Esther Berrozpe (CEO d’Ontex): “C’est honteux qu’il n’y ait pas plus de femmes occupant des postes de direction”
Comment transformer une entreprise dont les ventes sont en baisse et l’endettement frôle les sommets en une entreprise saine, avec des résultats positifs et stables? Nous avons demandé à Esther Berrozpe après sa première année en tant que PDG d’Ontex.
“Donnez-moi deux à trois ans pour libérer tout le potentiel d’Ontex. 2022 sera encore une année difficile, principalement en raison du coût élevé des matières premières. Mais à partir du second semestre, je m’attends à une amélioration de notre situation trimestre après trimestre”, déclare Esther Berrozpe, qui a été chargée, il y a un an, de remettre le producteur de solutions d’hygiène personnelle pour bébés (langes), femmes (tampons) et seniors (produits pour incontinents) sur les rails.
En décembre dernier, Berrozpe a présenté son plan stratégique. Elle a dû faire des coupes plus profondes que prévu. Les marques propres de l’entreprise, qu’Ontex vend principalement dans les pays émergents et qui représentent environ un tiers de son chiffre d’affaires, seront abandonnées. La société veut se recentrer sur ses marchés d’origine en Europe et en Amérique du Nord, et se concentrer sur la fourniture de produits pour les marques des grands magasins et sur la vente de produits d’hygiène à des partenaires institutionnels, tels que les hôpitaux et les centres de soins.
Quelle est la logique derrière cet ajustement stratégique ?
ESTHER BERROZPE. “Nous simplifions nos activités afin de pouvoir mettre en place notre stratégie plus rapidement. Au fil du temps, notre activité était devenue trop complexe. Ontex est une entreprise avec des modèles commerciaux différents, qui vend à la fois les marques des distributeurs et ses marques propres. Nous avons essayé de réaliser des économies d’échelle, avec comme suite logique, une stratégie d’expansion sur de nouveaux marchés. Cette expansion complique les choses, car chaque modèle d’entreprise nécessite une approche différente et des compétences différentes. Nos ressources, limitées, étaient réparties sur un trop grand nombre d’activités. Je suis arrivée à la conclusion que nous ne pouvions gagner que dans les activités dans lesquelles nous sommes historiquement forts : fournir les détaillants, avec des produits innovants, une bonne qualité et un bon service. Ce marché est également moins volatil, avec un risque moindre de crise économique ou de baisse du taux de change. En bref, nous revenons aux racines de l’entreprise et essayons de retrouver l’efficacité que nous avons perdue lors de l’expansion.”
Une croissance est-elle encore possible si vous vous retirez des marchés européens et américains qui eux sont à maturité?
BERROZPE. “En raison du vieillissement de la population, la demande de produits contre l’incontinence augmente. Le comportement des clients change également. La “couche traditionnelle” cède la place à la culotte-slip, plus facile à utiliser. La demande de produits plus naturels, fabriqués à partir d’autres matériaux, est également en hausse. Nous avons dû appuyer sur le bouton “reset” pour être en mesure de répondre plus rapidement à ces opportunités de croissance. Bien sûr, le fait que l’entreprise ne soit pas en bonne santé financière est également un facteur. Le niveau élevé de la dette ne nous permet pas de tirer pleinement parti de ces opportunités, par le biais de la croissance organique ou d’acquisitions. Un de mes grands objectifs est donc de renforcer notre bilan avec la vente des actifs qui ne sont plus stratégiques. Cette décision n’est pas facile à prendre, car cette entreprise suit une stratégie d’expansion depuis de nombreuses années. En faisant cela, on aura l’impression de faire marche arrière. Cependant, ce n’est pas vrai, car de cette expansion, nous avons acquis des compétences qui nous rendent meilleurs.”
Avant de devenir CEO, vous étiez membre du conseil d’administration. Vous saviez donc largement à quoi vous en tenir, mais vous attendiez-vous à ce que votre première année soit si difficile ?
BERROZPE. “J’ai accepté ce poste parce que le changement était indispensable. Je suis une personne de changement. J’ai été surprise par la dureté des conditions extérieures : une inflation énorme concernant les coûts de nos matières premières et des interruptions et pénuries dans les chaînes d’approvisionnement. La situation s’améliorera, car cette inflation est, en partie, le résultat du déséquilibre momentané entre l’offre et la demande, mais 2022 sera une année difficile. 2023 devrait être bien meilleure.”
Quel est le potentiel du nouvel Ontex en vitesse de croisière ?
BERROZPE. “Nous parlons alors d’une entreprise qui réalise une croissance stable de ses ventes année après année. Une marge bénéficiaire de 15 % au niveau du résultat d’exploitation est possible en travaillant plus efficacement et en exploitant mieux les opportunités du marché, avec notamment des produits innovants. En Europe, nous défendons notre position de leader du marché, en nous concentrant sur les possibilités de croissance des produits pour adultes et des pantalons pour bébés. Sur le marché nord-américain, nous avons de nombreuses opportunités en tant que challenger des grands acteurs. Dans notre secteur, l’innovation va généralement d’est en ouest. De nombreuses tendances se propagent de l’Europe vers les États-Unis, où les acteurs traditionnels proposent des produits traditionnels. Nous pouvons secouer le marché américain avec nos nouveautés.”
Y a-t-il un plan B ?
BERROZPE. “Je ne veux pas penser à un plan B, mais nous devons rester flexibles. Nous avons un plan clair avec un objectif clair, mais le chemin pour y parvenir peut bien sûr être ajusté en fonction des circonstances.”
En 2018, le fonds d’investissement français PAI Partners a lancé une offre publique d’achat sur Ontex. Une prise de contrôle reste-t-elle envisageable ?
BERROZPE. “Cette possibilité existe toujours. Nous nous concentrons sur la mise en oeuvre de notre stratégie, mais nous sommes ouverts aux opportunités qui se présentent. Il y a encore de la place pour une consolidation dans notre secteur. Nous voulons participer activement à ce processus.”
Ontex a-t-il besoin d’une augmentation de capital pour pouvoir le faire ?
BERROZPE. “Il n’y a aucun projet qui va dans ce sens-là. Dans le sillage d’une amélioration de notre rentabilité, notre résultat d’exploitation s’améliorera également. En outre, nous accumulons des liquidités et renforçons notre bilan en vendant des actifs non essentiels. Nous voulons mettre en place notre stratégie le plus rapidement possible, mais nous voulons un bon prix pour les actifs en vente. Ce sont de bons atouts et des marques fortes”.
Le cours de l’action a atteint un nouveau plancher après la présentation de la nouvelle stratégie. Une déception ?
BERROZPE. “Le cours de l’action a chuté parce que, parallèlement à la nouvelle stratégie, nous avons dû émettre un nouvel avertissement sur résultats, le deuxième en six mois. Les investisseurs peuvent donc se demander si nous avons toujours le contrôle de la situation et je ne suis pas heureuse de ces interrogations. Nos résultats doivent être plus prévisibles, même dans des conditions volatiles. Mais je comprends que les investisseurs adoptent une attitude attentiste. Ontex n’est pas performant depuis des années et ils exigent des résultats. Le prix de l’action augmentera de façon exponentielle si nous enregistrons de bons résultats pendant plusieurs trimestres consécutifs.”
Comment faites-vous pour garder votre équipe et vos employés motivés ?
BERROZPE. “Ma plus grande préoccupation est que beaucoup de choses changent en même temps. Nous devons à la fois gérer l’activité actuelle et redessiner l’entreprise. La charge de travail est élevée et notre organisation a été considérablement allégée. C’est pourquoi j’insiste sur la simplicité et la concentration sur l’essentiel. Les gens doivent pouvoir trouver un équilibre entre leur travail et leur vie privée. C’est un travail difficile dans des circonstances difficiles, mais je l’apprécie. Je me rends également compte que tout le monde n’est pas comme cela et que tout le monde ne voit pas la lumière au bout du tunnel.
“Il est plus facile de mobiliser les employés autour d’une acquisition ou d’une forte croissance. J’essaie d’accroître leur motivation et leur engagement en expliquant constamment la stratégie et en partageant les bonnes et les mauvaises nouvelles. Ils doivent l’entendre de ma bouche et non pas le lire dans la presse. Ils ont également besoin de voir que nous mettons en place ce que nous annonçons, ce qui n’a peut-être pas toujours été le cas par le passé. J’essaie de rencontrer autant d’employés que possible. En tant que PDG, vous recevez des informations très filtrées. Il est très important de rester connecter à la réalité de l’atelier et de parler aux employés. cela me donne de l’énergie.”
Comment décririez-vous votre style de management ?
BERROZPE. “J’ai des principes qui m’ont guidé tout au long de ma vie et de ma carrière. Par exemple, je joue pour gagner, depuis l’enfance. Gagner, ce n’est pas seulement une question de compétences, mais aussi d’attitude. Jouer pour gagner, c’est bien plus amusant que de jouer pour ne pas perdre. Un autre de mes principes de base est le suivant : prenez les choses en main. Il est facile de jouer les victimes et de blâmer l’environnement, mais cela n’a pas de sens. Je me concentre sur les choses que je peux contrôler. Cela me rend moins vulnérable. Troisièmement, j’aime la simplicité. La simplicité permet de se concentrer, et la concentration augmente vos chances de réussite.
“Je suis aussi une personne sociable. Correction : je suis devenu une personne sociable. Une entreprise ne se distingue pas par sa mission ou sa bonne stratégie, mais par sa culture d’entreprise et son personnel. J’ai franchi deux étapes importantes dans ma carrière : d’employé à chef d’équipe, puis à chef d’entreprise. J’étais assez jeune quand j’ai fait ce premier grand pas. Vous devez motiver et amener votre personnel à s’engager, écouter et mettre tout le monde d’accord. En tant que manager, votre rôle s’élargit. Il ne s’agit plus de créer une équipe de rêve, comme je l’ai souvent fait par le passé, mais de poursuivre un objectif plus vaste. Il ne s’agit plus de diriger, mais de servir. Vous devez réfléchir davantage à la raison d’être de l’entreprise, en équilibrant les intérêts à court et à long terme de chacun.
“Une récente visite de travail en Turquie a été un moment clé pour moi. Mon équipe m’a guidée afin de faire une visite à domicile chez un client. Je ne voyais pas vraiment l’intérêt à première vue. Mais ce client m’a clairement expliqué pourquoi nous existons. Il s’agissait d’une jeune personne souffrant d’un important problème d’incontinence. Elle n’osait presque plus quitter sa maison jusqu’à ce qu’elle découvre nos produits. Notre entreprise a ainsi changé sa vie.
Vous êtes-vous adoucie au fil des ans ?
BERROZPE. “J’ai toujours été assez dure, plus envers moi-même qu’envers les autres. C’est la bonne attitude à avoir pour faire quelque chose de sa vie. Mais à un moment donné, on réalise qu’on ne peut pas toujours âtre ainsi. Vous devez trouver un juste équilibre. La vie vous apprend à être plus compatissant, en commençant par vous-même. J’y travaille (rires).
“Je me vois comme quelqu’un qui se préoccupe des autres. Par le passé, j’ai parfois osé mettre cette partie de ma personnalité de côté afin d’obtenir de meilleurs résultats, mais avec l’expérience, j’ai appris que l’on peut combiner les deux. En tant que PDG, je dois parfois prendre des décisions difficiles, mais vous pouvez aussi montrer que vous vous souciez des autres tout en les prenant. Les gens comprennent alors plus facilement vos actes. Cela aide parfois de s’autoriser à être vulnérable.”
Croyez-vous à la théorie du plafond de verre?
BERROZPE. “Je n’en sais rien. Je ne veux pas tomber dans les stéréotypes. Je crois au pouvoir de la diversité. Créer une équipe diversifiée, pas seulement en termes de genre, est difficile au début, car chacun a une opinion différente. Mais une fois que les personnes se sont habituées les unes aux autres, une telle équipe est très puissante, car elle peut faire appel à des compétences et à des idées aussi diverses que variées. Dans des circonstances difficiles, vous devez faire de nombreux liens entre toutes les parties prenantes, car vous avez besoin de beaucoup de soutien. Je pense que les femmes sont plus aptes à faire ces liens et à trouver des solutions qui profitent à tous.”
Vous considérez-vous comme un modèle pour les autres femmes ?
BERROZPE. “C’est honteux qu’actuellement il n’y ait pas plus de femmes qui occupent des postes de direction. J’espère pouvoir être un modèle. Dans mes postes précédents, j’ai toujours été un modèle et un mentor pour les autres femmes. Je veux créer un environnement de travail où tout le monde a les mêmes chances. Cela signifie qu’il faut mettre de côté les préjugés. Les gens ont tendance à choisir des personnes qui leur ressemblent lorsqu’ils sont embauchés ou obtiennent une promotion. Les quotas peuvent aider à contribuer la création d’équipes de gestion diversifiées. Ces équipes feront automatiquement des choix plus diversifiés.”
Avez-vous rencontré des beaucoup préjugés dans votre carrière ?
BERROZPE. “Non, bien que j’aie travaillé dans un secteur très masculin pendant 20 ans. Je ne me suis jamais sentie discriminée ou désavantagée, mais j’ai dû modifier mes plans pour ma vie personnelle afin de pouvoir faire carrière. Chez Ontex, je veux créer un environnement au travail où les femmes ont les mêmes opportunités que les hommes, et ce sans avoir à faire certains choix familiaux.”
Vous vivez en Belgique ?
BERROZPE. “Oui, en juillet, j’ai déménagé à Bruxelles avec mon fils de 15 ans. Il y a quelques barrières linguistiques dans la vie quotidienne, mais Bruxelles est une ville très internationale. Tout le monde pense que je déteste le climat ici, mais j’ai grandi à Saint-Sébastien, au nord de l’Espagne, alors on peut dire que j’ai grandi avec un parapluie.”
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