Économie circulaire: du marc de café pour produire des champignons
Coopérative à finalité sociale, PermaFungi recycle du marc de café pour produire des pleurotes bios, de l’engrais naturel et même, des matériaux biodégradables. Ou quand l’économie circulaire tourne au mieux de sa forme. Entretien avec Julien Jacquet, Administrateur délégué.
Logée dans les caves de l’Entrepôt royal du site de Tour & Taxis, à Bruxelles, l’entreprise PermaFungi ne lit pas l’avenir dans le marc de café. Par contre, elle recycle et valorise ces dépôts au quotidien pour produire des champignons mais aussi de l’engrais et même des objets design biodégradables. Zoom sur un projet d’économie circulaire monté au départ d’une “simple” idée.
Trends-Tendances. D’où est venue l’idée qui a donné naissance à PermaFungi ?
Julien Jacquet. Après ses études en agronomie, un des fondateurs est parti parcourir la Thaïlande à vélo. Il a travaillé dans une ferme de permaculture, où il a découvert que l’on pouvait cultiver des pleurotes sur du marc de café. Or à Bruxelles, il y a du marc de café, qu’on peut aller chercher à vélo ; jusque-là en revanche, on ne produisait pas de champignons. Vous savez, le concept d'”idée” est quelque chose qui est valorisé dans l’entrepreneuriat mais ce qui est intéressant, c’est ce qu’on en fait… Nous nous sommes vite retrouvés à six coopérateurs séduits par le projet. Celui-ci a démarré en 2014, d’abord dans les caves de l’atelier des Tanneurs, puis ici, dans celles de l’Entrepôt royal de Tour & Taxis.
Au-delà de la finalité sociale de la coopérative, vous prônez la gestion participative.
Oui, je crois beaucoup à la gestion participative. Il faut que les travailleurs puissent tout décider : horaires, salaires, tâches à effectuer, etc. La démarche peut même aller plus loin : les employés pourraient détenir l’entreprise. Mais cela doit s’accomplir par étapes, pour que chacun puisse progresser au fil du temps, en fonction de ses compétences et de ses envies.
Vous êtes à Tour & Taxis depuis 2015 ; c’est le lieu idéal ?
Nous avons cherché un endroit central, peu valorisé et qui pouvait accueillir l’activité. Nous avons d’abord occupé un espace de 200 m2, sur un total de 12.000. Maintenant, nous avons grandi et nous payons un loyer. Extensa, qui est propriétaire du site, développe à la gare maritime juste à côté quasi une nouvelle ville, qui prône l’économie circulaire et l’entrepreneuriat social. Ils sont donc très contents de notre présence. C’est un super win-win, juste comme avec le marc de café.
Justement : comment PermaFungi recycle-t-elle le marc de café ?
A Bruxelles, quelque 15.000 tonnes de marc sont disponibles annuellement. Pour que nous puissions valoriser ce produit selon nos critères d’économie circulaire, il faut qu’il soit proche, qu’on puisse aller le chercher tous les jours, qu’il soit bio et qu’il soit disponible en des quantités gérables. Donc, on a besoin de partenaires. Nous en avons deux principaux : Exki et le Pain quotidien. Le marc d’Exki, nous allons le chercher à vélo dans tout Bruxelles. Celui du Pain quotidien nous arrive de tous les établissements de Belgique, après avoir été récupéré par les livreurs qui leur ont apporté les pains. Bon an mal an, pour produire nos pleurotes, nous valorisons une trentaine de tonnes sur l’ensemble des 15.000 ; nous avons donc encore de la marge.
Comment définiriez-vous votre “business model” ?
En exposant le pourquoi, le comment, le quoi. Le pourquoi : accélérer la transition vers l’économie circulaire et la résilience urbaine. Le comment : en gros, via des partenaires. Le quoi : nos trois activités, à savoir eat, grow, learn, en d’autres termes la production de pleurotes sur marc de café, la production de kits de culture de pleurotes prêts à l’emploi, et l’organisation de visites, ateliers et formations pour des personnes qui veulent faire la même chose que nous.
Quelle est votre vision plus globale ?
Nous voulons remettre les choses en question, pas pour le plaisir, mais pour améliorer ce qui peut l’être. Il est évident que l’économie linéaire arrive à son terme. On peut disserter sur le nombre d’années qui lui restent à vivre mais pas ignorer que nous occupons un monde aux ressources limitées. Nous souhaitons accélérer la transition vers l’économie circulaire. Recycler des déchets, produire localement, créer de l’emploi et minimiser l’utilisation d’énergie, voilà notre vision. L’idée n’est pas de chercher un monde parfait, mais certaines choses peuvent être améliorées. Chez PermaFungi, nous nous sommes dit : il y a des déchets à valoriser, de l’emploi à créer, des espaces à utiliser, de la production à relocaliser ; n’est-il pas possible de réunir tout cela au même endroit ? Nous savons aussi que d’autres ont une vision différente, mais nous ne sommes pas là pour les juger.
Ressentez-vous une évolution dans le domaine de l’économie circulaire ?
Tout change très fort actuellement. Au début, quand nous expliquions ce que nous faisions, on nous traitait de bobos ; aujourd’hui, beaucoup d’entreprises sont prêtes à collaborer avec nous. L’économie circulaire n’est plus une lubie. Les premiers à changer sont une minorité, puis les autres suivent. Tout le monde a un rôle à jouer. Nous avons aussi la chance d’être à Bruxelles, où le gouvernement a décidé de soutenir l’économie circulaire.
PermaFungi est circulaire et locale : quelle est sa part verte ?
Nous avons un label bio. Mais au-delà de ça, le plus important, c’est la cohérence. Nous sommes des idéalistes qui se sont professionnalisés. En d’autres termes, nos idées très vertes et très innovantes au départ nous ont permis de trouver des choses professionnellement plus efficaces. Faire preuve de cohérence, c’est respecter l’environnement, l’emploi et avoir une santé financière soutenable.
L’idéaliste se professionnalise, c’est cela la différence ?
Celui qui veut créer une boîte et faire rapidement de l’argent ne se lance pas dans le recyclage de marc de café. Quand nous avons commencé ici, récolter du marc et faire pousser des champignons dessus était illégal… Le long terme est essentiel.
Comment voyez-vous l’évolution de votre entreprise dans les 10 ans qui viennent ?
Nous avons montré, sur ce site, que notre rêve initial d’avoir une influence environnementale et sociale tout en étant rentable était possible. Maintenant, nous pouvons créer un réseau décentralisé de champignonnières, c’est-à-dire dupliquer ce modèle pour accélérer l’économie circulaire en divers endroits.
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