du tunnel sous la Manche impose des certifications dont peu de trains disposent actuellement. Eurostar Group, contrôlé par la SNCF, dont la SNCB dispose d’une part minoritaire, compte profiter de son avance dans ce domaine pour grignoter le marché de l’avion.
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Basé à Bruxelles, Eurostar Group est le produit de la fusion entre Eurostar Limited, qui assure les liaisons transmanches à grande vitesse en rames bleu et jaune depuis 1994, et Thalys, développé pour desservir, depuis 1996, la ligne à grande vitesse entre Paris, Bruxelles et, plus tard, Amsterdam. Les deux organisations ont fusionné leur plateforme de vente de tickets. “Nous avons désormais une seule entreprise ferroviaire, une seule marque, un seul site de distribution, des lounges renouvelés à Bruxelles et Paris. Nous avons harmonisé l’offre clients”, explique Matthieu Quyollet.
Il reste un gros morceau: la flotte de trains, trop disparate. Sous le logo Eurostar qui étire une étoile sur chaque rame, on trouve 25 trains Eurostar “historiques”, des e320 de Siemens à 894 places et d’anciens e300 d’Alstom à 750 places, qui cohabitent avec 26 rames ex-Thalys rouges (371 ou 399 places), soit 51 attelages au total, qui ne peuvent rouler partout.
Avec la nouvelle commande, la flotte pourrait atteindre 67 trains. Ce sera la véritable réalisation du projet Eurostar Group, avec une seule livrée et une capacité à rouler partout.
En 2024, Eurostar Group a montré qu’il avait digéré la crise de la pandémie qui l’avait lourdement endetté. Il a annoncé pour 2024 un chiffre d’affaires de 2 milliards d’euros (+ 2%), un Ebitda de 346 millions d’euros, “et un bénéfice net de 155,3 millions d’euros.” Il a transporté 19,5 millions de passagers (+ 5%).
Avec la nouvelle commande, la flotte d’Eurostar Group pourrait atteindre 67 trains.
Forte croissance sur Londres-Paris et Bruxelles-Paris
La ligne Londres-Paris fait partie des liaisons qui ont le plus progressé (280.000 passagers de plus en 2024), avec Londres-Bruxelles (+ 250.000 passagers) ou Paris-Bruxelles (+ 160.000 passagers). Ces données expliquent pourquoi les actionnaires d’Eurostar Group ont accepté d’envisager l’investissement dans de nouvelles rames.
L’opérateur bénéficie de deux effets favorables. Il est d’abord poussé par un appétit plus grand pour les voyages en train comme alternative aux vols courts, notamment sur Bruxelles-Amsterdam, et l’image “verte” du train par opposition à celle de l’avion, quasi impossible à décarboner. Il est aussi porté par la demande des clients habitant hors d’Europe, qui apprécient de plus en plus voyager en train sur le Vieux Continent.
“Nous connaissons une croissance forte des clients des États-Unis ou du reste du monde, cela explique la forte croissance de la ligne Londres-Paris – nombre de voyageurs arrivent en avion à Londres –, mais aussi de Paris-Amsterdam ou Paris-Bruxelles”, précise Matthieu Quyollet.
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Réduction d’effectifs
Cette année, la croissance pourrait être portée par la réouverture de la ligne Londres-Amsterdam en février, suspendue pendant huit mois par la construction d’un terminal pour les trains transmanches dans la capitale néerlandaise.
Les dirigeants d’Eurostar sont ravis de cette croissance. L’objectif annoncé en 2022 par la CEO d’Eurostar Group, Gwendoline Cazenave, est de 30 millions de passagers en 2030, et bien au-delà avec les nouvelles rames.
Ce n’est pourtant pas l’euphorie qui guide les dirigeants d’Eurostar Group. Pour garantir une “croissance rentable”, ils ont aussi annoncé une réduction d’effectifs dans les bureaux de Londres et de Bruxelles. “Nous avons ouvert un plan de départs volontaires de 90 personnes au Royaume-Uni et de 50 en Belgique, détaille encore Matthieu Quyollet, soit moins de 5% des effectifs d’Eurostar Group, qui emploie 2.700 personnes.”
Dans ces projets d’expansion, Eurostar Group bénéficie également d’une relative absence de concurrence sur les lignes desservies. Le rail international est libéralisé depuis 2010, mais aucun opérateur alternatif n’a ouvert de service sur les lignes à grande vitesse desservies par Eurostar Group. Il y a bien eu des annonces, comme Air France-KLM et Trenitalia sur Paris-Bruxelles, mais rien n’est venu. La DB allemande avait annoncé une ligne Francfort-Londres via Bruxelles, pour 2013, en concurrence avec Eurostar, mais y a renoncé.
Ces derniers mois, plusieurs projets sont apparus sur Londres-Paris et Londres-Bruxelles. Le projet Evolyn, en partenariat avec Trenitalia, promet une entrée en service en 2029. Virgin Group s’intéresse à cette liaison. Un projet Gemini Trains est aussi annoncé, avec Uber.
Thalys + Eurostar = Eurostar Group
1. Fusion. Eurostar Group s.a. est une société de droit belge, basée à Bruxelles (Saint-Gilles), place Marcel Broodthaers, face à la gare du Midi. Elle est le résultat de la fusion des réseaux de trains Eurostar transmanche, opérés par Eurostar Limited (Royaume-Uni), et les trains Thalys, opérés par THI Factory, société de droit belge. Ces deux entreprises sont filiales d’Eurostar Group. La fusion est effective depuis 2022.2. Filiale de la SNCF. Eurostar Group est contrôlé à 55,75% par la SNCF. La SNCB en possède 18,5%, et la CDPQ (Caisse de dépôt et placement du Québec), 19,31%. Le solde est détenu par des fonds gérés par Federated Hermes Infrastructure.
3. Réseau. Le réseau est constitué des lignes Londres-Paris, Londres-Bruxelles, Londres-Amsterdam, Paris-Bruxelles-Amsterdam, et de trains entre Bruxelles et Paris d’une part, et des villes rhénanes (Cologne, Düsseldorf) d’autre part, plus des trains en hiver vers des stations de ski françaises (Eurostar Snow).
Une concurrence faible… qui pourrait se renforcer

Il y a tout au plus les trains ICE de la DB, reliant Bruxelles à Cologne et Francfort, en concurrence partielle avec les rames Eurostar (ex-Thalys), mais c’est le fruit d’un partenariat entre la SNCF et la DB. Eurostar Group laisse entendre qu’après 2030, ses trains pourraient atteindre Francfort, en collaboration avec la DB.
En somme, la concurrence ferroviaire d’Eurostar Group est surtout organisée par ses actionnaires opérateurs ou ses partenaires, souvent sur des lignes moins rapides. Ainsi la SNCF et la SNCB ont, sous la marque Ouigo, mis en service fin 2024 un train Bruxelles-Paris à petit prix, sur l’ancienne ligne abandonnée lors de la mise en service de Thalys, avec 2h30 de trajet. Les concurrents les plus importants sont sans doute les autres moyens de transport : l’auto, l’avion, l’autocar.
Ainsi, il apparaît que des années après l’ouverture à la concurrence du rail, les anciens monopoles restent largement dominants, du moins dans cette partie de l’Europe. Cette situation va-t-elle perdurer ? Dans l’aérien, l’ouverture à la concurrence a bouleversé l’offre : de nouveaux transporteurs sont arrivés (Ryanair, easyJet, Wizzair), les anciens monopoles se sont adaptés ou ont disparu, les tarifs ont diminué, les lignes se sont multipliées.
Dans le ferroviaire, cette transformation est nettement plus lente. Mais elle pourrait finir par prendre forme car on voit des concurrents arriver en Espagne, en France, en Allemagne, en Autriche sur de grandes lignes nationales. Peut-être qu’un projet transmanche finira pas aboutir. Si une commande de matériel était annoncée, cela confirmerait cette perspective.
Un signe encourageant est la commande passée par le groupe allemand Flix (FlixBus, FlixTrain), qui souhaite acheter jusqu’à 65 rames pouvant aller à 230 km/h, pour rouler en Allemagne et ailleurs en Europe. Il n’a pas précisé les destinations envisagées. Avant le covid, FlixTrain avait le projet de desservir Bruxelles-Paris, sur l’ancienne ligne, en promettant des tarifs low cost.
Une flotte disparate à standardiser
La flotte d’Eurostar Group est le point faible de l’opérateur. La fusion entre Eurostar ancienne version et Thalys a créé un parc de 51 rames (Alstom et Siemens). L’idéal aurait été de pouvoir utiliser ces trains partout sur le réseau, mais c’est impossible. Les trains provenant de la flotte Thalys ne peuvent rouler dans le tunnel sous la Manche, et sont donc exclus d’un axe essentiel. D’où l’achat de 30 à 50 rames plus flexibles.“Le but est de trouver un nouveau matériel capable d’aller absolument partout, d’harmoniser l’expérience client, et de nous simplifier la vie : il est complexe de gérer aujourd’hui quatre sous-parcs, avec des trains qui ne peuvent desservir toutes les destinations”, pointe Matthieu Quyollet. Le parc renouvelé pourrait compter 67 trains, et mettra fin au service des anciennes rames encore actives : les trains ex-Thalys et les e300 d’Eurostar, construits dans les années 1990.
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