Delhaize : « Il n’y a aucune garantie que tous les magasins survivront au nouveau modèle »

Sebastien Marien Stagiair Data News 

En moins d’un an, Delhaize a réussi à vendre les 128 supermarchés gérés en interne à des indépendants, selon un communiqué de presse du groupe. Cette rapidité a surpris l’expert en distribution, Gino Van Ossel. Malgré cette évolution positive, il souligne que les exploitants indépendants peuvent encore faire face à d’importants défis.

En mars de l’année dernière, Delhaize avait annoncé sa volonté de faire passer sous statut indépendant les 128 magasins que l’entreprise gérait en propre. Bien que la plupart des magasins Delhaize étaient déjà exploités par des indépendants, cette décision a déclenché un important conflit social. Malgré l’impact des grèves sur le chiffre d’affaires de la société mère Ahold Delhaize, la direction a persisté. Rien que pour le troisième trimestre de 2023, le groupe a annoncé 61 millions d’euros de “coûts de restructuration et coûts liés à la transformation en Belgique et à d’autres initiatives”. Cependant, des incertitudes planent encore sur l’avenir des magasins repris par des exploitants indépendants. Ces derniers pourraient ne pas survivre au nouveau modèle d’exploitation.

De ses 128 magasins passés sous franchise, la direction de Delhaize a indiqué que les nouveaux exploitants ont déjà pris en charge la gestion de 45 d’entre eux. “Cela va plus vite que ce que j’avais prévu”, déclare Gino Van Ossel, expert en distribution à la Vlerick Business School. “Je pensais que le processus prendrait jusqu’à deux ans et que tous les magasins ne trouveraient pas de repreneur. Quant aux conditions précises, nous ne pouvons que spéculer. Des accords différents ont été conclus pour chaque reprise, et Delhaize ne communique pas sur le contenu.” Des incertitudes planent encore sur l’avenir des magasins repris par des exploitants indépendants. Ces derniers pourraient ne pas survivre au nouveau modèle d’exploitation, estime l’expert.

La direction de Delhaize a remanié la dernière proposition rejetée par les syndicats. Nous savons notamment que tout le personnel restera en place. Reste-t-il encore une zone d’ombre?

GINO VAN OSSEL. “L’inventaire de certains établissements a été amorti plus rapidement, ce qui a conduit à la vente de magasins à des exploitants indépendants en dessous de leur valeur comptable. Il n’est pas inconcevable que pour certains magasins, rien n’ait été payé du tout. En fait, il n’est même pas exclu que Delhaize ait payé certains repreneurs. L’image selon laquelle Delhaize vend ses magasins depuis le début n’est peut-être même pas correcte. Bien sûr, cela reste de la spéculation.”

Gino Van Ossel, expert retail à la Vlerick Business School

Il s’agit alors des établissements qui fonctionnent le moins bien, par exemple, des magasins avec des coûts de personnel excessivement élevés. Comment cela va-t-il se passer?

VAN OSSEL. “Les exploitants indépendants disposent d’outils supplémentaires pour inverser la tendance. Un magasin récemment devenu indépendant près de chez moi ferme maintenant une heure plus tôt : à 19 heures au lieu de 20 heures. Cela vise clairement à réduire les coûts de personnel, car après 18 heures, des primes élevées sont versées au personnel. C’est typiquement une mesure qu’un exploitant indépendant peut prendre, car autrefois, tous les supermarchés détenus en interne par Delhaize avaient la même heure de fermeture. Maintenant, l’exploitant peut mettre ses coûts de personnel en regard de son chiffre d’affaires et prendre une décision en fonction. Un deuxième exemple est la caisse automatique. Certains supermarchés préféreraient s’en débarrasser car cela entraîne davantage de vols. Maintenant, chaque supermarché indépendant peut décider de la proposer ou non. C’est pourquoi nous constatons que les supermarchés indépendants affichent en moyenne un rendement plus élevé. Ces exploitants travaillent pour leur propre compte et cela fait vraiment la différence. L’indépendant est plus impliqué. Il est plus orienté vers le commerce et a plus de pouvoir pour ajuster le tir.”

Il n’est pas inconcevable que pour certains magasins, rien n’ait été payé du tout. L’image selon laquelle Delhaize vend ses magasins depuis le début n’est peut-être même pas correcte.

Gino Van Ossel, expert retail à la Vlerick Business School

Delhaize met en avant l’accompagnement dont bénéficient les exploitants indépendants. Joue-t-il un rôle important?

VAN OSSEL. “Cet accompagnement n’est en soi pas si particulier, car la majorité du réseau de magasins Delhaize était déjà gérée par des exploitants indépendants. Avec cet accompagnement, Delhaize poursuit surtout un processus déjà en cours. La différence principale est que maintenant, davantage grands supermarchés sont devenus indépendants, alors qu’auparavant, ce sont surtout de petits magasins qui avaient un exploitant indépendant. De plus, Delhaize a vraiment choisi des repreneurs expérimentés. Une grande partie des 128 supermarchés est passée entre les mains de franchisés existants, et une autre grande partie a été reprise par des employés de Delhaize. Ils connaissent Delhaize sur le bout des doigts. Enfin, les autres exploitants, une petite partie, ont une expérience pertinente dans le commerce de détail.”

Il n’y a aucune garantie que tous les magasins survivront.

Gino Van Ossel, expert retail à la Vlerick Business School

Êtes-vous optimiste quant aux chances de succès de ces nouveaux magasins indépendants?

VAN OSSEL. “Il n’est pas exclu que certains magasins ne puissent pas être rentables. Il n’y a aucune garantie que tous les magasins survivront. L’exploitant indépendant paie le prix le plus élevé en cas de faillite d’un magasin. Il se retrouve avec le passif social et les éventuels prêts en cours.”

Comment se profile l’avenir pour Delhaize ? Est-ce un avantage pour la chaîne que la séparation ait été si rapide?

VAN OSSEL. “Absolument, car Delhaize devient à 100 % un grossiste, ce qui simplifie instantanément sa structure. Il n’a plus besoin de disposer de personnel pour soutenir l’ensemble de son réseau de magasins. Il est seulement nécessaire d’avoir du personnel en contact direct avec les franchisés. Enfin, des économies importantes seront réalisées au niveau du département des ressources humaines, car Delhaize a tout à coup 9 000 employés de moins sur sa liste de paie.”

Certains experts ont spéculé que certains magasins Delhaize seraient transformés en Albert Heijn. Cela ne s’est pas produit.

VAN OSSEL. “Non, et il y a quelques explications à cela. Tout d’abord, il y a une sensibilité élevée parmi le personnel. Si les magasins restent Delhaize, il y a une certaine continuité. Il y a aussi beaucoup de fidèles de Delhaize qui reprennent les affaires. Un deuxième point est qu’Albert Heijn n’est pas actif en Wallonie. Donc, ces plans n’étaient pas une option dans cette région.”

Combien de licenciements au siège de Delhaize dans un avenir proche ?

Van Ossel s’attend à ce que Delhaize fasse de larges économies maintenant que les derniers magasins vont être gérés de manière indépendante. Wilson Wellens, du syndicat libéral ACLVB, espère que la situation sera clarifiée rapidement pour le personnel au siège central. Delhaize ne souhaite pas encore chiffrer les pertes d’emplois. “Nous faisons tout notre possible pour limiter le nombre de départs forcés”, déclare le porte-parole de Delhaize, Roel Dekelver, à Belga.

Les syndicats restent également critiques à l’égard de la séparation. Selon Wellens, certains repreneurs utilisent des failles dans la loi, ce qui conduira le personnel à travailler dans des conditions salariales moins favorables que prévu initialement. “Je constate que Delhaize a de nouveau vendu trois magasins au même repreneur. Celui-ci répartira les magasins entre différentes sociétés, de sorte que le personnel ne sera pas affilié à la bonne commission paritaire”, explique-t-il.

Les chaînes avec plusieurs succursales relèvent en effet d’une autre commission paritaire (202) que les petits indépendants (comité paritaire 202.01). Selon Wellens, dans le dernier cas, des règles moins avantageuses financièrement s’appliquent au personnel, par exemple en ce qui concerne le travail en soirée ou le dimanche. “Le personnel va le ressentir”, avertit-il. Roel Dekelver souligne de son côté qu’il n’y a aucune infraction. “Tout se déroule à 100 % en conformité avec la loi”, assure-t-il.

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