“Demain, il faudra des incubateurs de restart-up”
Quand un échec survient, partager ses erreurs et s’inspirer des leçons des autres aide à faire son deuil. Travailler sur soi en adoptant une attitude constructive permet d’aller de l’avant. Mais après la sensibilisation, il va falloir se relever. Place à l’action.
” Aujourd’hui, rares sont ceux qui ont eu une seule vie amoureuse. Cela ne choque plus personne. Sur le plan du travail, on ne parle pas encore de ‘divorce professionnel’. Mais c’est pourtant ce que cela veut dire. C’est un échec “, constate Valérie Delande.
Cette Française a travaillé une vingtaine d’années pour les laboratoires pharmaceutiques et cosmétiques Pierre Fabre, comme directrice administrative et financière d’abord, puis, à partir de 2006, comme directrice de la communication. En 2010, Jean-Pierre Garnier, CEO du groupe, quitte Pierre Fabre. On demande alors à Valérie Delande de renoncer à son poste pour revenir à la direction financière. Elle le vit comme une sanction, un échec, et décide de quitter le groupe fin 2011. Forte de son expérience, elle se lance alors en tant qu’entrepreneur et crée une première société active dans le conseil en stratégie, finances et communication pour aider des entrepreneurs en difficulté. Puis, avec François Brust, un expert en stratégie et en digital, elle lance YeltUp, ” une organisation d’experts pour secourir une société en détresse et de faire du service contre equity “.
La culture anglo-saxonne a compris depuis longtemps que l’échec, c’est de l’expérience”, Valérie Delande.
Faire bouger les cultures
Aujourd’hui, bénévole pour l’association française 60.000 Rebonds, elle s’occupe du programme reSTART pour la Chambre de commerce et union des entreprises de Bruxelles (BECI). Ce nouveau projet aide les entrepreneurs en faillite à rebondir.
” La culture anglo-saxonne a compris depuis longtemps que l’échec, c’est de l’expérience. Dans nos cultures européennes, l’échec, c’est de l’incompétence. C’est quelque chose d’inavouable, analyse Valérie Delande. Ce qui explique qu’aujourd’hui vous ayez des No Fail No Gain, des Fuckup Night, des Failing Forward, etc. (des événements destinés à tirer des leçons de nos erreurs, lire à ce propos : ” Quand nos échecs inspirent ” dans le Trends-Tendances n° 32 du 10 août 2017, Ndlr). Tout le monde entre dans le chapitre de la sensibilisation. C’est la première étape pour faire bouger les cultures. Ensuite, on passe à l’action. ”
60.000 Rebonds
Le programme reSTART s’inspire largement de l’association française 60.000 Rebonds, créée en 2012 à Bordeaux par un entrepreneur, Philippe Rambaud. ” En France, chaque année, 60.000 entreprises déposent le bilan. J’ai été un de ces 60.000 “, confiait l’entrepreneur sur la scène de la conférence TEDxVaugirard-Road, en 2012. Il mettait alors en place l’association et son programme d’accompagnement.
Il décide ensuite de l’installer partout en France et fait notamment appel à Valérie Delande pour l’implanter à Toulouse. Celle-ci s’y installe en juin 2013 et créé officiellement l’antenne toulousaine en avril 2014. Aujourd’hui, 60.000 Rebonds a essaimé dans 17 villes françaises, dont Marseille, Montpellier, Grenoble, Lyon, Strasbourg, Paris et Lille. ” L’objectif est d’accompagner 500 entrepreneurs cette année “, précise Valérie Delande. La Française prend ensuite en charge le développement européen de l’association, puis pose très vite ses valises dans notre pays.
Le programme reSTART
En collaboration avec BECI, elle lance reSTART à Bruxelles le 9 mars. Valérie Delande s’attelle à faire connaître le programme, tisser des liens avec des organisations, trouver des partenaires et des intervenants. Une quinzaine de personnes se sont déjà inscrites. C’est notamment le cas d’Ines Pires, CEO d’International School of Protocol & Diplomacy, un centre d’experts et de formation spécialisé en diplomatie internationale et situé à deux pas du Parlement européen (lire l’encadré ” 22 mars 2016, la station de métro Maelbeek explose ” plus bas).
La méthode mise peu à peu en place chez reSTART s’inspire largement de celle développée chez 60.000 Rebonds. En France, chaque participant bénéficie de trois accompagnements. Ils sont d’abord aidés par un coach personnel. ” On travaille sur la connaissance de soi, sur la culpabilité, l’enthousiasme, la potentialisation des talents, etc. “, explique Valérie Delande. Sept séances de coaching d’une heure et demie sont programmées durant deux à trois mois. On leur attribue ensuite un mentor à chacun, un autre entrepreneur qui va avoir un effet miroir auprès du ” restarter “. ” Son rôle va être d’écouter, de faire part de son expérience, d’ouvrir son réseau, d’identifier les besoins techniques qu’il va falloir apporter à l’entrepreneur. ” Il va enfin bénéficier d’ateliers collectifs thématiques et participer à des Groupes d’échanges et de développement (GED). ” On met en oeuvre la puissance du collectif. ” Lors des GED, l’entrepreneur prépare une thématique avec son coach et son parrain. Il va ensuite en discuter avec les autres participants durant 90 minutes. Le coach modère la discussion. Objectif : trouver ensemble des solutions. A la fin de la séance, l’entrepreneur repartira avec son plan d’action réalisé grâce aux contributions de chacun. Totalement gratuit, cet accompagnement dure en moyenne un à deux ans. Les coachs et les mentors sont bénévoles.
Un écosystème de la deuxième chance est en train de se construire en Europe, avec l’aide de la Commission.
Un écosystème pour rebondir
60.000 Rebonds a également essaimé en Italie avec la mise sur pied de l’association 100. 000 Ripartenze. ” Un écosystème est en train de se construire “, selon Valérie Delande. Et il est notamment soutenu par l’Union européenne. ” La Commission a lancé un appel à projet en 2016 pour constituer ce réseau de la deuxième chance. ” Aujourd’hui, l’organisation Early Warning Europe rassemble 15 partenaires venant de sept Etats membres. Objectif : mettre en place des mécanismes pour aider les PME en difficulté à éviter la faillite, ou à en atténuer les conséquences pour les entrepreneurs si elle se produit, et leur permettre d’avoir une seconde chance.
Ces mécanismes seront d’abord implantés en Pologne, en Grèce, en Espagne et Italie, puis dans le reste de l’Union européenne après 2019. Le but de ce projet est également de créer un réseau d’experts, d’autorités publiques, d’associations industrielles et de chambres de commerce sur cette thématique. Valérie Delande voit même plus loin : ” Aujourd’hui, il y a des incubateurs et des accélérateurs de start-up. Demain, il faudra des incubateurs et des accélérateurs de re-startup. “
Un fourgon de police et de hautes barrières ferment la rue de la Loi à quelques pas de la Commission européenne. Postés à la sortie du tunnel Schuman, un petit groupe de cameramen et de journalistes observent l’attroupement des forces de l’ordre à la hauteur de la station de métro Malbeek. Les attentats du 22 mars 2016 ont fait 35 morts et des centaines de blessés.
Ines Pires n’était pas dans le métro ce jour-là. Elle a cependant été touchée par cette attaque. En 2008, cette consultante en diplomatie lance The International School of Protocol & Diplomacy (ISPD), une école spécialisée dans la diplomatie et ses protocoles ainsi que dans la communication interculturelle. Hommes politiques, businessmen, entrepreneurs ou patrons de petites PME peuvent y apprendre, notamment, la manière de communiquer et de se comporter durant des échanges diplomatiques ou économiques avec des personnes d’une culture différente. ISPD est aussi un large réseau d’experts dans ce domaine. L’école a, dans un premier temps, un statut d’association sans but lucratif. Ines Pies créée par la suite une SPRL – tout en conservant une partie des activités de l’ASBL – pour poursuivre la croissance d’ISPD.
Situé juste à côté du Parlement européen, à deux rues à peine de la station de métro Malbeek, le centre de formation a subi de plein fouet les retombées de l’attaque du 22 mars. La plupart des élèves inscrits étaient originaires de pays étrangers. Au lendemain des attentats, la grande majorité des étudiants annulèrent leur participation aux cours d’ISPD. Des cursus qui devaient normalement avoir lieu jusqu’au mois de juillet. ” Personne ne voulait venir à Bruxelles”, se souvient Ines Pires. Mais les attentats n’ont pas provoqué, à eux seuls, la faillite de la SPRL.
Un remplaçant incompétent
En 2014, la société s’est vu confier un important projet au sultanat d’Oman. Ines Pires engage donc du personnel pour la remplacer avant de s’envoler, au mois de décembre. Entre autres, une personne qui se chargerait du poste de CEO et de CFO durant son année d’absence, avec un objectif : gérer et développer la société, maintenir les ventes, obtenir de nouveaux contrats, développer de nouveaux projets.
A son retour, en décembre 2015, elle constate qu’aucun de ces objectifs n’a été atteint. “La personne qui était responsable de l’équipe et de vérifier une fois par semaine les résultats n’est jamais venue”, raconte-t-elle. Pire : sa société a perdu de l’argent et se trouve désormais en mauvaise position. La jeune femme d’origine portugaise a cependant bon espoir de remonter la pente, mais les attentats du 22 mars vont précipiter la chute de son entreprise.
Renaissance
Malgré ses efforts, la SPRL est déclarée en faillite le 6 octobre 2016, provoquant au passage de multiples secousses financières pour sa fondatrice. Malgré tout, la marque ISPD a su conserver sa réputation, et Ines Pires, son réseau. Après plusieurs mois de réflexion, elle décide de poursuivre son projet.
Aujourd’hui, ISPD renaît, à partir de l’ASBL. L’entrepreneuse participe aussi au programme reSTART, de BECI, depuis le mois d’avril. Cet accompagnement lui permet de s’inspirer des idées d’autres entrepreneurs, de travailler sur ses propres erreurs, et de retrouver une certaine confiance en elle. Non pas en tant qu’expert des arcanes diplomatiques, mais en tant que manager. Afin de poursuivre son rebond et de revenir à son objectif initial : rendre ces compétences et ces protocoles diplomatiques accessibles au plus grand nombre.
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