Ecosteryl, la PME familiale à la conquête du monde
Cette petite entreprise du Borinage a développé une machine unique de traitement des déchets hospitaliers. Elle est aujourd’hui l’un des leaders mondiaux du secteur.
Cette nomination, ils ont décidé de l’assumer en trio. “La force d’Ecosteryl, c’est notre complémentarité, c’est elle que nous voulons mettre en avant”, déclare Romain Dufrasne, petit-fils du fondateur de l’entreprise. Dans ce trio, il est l’organisateur, en charge des ressources humaines, de la gouvernance et la culture d’entreprise. Son frère Olivier est le vendeur: il parcourt le monde à la recherche de nouvelles opportunités pour l’entreprise. Il est le président du conseil d’administration. Amélie Matton, qui n’a aucun lien avec la famille fondatrice, est la gestionnaire au quotidien, celle qui prend en main les dossiers financiers ou juridiques plus complexes. Elle est la CEO d’Ecosteryl. “Nous avons mis au point des mécanismes pour discuter ensemble et trouver, dans chaque situation, une voie commune inspirante pour la société, assure Olivier Dufrasne. Je n’ai pas d’exemple en tête où nous n’avons pas été alignés.” “On parle beaucoup de la solitude du dirigeant d’entreprise, abonde son frère. Nous ne sommes pas seuls, cela nous renforce. Nous partageons nos doutes, nos enthousiasmes aussi. C’est cela qui nous permet chacun d’être bien avec nous-mêmes, ce qui est la condition de départ pour être bien avec les autres et, donc, pour être un bon manager.” L’entreprise a fêté l’an dernier ses 75 ans. Les Ateliers mécaniques du Borinage (AMB) fabriquaient des machines destinées à des industriels actifs dans le secteur de l’environnement. Il y a une vingtaine d’années, Philippe Dufrasne, le père d’Olivier et Romain, a fait prendre un virage décisif à l’entreprise familiale en concevant une machine susceptible de décontaminer les déchets hospitaliers. Ecosteryl était née. Depuis, la génération suivante s’est occupée à transformer cette innovation en une success story. “Quand Amélie et moi sommes arrivés, il n’y avait pas dix salariés dans l’entreprise, se souvient Olivier Dufrasne. Nous avions un prototype vendable, il fallait créer tout le reste.” Aujourd’hui, l’entreprise emploie 45 personnes et réalise un chiffre d’affaires de 22 millions (+ 35% en deux ans).
Aventure internationale
La solution Ecosteryl a séduit des gestionnaires de déchets dans le monde entier. Elle a été déployée dans des régions défavorisées grâce au soutien de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), des Nations unies et de la Banque mondiale, qui veulent combattre ces vecteurs de maladie que sont les déchets hospitaliers. “Nos technologies tournent, même dans les zones les plus compliquées (la bande de Gaza, par exemple, Ndlr), insiste Romain Dufrasne. Quand on met les moyens, on peut générer un véritable écosystème autour de nos machines, avec une rentabilité économique pour ces pays.”
“Il faut s’adapter à la culture du pays pour que le résultat soit optimal, ajoute son frère. Ce côté caméléon est peut-être la chose la plus valorisante dans notre travail.”
Curieusement, Ecosteryl n’a pas de client en Belgique, où l’on préfère incinérer les déchets hospitaliers. “Pas encore, nuance Amélie Matton. Les choses sont en train de changer.” L’entreprise n’a jamais songé à se délocaliser pour autant et elle est fière d’affirmer que l’innovation qui lui permet de rayonner dans le monde a été développée dans le Borinage et que 80% de la plus-value de ses produits retombe dans des entreprises wallonnes. “En Wallonie, nous sommes peut-être parfois trop humbles, poursuit la CEO. Nous pouvons être fiers de nos réalisations et tant mieux si elles peuvent en inspirer d’autres.” Le trio s’engage volontiers à l’Union wallonne des entreprises et dans d’autres instances entrepreneuriales, pour faire passer ses messages à la fois de dynamisme économique et de préoccupation environnementale. “J’ai envie de donner de mon temps pour le développement de la Wallonie, concède Olivier Dufrasne. Notre voix est écoutée, nous l’utilisons pour essayer de faire évoluer les mentalités et les réglementations.”
Traitement sans rejet
Par rapport à l’incinération et à l’autoclavage, le procédé électrique d’Ecosteryl présente le grand avantage de ne générer aucun rejet, ni fumée ni eau, ce qui lui a valu de figurer parmi les premières solutions belges labellisées par la fondation Solar Impulse. Pour améliorer encore son impact, l’entreprise mise sur l’énergie et la circularité. Elle planche ainsi sur la vente d’équipements avec la solution énergétique adaptée aux différentes parties du monde. “Nous nous connectons aux acteurs locaux, aux universités et autres entreprises, explique Amélie Matton. Nous réfléchissons ensemble sur les manières d’amener l’industrie à utiliser davantage d’énergie renouvelable.” Pour la circularité, les équipements de décontamination et de broyage des déchets hospitaliers permettent d’extraire une fraction de plastique valorisable (choisie par le client). “Les hôpitaux jettent leurs déchets dans un bac jaune, précise Olivier Dufrasne. Nous pouvons décontaminer ce plastique jaune, qui pourra ensuite fabriquer de nouveaux bacs jaunes. Nous sommes la seule société au monde à offrir de la circularité sur base de déchets hospitaliers.” “Ce n’est pas juste pour être dans l’air du temps, conclut Romain Dufrasne. Cette transition, nous la vivons dans nos tripes. Nous avons la conviction que nos décisions et nos actions contribueront à améliorer le monde. Et en tant que managers, nous devons embarquer tout le monde dans ce mouvement.”
“L’IA va bousculer notre manière de faire de la recherche”
Chez Ecosteryl, l’intelligence artificielle (IA) est perçue avant tout comme une opportunité. “Le plus gros levier sera au niveau de la collecte et de l’interprétation des données, explique Romain Dufrasne. Pour une petite entreprise déployée dans le monde entier, il n’est pas toujours évident de disposer de l’ensemble des données utiles dans tous les pays. L’IA nous aidera beaucoup à servir au mieux nos clients partout dans le monde.” L’entreprise montoise est par ailleurs convaincue que, grâce à l’IA, les clients potentiels auront plus rapidement connaissance de la solution Ecosteryl et que des nouveaux marchés s’ouvriront ainsi.
“Cela va bousculer notre manière de faire de la recherche et de prospecter, abonde Amélie Matton. Mais cela va aussi nous exposer à de nouveaux risques. Nous devons tous en être conscients et nous y préparer.” La CEO cite l’exemple de ce chercheur, plus scientifique que littéraire, qui avait utilisé ChatGPT pour la correction orthographique d’un rapport de R&D. “C’est clairement non, insiste-t-elle. Nous utilisons évidemment l’IA mais nous devons absolument éviter de donner tout le goodwill d’Ecosteryl à ChatGPT. Il ne faut pas que demain quelqu’un puisse demander comment on construit l’une de nos machines.” L’entreprise a dès lors organisé des formations en interne, afin que le personnel puisse titrer les avantages de l’IA tout en minimisant les risques liés.
C.V.
· Olivier Dufrasne, 40 ans, droit et relations internationales (UCLouvain). Amateur de sport en général, et de foot en particulier. “C’est presque un deuxième job.”
· Romain Dufrasne, 35 ans, géographe et climatologue (Namur, UCLouvain), master complémentaire en création d’entreprise (Ichec). Adepte du vélo, “un sport qui éveille les cinq sens”.
· Amélie Matton, 37 ans, ingénieur de gestion (UCLouvain) et adepte des balades en forêt.“Je suis aussi maman de trois enfants. J’insiste car je veux montrer que c’est tout à fait gérable pour une jeune dirigeante d’entreprise.”
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