Et si on buvait le vin… en canette ?

La Belgique, contrairement à la France, ne connaît pas de baisse de la consommation du vin. © Getty Images

Après la rentrée des classes, la grande distribution propose traditionnellement ses foires aux vins. Elles se déroulent dans un contexte plutôt positif puisque, contrairement à la France, le marché belge se maintient. À côté du sans-alcool, qui continue à creuser son sillon, c’est l’avènement des petits formats, dont la canette, qui anime le secteur.

Lors d’un aller-retour express dans le Bordelais pour fêter le centenaire du Château Brane-Cantenac, deuxième grand cru classé de Margaux, nous avons été surpris par la morosité qui anime nos collègues et les acheteurs français. Il se murmure que des baisses de vente, de l’ordre de 20%, se produisent sur différents segments et dans tout l’Hexagone.

Des chiffres récents, commandés par RTL France à l’institut Circana, axés uniquement sur la grande distribution font, eux, état d’un statu quo du blanc (+ 0,6%), mais d’une chute notable du champagne (- 2%), du rosé (- 6%) et du rouge (- 5%). Cette baisse de consommation s’accompagne, chez nos voisins, d’une solide baisse de production, à 37 millions d’hectolitres. En 50 ans, la France aura perdu la moitié de ses volumes. Cette chute de la consommation, dopée par une forte poussée hygiéniste, n’empêche pas, ô paradoxe, de voir le vin devenir la boisson préférée des Français de 18 à 25 ans, avec un score étonnant de 45%.

Et chez nous ? En fait, notre pays, malgré un lobby anti-alcool efficace, ne connaît pas cette baisse de la consommation. Selon les chiffres Nielsen demandés par Delhaize, le marché belge est resté stable depuis le début de l’année (du 1er janvier au 12 août) : il s’est ainsi vendu pour 676,1 millions d’euros de vins et de bulles sur les 32 premières semaines, soit un statu quo quasi parfait. Si l’on ne considère que les vins tranquilles, le marché a chuté de 1,9%, à 501,8 millions d’euros. En d’autres termes, ce sont les effervescents de tout poil qui permettent au marché de se stabiliser.

Le prix moyen par bouteille de vin tranquille varie, évidemment, selon les Régions : 5,38 euros à Bruxelles, 4,80 en Flandre et 4,90 en Wallonie. Le vin rouge continue à perdre du terrain, tandis que les vins blancs et rosés gagnent en popularité. Bordeaux poursuit sa décroissance, sauf chez Delhaize où le segment continue de progresser (1% depuis le début de l’année). Une “anomalie” qui provient de la politique d’achat en vrac de qualité et d’embouteillage de l’enseigne au lion dans son nouveau chai de Zellik, qui dessert l’ensemble des enseignes du groupe Ahold. Entre 45 et 50% des ventes de Delhaize proviennent de vins embouteillés en interne, BIB (bag-in-box) y compris.

“Corawine cartonne”

Septembre est traditionnellement le mois des foires au vin. Celles de Colruyt et Carrefour ont démarré la semaine dernière, celle de Delhaize commence ce jeudi, et celles de Okay, Spar et Cora dérouleront leurs fastes à partir de la fin septembre. Pour l’enseigne du groupe Louis Delhaize, il y flottera sans nul doute un parfum d’amertume. La foire se déroulera normalement, mais sans les habituelles grandes dégustations dans les galeries commerçantes et à Autoworld, à Bruxelles.

“Je ne ressens aucune crise dans le rayon de nos Cora ou sur le site Corawine, souligne Alain Renier, l’acheteur de l’enseigne. Depuis le début de l’année, on a bien vendu dans nos sept hypermarchés. La clientèle est fidèle. Cela baisse un peu ces dernières semaines. C’est logique, vu le contexte et compte tenu des réaménagements dans nos magasins pour libérer de la place afin de permettre la construction des sept Delhaize qui arriveront en février. Par contre, le site Corawine cartonne. Il y a comme des relents de période covid, quand les gens s’y ruaient. J’ai eu récemment quelques solides paniers d’achat qui dépassaient les 1.000 euros. Ces jours-ci, je suis très largement au-dessus de la moyenne habituelle de 300 euros par panier. Pour vous donner une idée, lors de la foire de l’an dernier, le panier moyen s’élevait à 565 euros.”

“Je ne ressens aucune crise dans le rayon vin de nos Cora ou sur le site Corawine.” – Alain Renier (Cora)

Présent chez Cora depuis 40 ans, Alain Renier part avec le sentiment du devoir accompli. Son rayon fonctionne et Corawine n’a jamais cessé de croître. Il y a aussi le côté rassurant qu’aucun repreneur ne viendra “casser” les outils mis en place, explique-t-il. Normalement pensionné en avril 2027, il livre sa version des événements.

“Sincèrement, c’est une belle fin, assure Alain Renier. Surtout quand je vois les chancres que sont devenus aujourd’hui certains Makro. Mitiska REIM vient avec un projet qui va donner de l’avenir aux galeries. Ils ont l’air sérieux, remplissent leurs obligations et ont attiré des enseignes porteuses comme DreamLand et Delhaize. Certains clients sont tout de même inquiets. Notamment pour leurs produits italiens, mais surtout pour les poissons frais dont le rayon à la découpe cartonnait. Et c’est quelque chose que Delhaize ne fait pas. En tout cas, les derniers mois se présentent bien car, selon moi, Cora fait les choses comme elle doit les faire. Et je partirai en janvier avec le chèque lié à mon ancienneté.”

Le sans-alcool

Dans ce marché belge stable, le sans-alcool continue sa progression. Un peu en trompe-l’œil puisque la croissance se fait sur des petits volumes. Il n’empêche, c’est une tendance dont il faut désormais tenir compte. Ainsi, chez Colruyt, le chiffre d’affaires du vin pétillant sans alcool est en hausse de 40%, alors que celui sur le tranquille est de 15%. Chez Spar, le premier a explosé de 36% et le second de seulement 3%. Une progression moindre qui trouve sa source dans la qualité. Les effervescents sont globalement plus évolués que leurs équivalents tranquilles.

“Chez Delhaize, le sans-alcool progresse de 18%, confirme Alain Pardoms, senior category manager wine. Cela correspond à l’équivalent de 600.000 bouteilles et à 1,5% de l’ensemble des ventes de vins tranquilles et pétillants. Cela reste modéré, mais à titre de comparaison, les vins d’Alsace représentent 2% de nos ventes. Autrement dit, c’est un segment qui mérite toute notre attention. Il reste néanmoins le problème de la qualité. Par rapport à la bière sans alcool qui a très bien évolué, il y a encore un gouffre à la dégustation entre un vin avec alcool et un sans. Mais les progrès sont notables et ce sont des produits sans défaut.”

Le sans-alcool rencontre les besoins des gens qui ont décidé de ne pas boire d’alcool, ou moins souvent. Il plait aussi aux jeunes. “Je suis responsable d’une unité scout, poursuit Alain Pardoms, et aucun de mes chefs ne boit d’alcool ou ne mange de viande. Je constate que certains jeunes ne boivent plus du tout d’alcool, et d’autres beaucoup trop. C’est une génération disruptive qui semble ne pas connaître le juste milieu. Pour le vin, soit les jeunes y sont confrontés tôt dans le cadre familial, soit ils le découvrent vers 24-25 ans. Qu’on ne s’y trompe pas, dans le cadre de mon métier, je rencontre fréquemment des jeunes de moins 30 ans qui sont passionnés et dont les connaissances dépassent parfois les miennes.”

Les petits formats

Autre tendance marquante : l’avènement des petits formats bouteilles. © PG

L’autre tendance marquante est l’avènement des petits formats : les bouteilles de 25 et 37,5 cl, et les canettes. Chez Delhaize, qui a gagné un point de part de marché depuis le début de l’année, ce segment a grimpé de 9% sur un an. Là aussi, cette hausse traduit un changement d’habitude de consommation.

“Nous avons déjà une centaine de références, assure Alain Pardoms. Le retour d’expérience client fait état de plusieurs types d’achat, dont celui de convenience, comme disent les Anglo-Saxons : les clients achètent une petite bouteille de 25 cl ou une canette pour accompagner leur sandwich ou salade du midi. Certaines références sont d’ailleurs présentes dans les frigos près des caisses.

Ces formats répondent aussi aux besoins des personnes qui vivent seules ou pour lesquelles une bouteille classique est trop grande. Delhaize embouteille les deux petits formats de bouteilles. Au départ du même vin qui se retrouvera dans le format classique. Ce ne sont donc pas des sous-produits. Pour le 25 cl, nous avons opté pour des vins à rotation élevée comme des IGP en France. Ils sont plus faciles à boire.”

Quant à la canette, elle s’impose, lentement mais sûrement, comme un format essentiel pour garantir des ventes supplémentaires et attirer un autre public. C’est le sens de la démarche de Vincent et Guillaume Delanoue, les propriétaires du Domaine de la Noue, qui produit du Saint-Nicolas- de-Bourgueil (Loire) très réputé.

Lentement mais sûrement, ​​​​​​​le format canette s’impose. © PG

“Il faut casser les codes et désacraliser un certain nombre de pratiques, sourit Vincent Delanoue. Le vin est un produit de plaisir et de partage. La canette autorise des moments de consommation différents. On emporte une canette de coca ou des petites bouteilles d’eau quand on fait un pique-nique. Mais une grande bouteille de vin, ce n’est pas très pratique.

Une canette, c’est tout aussi intéressant pour les clients qui se font livrer des repas ou des pizzas, ou qui fréquentent les snacks ou la restauration. À 4 euros, le produit, qui contient nos vins en IGP dans plusieurs couleurs, a suscité beaucoup d’intérêt de la part des distributeurs. La durabilité est aussi au rendez-vous : la canette est recyclable et dispose d’un bilan carbone plus favorable que le verre. Surtout si comme nous, on part d’alu recyclé.”

Depuis le début de l’année, des initiatives similaires ont fleuri en France. Et du vin en AOP est désormais produit en canette dans le Bordelais, le Jura, la Loire et le Languedoc. En Belgique, chez Delhaize, qui a le plus grand assortiment dont la récente série 19 Crimes, la canette est considérée comme un investissement à long terme.

“La canette est un contenant qui n’altère en rien le vin.” – Alain Pardoms (Delhaize)

“C’est principalement un produit destiné aux jeunes qui boivent le vin directement à la canette, conclut Alain Pardoms. C’est aussi totalement adapté à une forme de vie nomade (pique-nique, festivals, etc.). La canette est un contenant qui n’altère en rien la qualité du vin. Et j’aurais même tendance à dire que la conservation y est meilleure que dans les petits formats en bouteille puisque le vin n’est pas exposé à la lumière. Le seul inconvénient, c’est le coût. C’est plus durable qu’une bouteille, mais pour que soit rentable, il faut en produire en grande quantité.”

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