Des nouvelles voies pour l’Eurostar
La ligne des TGV vers la frontière française est en plein renouvellement, pour que les Eurostar puissent continuer à rouler à 300 km/h. Le trafic y est interrompu et détourné jusqu’à la fin août, ajoutant 30 minutes aux trajets vers Londres ou Paris.
Les trains à grande vitesse qui filent vers Paris ou Londres sont des innovations des années 1990 qui commencent à prendre de l’âge. Eurostar va renouveler une partie de son parc à partir de 2030, à savoir les anciennes rames Thalys. Infrabel, entreprise publique gérant l’infrastructure ferroviaire (1), vient de lancer la rénovation des voies de la ligne à grande vitesse vers Paris. Elle avait été ouverte en 1997 et est empruntée par les Eurostar et certaines rames TGV SNCF à destination du sud de la France.
Cette ligne, appelée LGV 1 (ligne à grande vitesse), couvre 74 km entre Hal et la frontière française, et est conçue et équipée pour des trains roulant à 300 km/h.
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Sans ces travaux, il aurait fallu, dès cette année, ramener la vitesse d’exploitation à 170 km/h, à cause des signes de vieillissement détectés par les examens réguliers des voies.
Un réseau à plus de 5 milliards d’euros
Le réseau des lignes à grande vitesse du pays (LGV) a été construit entre 1992 et 2009 pour lancer les liaisons rapides avec Paris, Londres, Amsterdam et l’Allemagne. Il a constitué un des plus gros chantiers d’infrastructure du pays de la période, avec un budget de 5,2 milliard d’euros. Parallèlement au réseau “classique”, il était nécessaire de construire des lignes spéciales adaptées à la très grande vitesse (au-dessus de 250 km/h), sans passage à niveau, avec des clôtures sur les côtés pour éviter qu’un animal ne vienne sur les voies, un parcours le plus rectiligne possible, des courbes très larges, et un écart entre les voies plus grand que sur les lignes classiques, pour limiter l’impact du souffle au croisement de deux rames. Et une signalisation différente: les feux en bord de voie sont remplacés par des indications sur le tableau de bord de la cabine de conduite.
Dix ans de chantier et des interruptions du trafic
Ce chantier, qui durera 10 ans, est l’affaire d’Infrabel. Il représente 310 millions d’euros d’investissement, pour renouveler rails, ballast, traverses, aiguillages, câbles, clôtures et autres installations. Le projet fait partie du plan pluriannuel d’investissement d’Infrabel approuvé par le gouvernement.
Infrabel s’efforce de limiter les interruptions de trafic, qui représente une centaine de trains chaque jour, vers Paris, Londres, Bruxelles, Liège, Amsterdam, ou encore l’Allemagne, mais il faudra le faire une fois par an sur la durée du chantier, tous les étés. La première a été programmée durant ce mois d’août, du 12 au 30. Durant ces 18 jours, les trains à grande vitesse, surtout des Eurostar vers (ou provenant de) Paris ou Londres, prennent les voies classiques, via Tournai pour Londres, ou Mons pour Paris. “Cela représente environ une demi-heure de temps de parcours supplémentaire, indique Nicolas Petteau, external communications director chez Eurostar. Les horaires des réservations intègrent ces changements.” Ainsi, le Bruxelles-Paris en 1h22 passe à 1h52.
Interrompre le trafic ou pas?
La Belgique et la France n’ont pas la même approche de la rénovation d’une ligne à grande vitesse. Infrabel fait le choix de concentrer des chantiers en interrompant la ligne tous les ans, sur 10 ans, pendant 18 jours cette année, pour changer les voies. La SNCF Réseau, le gestionnaire d’infrastructure ferroviaire français, qui termine le renouvellement de la LGV Nord (Paris-Lille), et attaque celui de la LGV+ (Paris-Lyon), maintient le trafic pendant la journée, et l’interrompt uniquement de nuit.
Ces choix différents s’expliquent sans doute par le trafic. La LGV 1 belge accueille une centaine de trains par jour, la LGV Nord française, 200 trains, et la LGV+, 240 trains quotidiens. L’impact d’une interruption totale sur le trafic serait nettement plus important. Mais il est parfois impossible de faire autrement. Ainsi, la SNCF Réseau nous indique que le trafic LGV+ Paris-Lyon sera interrompu quatre jours, du 9 au 12 novembre prochains, pour des changements d’aiguillages et le passage à la signalisation ERTMS, un standard de sécurité européen.
Eurostar, le principal client de la ligne, avec la SNCF, avait souhaité que l’interruption se fasse après les Jeux olympiques de Paris, juste après que les rames spéciales aient ramené les athlètes belges au bercail, et avant les Jeux paralympiques. Une demande qui a presque été tenue, le chantier mordant sur le premier jour des compétitions de paralympiques.
Un train usine de plus d’un kilomètre
Ainsi, le 12 août à l’aube, un énorme train usine de plus d’un kilomètre de long s’est mis en branle pour attaquer la rénovation d’une des deux voies d’un premier tronçon de 17,6 km, entre Tourpes et Brugelette. Infrabel a fait appel à Swietelsky, une entreprise autrichienne spécialisée dans ce type d’important chantier. Ce train, le RU800S, écarte les rails, ôte les traverses, aspire le ballast – le lit de gros cailloux sur lequel repose les rails – et le crible (filtre), pour réinjecter un ballast assaini, où les petits éléments sont ôtés, et des cailloux mieux calibrés sont ajoutés.
Swietelsky a travaillé durant 10 jours. Ensuite, les huit jours suivants, les machines d’Infrabel se sont chargées des rails, remplacés par des rails “verts”, fabriqués à base de mitraille, souvent d’anciens rails, dans des fours électriques. Au total, 90 personnes sont à l’œuvre jour et nuit sur ce premier chantier marathon.
La ligne sera rouverte mais durant sept jours la vitesse sera limitée à 170 km/h. Au terme de cette première phase, 30.000 traverses auront été remplacées. D’autres phases sont prévues pour aboutir, d’ici 2035, à la rénovation de toute la ligne LGV1.
Les traverses sont malades
Un travail similaire a été réalisé plus tôt du côté français, la ligne entre Paris et Lille étant un peu plus ancienne puisqu’elle a été ouverte en 1992, et est plus fréquentée (200 trains par jour). Le chantier y avait démarré en 2015 et s’achève cette année. Les travaux y sont identiques. Le gestionnaire de l’infrastructure, la SNCF Réseau, a fait le choix de ne jamais interrompre le trafic de jour, travaillant uniquement de nuit, ce qui impose une autre organisation.
“Théoriquement, sur la LGV1, les rails peuvent tenir 35 ans, les traverses, 47 ans, et le ballast, plus de 45 ans, assure Adrien Constant, ingénieur des voies chez Infrabel, en charge du chantier. Pour cette ligne, il fallait lancer un chantier de rénovation plus rapidement car les traverses sont “malades”, abîmées par une réaction chimique. Il faut donc les remplacer.” Plus chanceux, les Français n’ont pas dû remplacer les traverses sur la LGV Nord, qui peuvent encore tenir plus de 20 ans.
Le chantier fait partie du plan pluriannuel d’investissement d’Infrabel approuvé par le gouvernement. – Adrien Constant, ingénieur des voies chez Infrabel, en charge du chantier.
Cette “maladie du béton” s’est révélée ces dernières décennies. Elle est connue du secteur, c’est la RAS (réaction alcali-silice) qui peut provoquer des fissures. L’industrie adapte actuellement la production de béton pour éviter ce risque de fissuration, mais il y a encore des structures en service, dans le ferroviaire ou les infrastructures (ponts), touchées par cette dégradation chimique, qui doivent être réparées ou remplacées plus rapidement que prévu.
La prochaine rénovation : Louvain-Liège
Les autres LGV du pays seront rénovées plus tard. La suivante est la LGV2, entre Louvain et Liège – un marché public est en préparation –, et ne devrait concerner, au niveau de la voie, que le remplacement des traverses. “Les rails sont encore en très bonne forme. Ceux de la LGV1 avaient souffert en début d’exploitation, de l’envol de cailloux du ballast qui venaient abîmer les rails”, précise Adrien Constant. Le phénomène a été maîtrisé, mais la durée de vie des rails en avait été affectée.
Ces travaux en profondeur s’ajoutent à la maintenance régulière assurée par Infrabel. Des trains spéciaux examinent les voies à peu près toutes les deux semaines, notamment pour en mesurer la géométrie, dont l’évolution est analysée tous les deux mois. Les éventuels défauts sont corrigés par des travaux nocturnes pour repositionner les voies en travaillant le ballast avec des machines appelées bourreuses. A un moment donné, ces travaux ne suffisent plus, il faut alors rénover la voie et en remplacer certains éléments.
La durée de vie des infrastructures ferroviaires
* Trains : jusqu’à 40 ans. Un train à grande vitesse peut rouler 35 à 40 ans. Beaucoup de rames reliant Bruxelles à Paris et d’autres destinations de l’ex-réseau Thalys, devenu Eurostar, ont atteint 27 ans, mais ont été rénovées il y a 14 ans, et suivent un nouveau programme de refurbishing, qui ajoute 28 sièges par rame. D’ici 2030, le groupe Eurostar commandera des nouvelles rames pour remplacer les plus anciennes à partir de 2032, quand elles auront environ 35 ans.
* Rails : 35 à 70 ans. Selon Adrien Constant, d’Infrabel, ils peuvent tenir jusqu’à 70 ans. Sauf en cas de contrainte forte, comme certains rails dans la jonction Nord-Midi à Bruxelles, où le matériel peut être renouvelé tous les 12 mois, en raison du trafic intense et de l’usure prématurée sur les passages en courbe, car les trains n’ont pas de différentiel, les roues droites et gauches tournant à la même vitesse, certaines patinent en virage.
* Traverses : 25 à 50 ans. Les traverses en bois peuvent durer 25 ans, celles en béton, le double, ce qui explique leur usage généralisé.
* Ballast : 40 à 50 ans. Mais il faut l’entretenir pour que ce “lit” de cailloux sur lequel reposent rails et traverses assure correctement son rôle d’amortisseur, et cela en enlevant les cailloux trop petits ou cassés et en corrigeant le tassement.
(1) La gestion du réseau de chemin de fer a été séparée de la SNCB en 2005 avec la création d’Infrabel, une entreprise publique fédérale, dans le cadre de l’ouverture du rail à la concurrence. Infrabel commercialise l’accès au réseau de manière indépendante à des opérateurs publics et privés (SNCB, Lineas, SNCF, etc.), développe et maintient le réseau.
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