Des entreprises belges face à beaucoup d’incertitudes
Pour Dimitri Pelckmans, expert chez Atradius, le climat des affaires est incertain, et l’on peut s’attendre à une dégradation de la situation économique quand on regarde ce qui se passe chez nos voisins.
Dimitri Pelckmans est Head of Risk Services (Belgique et Luxembourg) auprès de l’assureur crédit Atradius. Nous lui avons demandé comment les entreprises réagissent dans ce contexte macro-économique compliqué, avec des taux toujours relativement élevés, des interrogations sur les prix de l’énergie, et les économies des pays voisins comme l’Allemagne, la France ou les Pays-Bas, qui ne sont pas florissantes.
Alors, quel est le sentiment des chefs d’entreprises ?
En parlant avec eux, nous ressentons toujours un sentiment d’incertitude et le manque de visibilité. Les ménages, les sociétés et les gouvernements, tous aiment avoir de la visibilité et c’est cela qui manque pour le moment. Effectivement l’inflation s’est stabilisée, grâce à la baisse du coût de l’énergie. Par contre, nos économies restent très vulnérables à l’arrivée d’un nouveau choc. Un petit événement peut entraîner des répercussions importantes. On l’a vu avec la rébellion des houthis dans la mer Rouge : le transport maritime n’ose plus passer par le canal de Suez, il doit faire un détour par le Cap, et tout ce qui est relatif à la chaîne d’approvisionnement est à nouveau soumis à une augmentation des prix. Lorsque l’on regarde les indicateurs, comme les directeurs d’achat, on voit que la confiance en Europe n’est pas au mieux.
Pourtant, par rapport à ses voisins, l’économie belge a l’air de mieux d’en sortir. Vous vous attendez à une dégradation de la situation en Belgique ?
Oui. Je ne peux pas imaginer qu’avec notre économie tellement ouverte et avec les difficultés rencontrées par nos principaux partenaires commerciaux, il n’y ait pas de répercussion sur notre économie. La Banque nationale a publié des prévisions qui étaient encore meilleures que celles de la zone euro (La croissance du PIB devrait s’accélérer quelque peu et atteindre 0,4% au premier trimestre de 2024, NDLR), mais à la fin nous subirons quand même un impact. Nous le voyons déjà, quand nous discutions avec nos clients, que les chiffres d’affaires et l’activité en général sont moins dynamiques qu’avant des gens. Et nous observons aussi une augmentation des incidents de paiement. La hausse des taux d’intérêt ne va pas aider non plus, car beaucoup de sociétés doivent refinancer des dettes qui bénéficiaient encore des taux bas. De plus, on demande aux entreprises de faire des investissements (en efficacité énergétiques, réduction d’émissions de CO2, digitalisation,…) qui vont bien sûr en partie aboutir à une plus grande optimisation. Il n’empêche : les dirigeants d’entreprises ne sont pas dans une situation facile et se demandent s’il faut investir davantage, si c’est le bon moment … Et cela paralyse la situation.
J’ajouterai qu’en Belgique, il y a un grand chantier à mettre en place sur le marché de l’emploi. Notamment pour la région wallonne où l’on voit qu’il y a un déséquilibre entre les besoins des entreprises et les personnes qui arrivent sur le marché. Il y a une nécessité d’avoir des personnes compétentes, mais il est très compliqué de les trouver. Pour certains postes, donc, on assiste à une concurrence entre entreprises et à une hausse des salaires. Quelque chose doit vraiment changer dans notre système de formation : les entreprises demandent d’autres profils que ceux qui arrivent sur le marché de l’emploi. C’est donc un vrai souci chez les chefs d’entreprise, qui trouvent peut-être la main-d’œuvre qu’ils cherchent, mais pas toujours au même niveau de qualité ou de coût qu’ils avaient anticipé. Et cela handicape au final la position concurrentielle de la Belgique.
Ces incertitudes peuvent-elles s’estomper et peut-on retrouver le niveau d’inflation et de taux d’intérêt d’avant ?
Le Covid avait déjà eu un impact énorme sur l’inflation, et mon sentiment, à ce moment déjà, était que le retour à la normale ne se ferait pas au niveau d’inflation aussi bas qu’avant le Covid, en 2019. C’est ce qui se manifeste aujourd’hui., parce que certains facteurs d’inflation sont incorporés désormais dans l’inflation sous-jacente. C’est d’autant plus vrai chez nous, où nous avons une indexation automatique des salaires. Celle-ci procure un certain pouvoir d’achat, c’est vrai, et une certaine capacité à payer ses dettes, mais c’est un avantage de court terme. Le taux de référence ne sera donc plus celui de 2019 mais plutôt celui de 2021 ou 2022. Les banques centrales sont un peu du même avis : elles restent sur un objectif d’inflation de 2%, qui est un bon niveau pour équilibrer l’activité économique et les taux d’intérêt.
Est-ce que la situation actuelle impacte des secteurs plus particulièrement ?
Oui, certaines activités sont plus sensibles que d’autres à la conjoncture actuelle. On songe surtout à la construction, un secteur qui va particulièrement mal en France, mais qui souffre chez nous également car certaines questions ne sont pas encore résolues : va-t-on se lancer dans des rénovations, va-t-on construire des bâtiments résidentiels, comment répercuter la hausse des coûts des matériaux et des salaires dans les prix , quelle est la capacité d’emprunt des ménages et des entreprises… ?
On voit que les chiffres de faillite sont plus élevés depuis plusieurs mois. Les entreprises souscrivent-elles davantage à des assurances-crédits ?
Oui, en raison de cette incertitude. Une assurance est toujours un investissement. Mais elle donne un certain confort à l’entreprise. Aujourd’hui, celles-ci doivent aller chercher leur business. Ce n’est plus aussi facile qu’il y a quelques années. Il faut aller chercher les clients, aborder de nouveaux marchés, et cela accroît l’incertitude. Et puis, dans une période où, pour beaucoup de sociétés, les marges sont faibles, l’incidence d’un accident de paiement est importante. Si une société rencontre un accident de paiement chez un client, elle devra donc réaliser pour compenser ce sinistre, un chiffre d’affaires relativement important. Voilà pourquoi nous ressentons chez les entreprises cette demande pour le confort que peut offrir une assurance-crédit.
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