E-commerce: comment faire craquer le client en ligne ?
L’e-commerce alimentaire pose un sacré défi aux marques et aux distributeurs. En ligne, fini les achats d’impulsion ! Les clients vont droit au but. Et une fois leur liste encodée, ils la changent très rarement. Les enseignes tentent donc par tous les moyens de recréer l’achat inattendu. Echantillons, recettes, promotions, etc. Voici leurs astuces.
Ils vous narguent à chaque fois que vous faites la file à la caisse de votre supermarché. Bonbons, chewing-gums, sodas, etc. Bien sûr, vous n’avez absolument pas besoin de ces ” gougouilles “. Mais vous craquez rien qu’à l’idée d’en profiter dès votre sortie du magasin. Oh, rien de rationnel dans ce choix. Juste une impulsion. La base du commerce, en somme. Nos supermarchés sont truffés de ces moments de tentation qui ont pour seul but de nous faire acheter davantage. Une dégustation par-ci, une tête de gondole par-là. Mais l’achat impulsif va plus loin que le simple fait d’acheter un article que nous n’avions pas prévu d’emporter. ” Il est en plus caractérisé par un ressenti d’impulsion coloré émotionnellement “, explique Alexandra Balikdjian, docteur en psychologie de la consommation à l’ULB. Ils sont susceptibles de concerner n’importe quel type de produit, et pas seulement les produits ” plaisir “.
Tant pour les marques (certaines plus que d’autres) que pour les distributeurs, ces achats incontrôlés sont d’une importance primordiale. Or la croissance de l’e-commerce alimentaire place ces acteurs devant un défi de taille : comment reproduire les achats d’impulsion en ligne ? Equation compliquée quand on sait que le comportement d’achat online est totalement différent de celui observé en magasin. ” Les achats d’impulsion en ligne diminuent drastiquement, en particulier dans les produits frais, confirme Claude Boffa, professeur de retail marketing à la Solvay Brussels School. Les clients qui font leurs courses en ligne sont soit des no bullshit shoppers à la Colruyt, soit des personnes qui veulent gagner du temps. De manière générale, on peut dire que les achats en ligne sont souvent très standardisés. ”
Etre sur la liste : une vraie rente !
De fait, les consommateurs ont plutôt tendance à acheter par ce biais leurs produits de première nécessité ou à privilégier les grands formats. La démarche en tant que telle est tout à fait différente. En ligne, on recherche ce dont on a vraiment besoin, loin des tentations du supermarché. ” Les gens vont acheter ce qu’il y a sur la liste et rien que cela, explique notre observateur. De plus, une fois la liste encodée une première fois, la plupart des clients qui font leurs courses en ligne recommandent toujours les mêmes produits. ” Autant dire que pour une marque, figurer sur la liste digitale d’un client est la garantie d’être achetée automatiquement. Une vraie rente ! A contrario, ne pas y figurer peut rapidement être la garantie de… ne jamais y figurer. Pour un distributeur, chaque enregistrement sur son site d’e-commerce est l’assurance d’une fidélité presque sans faille. Ayant par ailleurs une connaissance très pointue des habitudes de consommation de ses clients online, une enseigne peut lui proposer des offres promotionnelles extrêmement personnalisées et même anticiper ses achats. Un ciblage que les chaînes ne manquent pas de monnayer auprès des marques.
En ligne, on recherche ce dont on a vraiment besoin, loin des tentations du supermarché.
Il n’empêche : le fait que la plupart des clients restent très fidèles à leur liste de courses digitale et effectuent généralement des achats standardisés et réfléchis reste une mauvaise nouvelle pour les enseignes et les marques qui misent à fond sur les achats d’impulsion. ” Les articles les plus achetés en ligne, à savoir les produits de grande nécessité, les marques très populaires et l’alimentation sèche, sont des articles sur lesquels les distributeurs font peu de marge “, assure Claude Boffa. ” Sur le Net, l’impulsion est mise à distance, embraie Alexandra Balikdjian. Soit le client va effectuer quelques achats impulsifs et, au moment de passer en revue son panier et en constatant la note, va décider de retirer ces produits ; soit, en raison du laps de temps entre la commande et le retrait ou la livraison, il ne se souviendra même pas de ces articles. ” Or l’idée de satisfaction immédiate est primordiale quand on parle d’achats impulsifs.
“Des opportunités commerciales pour les grandes marques”
Pour relever le défi des achats d’impulsion en ligne, nos distributeurs se sont mis en quête de moyens destinés à recréer virtuellement la tentation. Carrefour se veut peu loquace en la matière. ” Ce n’est pas prévu en ligne, assure Baptiste van Outryve, porte-parole du distributeur français. Nous proposons à nos clients en ligne des produits qu’ils ont l’habitude d’acheter. ” Delhaize, pour sa part, se veut un petit peu plus bavard. ” Il est clair que c’est un défi pour tout le monde, reconnaît Roel Dekelver, porte-parole de l’enseigne au lion. On ne peut pas vraiment parler d’achats d’impulsion en ligne, ces achats sont surtout effectués en magasin. Néanmoins, nous proposons des alternatives destinées à créer des opportunités commerciales pour les marques nationales. Nous mettons en avant les promotions, nous offrons les coûts de livraison ou de préparation à l’achat de certains produits, nous ajoutons des échantillons, nous proposons des recettes, etc. ”
Ne pas énerver le “shopper”
” Aujourd’hui, les distributeurs se sont mis à niveau pour susciter les achats imprévus, assure Alexandra Balikdjian. Mais on reste entre l’imprévu et l’opportunisme (les promos, les bons de réduction, etc.). Il n’y a pas vraiment d’implication du client par rapport aux produits même si le consommateur peut zoomer sur les articles, etc. Pour pouvoir parler d’achats impulsifs, il faudrait parvenir à recréer de l’émotion en ligne avec peut-être de la musique, des images, etc. ” L’idée est de fournir plus d’expérience sensorielle et d’investir massivement dans les applications mobiles (le fait de commander en touchant l’écran de son smartphone réduirait la distance sensorielle avec les produits).
Les avancées en matière de réalité virtuelle peuvent permettre de recréer un environnement de shopping dans lequel le consommateur pourrait se promener dans les rayons et choisir ses produits comme s’il y était. Claude Boffa, lui, reste sceptique. ” Cela ne permet pas de faire appel à tous les sens comme lorsque vous êtes en magasin, dit-il. Vous ne pourrez jamais sentir l’odeur du pain par exemple. ” Et notre observateur de mettre en garde les distributeurs : ” Attention à l’effet pervers inverse ! Proposer toute une série de gadgets destinés à recréer de l’impulsion peut finir par énerver le shopper en ligne en recherche d’efficacité et de rapidité. ” Au risque qu’il interrompe sa commande avant de l’avoir validée…
C’est la conclusion étonnante d’une récente étude menée au sein de la faculté des sciences économiques de l’université de Gand. Une équipe de chercheuses a en effet démontré qu’un même consommateur achète en moyenne 5,7 % de produits “malsains” (snacks, chips, bonbons, chocolat, etc.) lorsqu’il fait ses courses en ligne, contre 10,4 % quand il arpente les rayons d’une grande surface. En cause : la présentation des produits. Symbolique d’une part, physique de l’autre. Ces deux modes de présentation ont une influence sur l’éclat des produits, qui joue à son tour le désir de satisfaction immédiate des consommateurs. D’après l’étude, la présentation symbolique des produits en ligne réduit l’éclat de ces derniers et donc l’imaginaire sensoriel des clients. Leur désir de satisfaction immédiate s’en voit diminué et, par voie de conséquence, ils ont tendance à acheter moins de produits “malsains”. “Ces produits sont souvent achetés de manière non planifiée, explique Elke Huyghe, qui a participé à l’étude. Le consommateur est davantage tenté en magasin car il peut directement en profiter.”
Les chercheuses tirent de ces résultats certaines conclusions utiles tant pour les consommateurs que pour les pouvoirs publics et les distributeurs. “Nos recherches suggèrent qu’un simple changement de canal d’achat peut aider les consommateurs à diminuer leurs achats de produits malsains, écrivent-elles. De ce fait, nous recommandons aux pouvoirs publics d’encourager les consommateurs à acheter en ligne et à faciliter l’e-commerce.” Pour les groupes de distribution, les chercheuses voient dans les résultats de leur étude une réelle opportunité de renforcer leur image de marque. Exemple : “Pousser les consommateurs à commander en ligne en réduisant les délais de livraison et en garantissant la qualité des produits frais peut leur permettre de contrecarrer les critiques selon lesquelles ils contribueraient à l’augmentation du nombre de cas d’obésité.”
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