Des Belges parmi les révolutionnaires de l’énergie africaine
L’Afrique est en pleine révolution énergétique. Des start-up du monde entier éclairent çà et là les régions isolées grâce à des panneaux solaires reliés à des batteries. Laurent Van Houcke et David Oren font partie de ces révolutionnaires.
“Survol de nuit : un tapis scintillant qui défile sans interruption. La Belgique et ses autoroutes illuminées sont faciles à identifier “, écrit Thomas Pesquet. Le 10 février, l’astronaute français publie sur Twitter une photo de notre pays vu depuis l’espace. A bord de la station spatiale internationale depuis novembre 2016, il partage régulièrement des photos de la Terre sur les réseaux sociaux. Une autre image montre l’Europe, endormie, parée de paillettes lumineuses. Certaines sont plus scintillantes que d’autres. Ce sont les grandes villes du Royaume-Uni, de France, du Benelux, d’Allemagne, de Pologne, du Danemark et d’Italie.
En décembre 2012, la Nasa publiait une animation représentant la Terre vue depuis l’espace, plongée dans le noir. Ces images ont été réalisées grâce aux données du satellite Suomi NPP. Lorsque l’on s’arrête en face de l’Afrique, on constate que le continent est en grande partie plongé dans l’obscurité. Quelques points lumineux apparaissent çà et là au sud et le long des côtes. Les pays du Maghreb émergent faiblement. Seul le delta du Nil est clairement visible depuis l’espace. Cependant, une nouvelle étincelle semble jaillir peu à peu des ténèbres. De nouveaux entrepreneurs se sont progressivement lancés sur le marché africain. Leur pari : éclairer les régions isolées de l’Afrique.
A la conquête du soleil
” Je me trouve pour l’instant dans le royaume de Bafut, explique David Oren par téléphone. Cela se trouve au nord-ouest du Cameroun près de la grande ville de Bamenda. ” Le jeune Belge est à la tête de Solarly, une start-up active dans l’énergie solaire en Afrique. Contacté fin décembre, David préparait l’installation de ses 40 premières stations photovoltaïques. Arrivées fin janvier par bateau, elles sont peu à peu installées chez des particuliers habitant dans des régions isolées du Cameroun. Ces premières stations sont installées gratuitement et seront testées pendant cinq mois avant d’être commercialisées. ” La station est composée d’un panneau solaire qui est rattaché à un boîtier, explique David Oren. Dans ce boîtier, il y a une batterie et un régulateur de charge. ” Ces stations solaires sont d’abord destinées à des ménages ou à de petits commerces.
Si on poursuivait l’électrification au rythme actuel, il faudrait attendre 2080 pour que tous les Africains aient accès à l’électricité.
David Oren n’est pas le seul Belge actif dans ce domaine sur le continent africain. Laurent Van Houcke s’est lancé bien plus tôt sur ce marché. Etudiant à l’Imperial College de Londres, cet ingénieur en électricité et en électronique a lancé BBOXX avec deux de ses amis, l’Anglais Christopher Baker-Brian et le Pakistano-Suédois Mansoor Hamayun en mars 2010. ” Nous avions lancé E.quinox, un projet étudiant qui développait des solutions pour électrifier des communautés rurales en Afrique, explique Laurent Van Houcke. Nous avions fait des projets au Rwanda, ce qui nous a permis de comprendre le marché. En tant qu’association étudiante, nous consacrions beaucoup de temps à lever des fonds. Mais nous avions vu qu’il y avait un vrai potentiel économique. A partir de là, nous avons développé une entreprise, BBOXX. ” La start-up commercialise des stations solaires similaires à celles de Solarly. Cent mille systèmes ont déjà été installés par BBOXX ou par ses partenaires dans plusieurs pays comme au Rwanda, au Kenya, en Afrique du Sud, au Cameroun, au Congo, au Nigeria ou au Pakistan.
Une manne de data
La véritable innovation de ces stations solaires, c’est leur système informatique. Les stations de Solarly et de BBOXX sont connectées au réseau GSM. ” On a rajouté un protocole de communication qui permet d’avoir une connexion directe avec la station, explique David Oren, CEO de Solarly. Chaque station solaire est équipée d’une carte SIM. On peut connaître l’état de la batterie ou l’état des panneaux. On peut géolocaliser la station, l’activer ou la désactiver à distance. ” Ce qui permet aussi de récolter de précieuses données de consommation et de production. ” On peut prédire à distance quand le client aura un problème avec sa batterie, et lui dire de passer au magasin pour la remplacer, précise Laurent Van Houcke, de BBOXX. Aujourd’hui, on comprend à peine la vraie valeur de ces données. ”
Ce système permet aussi au client de payer directement l’utilisation de sa station via son GSM. Une station solaire telle que proposée par Solarly coûte entre 200 et 400 dollars en fonction du modèle. Une somme très importante pour les habitants de ces régions rurales. Les firmes proposent donc des formules de paiement par échelonnement hebdomadaire ou mensuel. Tous les paiements sont effectués par téléphone portable. Ces crédits mobiles sont largement utilisés en Afrique subsaharienne car la masse monétaire n’est pas très importante. ” Ils sont en avance par rapport à l’Europe, note David Oren. Ils paient tout par crédit mobile. ”
Une fois le crédit remboursé, l’utilisateur de Solarly devient entièrement propriétaire de son installation. Ce n’est pas le cas chez BBOXX : ici, après trois ans de paiements réguliers, les clients ne s’acquittent plus que d’une petite mensualité pour couvrir les frais de service et de maintenance. Ces systèmes informatiques et de paiements mobiles intéressent les opérateurs de télécommunications et les grands producteurs d’énergie. BBOXX et Orange sont partenaires au Cameroun. Engie est également actionnaire de la société. EDF, son grand rival, a investi en novembre dernier dans la start-up américaine Off Grid Electric.
Des réseaux décentralisés
En quelques années, des sociétés comme Solarly et BBOXX se sont rapidement développées en Afrique. Il faut dire que le marché est gigantesque. ” Aujourd’hui, plus de deux tiers des Africains ne sont pas connectés à un réseau d’électricité “, explique Nicolas Baise, expert en énergie au sein du Boston Consulting Group. Cela représente plus de 621 millions de personnes. En 2016, l’Union européenne comptait 510 millions d’habitants.
Mais cela ne veut pas dire que ces personnes vivent dans le noir. Elles utilisent des bougies, des lampes à pétrole, des torches électriques voire des groupes électrogènes qui peuvent servir d’appoint. Ces sources d’énergies sont dangereuses car elles peuvent provoquer des incendies, des problèmes respiratoires et de la pollution. Elles sont aussi très chères. ” Quand on regarde l’écart de prix entre ce que paie une personne connectée et ce que paie une personne déconnectée du réseau, pour une même quantité d’énergie, il y a un écart de un à 20 “, indique Nicolas Baise. Ces personnes vivant dans ces régions isolées sont aussi les plus pauvres. En réalité, le réseau électrique a d’abord été tissé dans les grandes villes, près des ports et des bassins industriels. ” Le problème en Afrique, ce n’est pas la demande, mais l’offre, poursuit Nicolas Baise. L’offre d’énergies conventionnelles est difficile à mettre en oeuvre. Traditionnellement, ce sont des grosses centrales qui sont alimentées par du charbon, du gaz et du fioul qui produisent de l’énergie. Ensuite, on la transporte. ”
Le secteur de l’électricité en Afrique pourrait vivre le même bouleversement que le réseau des télécommunications.
Si on poursuivait l’électrification au rythme actuel, il faudrait attendre 2080 pour que tous les Africains aient accès à l’électricité. Les énergies renouvelables telles que le soleil et le vent, couplées à des batteries, pourraient apporter une solution moins coûteuse pour ces populations. Une fois l’installation amortie, plus besoin de carburant. Il n’est également plus nécessaire d’investir dans un réseau onéreux à installer et entretenir. Le secteur de l’électricité en Afrique pourrait donc vivre le même bouleversement que le réseau des télécommunications. Plutôt que de construire un réseau de lignes téléphoniques, le continent a investi directement dans des antennes GSM.
Une explosion démographique
Pour Jean-Louis Borloo, ancien ministre français de l’Ecologie sous la présidence de Nicolas Sarkozy, l’électrification de l’Afrique est vitale. Pour son développement, sa stabilité et celle de ses voisins. En 1950, 180 millions de personnes vivaient en Afrique. Elles sont 1,2 milliard aujourd’hui. Elles seront 2 milliards en 2050. En un siècle, la population du continent aura été multipliée par 10. Aujourd’hui, la moitié des Africains a moins de 25 ans. Comme tous les jeunes de leur âge, ils ont le monde dans leur poche. Ils s’informent et communiquent via Internet. Si ce boom démographique se produit dans le noir, c’est tout le continent et les pays voisins qui risquent d’être ébranlés. En Europe, cette instabilité pourrait accentuer les vagues de réfugiés en quête d’une vie meilleure. Risquant de créer des bouleversements économiques, sociaux et politiques. ” Il y a une urgence absolue, lance Jean-Louis Borloo. L’accès à l’énergie, c’est le prérequis du reste. Eau, éducation, santé, agriculture, industrie, etc. Au 21e siècle, sans énergie, il n’y a plus de développement. ”
Sur place, ce manque d’accès à l’énergie a déjà des conséquences. Beaucoup quittent leur campagne pour venir s’installer en ville. Cet exode rural crée davantage de pauvreté et d’instabilité. Jean-Louis Borloo plaide donc depuis plus de deux ans pour un Plan Marshall de l’Energie en Afrique. Il a mis sur pied la fondation Energies pour l’Afrique afin de mobiliser la communauté internationale autour d’un plan d’électrification massif. Son pari : faire passer l’Afrique à 80 % d’accès à l’énergie en moins de 10 ans. Contre 25 % aujourd’hui.
En réalité, des projets de centrales existent déjà. Leur financement est pratiquement bouclé. ” Le pouvoir d’achat local ne permet pas de rendre soutenable tous les projets, explique Jean-Louis Borloo. Comme partout dans le monde, il y a toujours une partie de subventions publiques, 20 à 25 % des programmes. Or les fonds propres de ces Etats ne leur permettent pas de faire cela. ” L’idée est donc d’encourager les Etats étrangers, en particulier les pays européens, à soutenir ces projets de centrales électriques grâce à des subventions publiques. Pour réussir ce pari, il faudrait mobiliser pas moins de 50 milliards de dollars, soit 4 milliards par an durant 12 ans. C’est tout à fait réaliste pour Jean-Louis Borloo, qui rappelle que ” l’ensemble des instruments d’aide au développement dégagés par l’Europe dans le cadre financier pluriannuel s’élève à 70 milliards d’euros “.
Cet argent n’est toutefois pas uniquement alloué à l’énergie. Certaines aides sont peu ou mal utilisées. Un instrument dédié à l’électrification de l’Afrique (AREI) a été mis en place le 31 janvier dernier. Cet organe va rassembler les subventions publiques et distribuera ensuite ces fonds vers les projets de centrales électriques. ” La machine est lancée “, assure Jean-Louis Borloo. Des engagements ont été pris. Notamment de la part de la Commission européenne. Cependant, ces engagements doivent encore être mis sur papier. Ce qui se fera prochainement. Peut-être à l’occasion du prochain sommet Europe-Afrique en novembre prochain. Ce fonds soutiendra en priorité des projets d’énergies hydrauliques, photovoltaïques, éoliens, géothermiques, thermodynamiques ou de biomasse. L’Afrique possède d’énormes gisements d’énergie renouvelable. Les énergies fossiles seront néanmoins soutenues lorsque cela s’avérera nécessaire pour l’équilibre du réseau ou le développement local.
Au-delà de la mer Méditerranée, des entrepreneurs comme Laurent Van Houcke et David Oren s’inscrivent dans cette révolution énergétique. Ils expérimentent un nouveau modèle. Celui de l’autonomie et des micro-réseaux. Des technologies qui pourraient ensuite s’imposer en Europe. Créant en Afrique le laboratoire de la transition énergétique.
Dossier Entreprendre
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