De nombreuses PME sont sur la corde raide: “Le contexte actuel les rend plus vulnérables”

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Selon un récent rapport du spécialiste des logiciels d’entreprise Teamleader, qui se base sur les données comptables de 8.000 PME belges, la moitié d’entre elles peut survivre seulement trois mois sans revenus. L’analyse montre que les petites et moyennes entreprises travaillent avec des marges étroites et des réserves limitées.

L’Union des classes moyennes valide le constat posé par Teamleader dans son étude. Chaque année, l’UCM publie – avec la collaboration de GraydonCreditsafe et de l’Union des entrepreneurs indépendants (Unizo) – un rapport sur la santé financière des PME. Le dernier en date (2024) révèle qu’en 2023, 48% des petites et moyennes entreprises belges avaient moins de 10 ans d’existence. L’analyse livre aussi un aperçu de la résistance de celles-ci aux chocs externes : les PME saines sur le plan financier passent entre les gouttes, mais les entités en mauvaise santé économique voient leur activité menacée à court ou moyen terme.

“Ce constat n’est pas récent. Les PME sont fragiles, au vu de leur dépendance chronique à la trésorerie ainsi que leur manque de réserves. Dans les secteurs comme l’horeca, les marges sont faibles et les coûts incompressibles”, commente Frank Janssen. Selon ce professeur d’entrepreneuriat à l’UCLouvain, le tissu économique belge se compose à 95% de très petites entreprises (TPE) et micro-entreprises. “On constate une tendance similaire dans les autres pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques, ndlr), mais la spécificité belge de l’indexation automatique des salaires rend le coût de la main-d’œuvre plus important, surtout dans les secteurs à faible productivité comme l’horeca.”

© BELGA/BELPRESS

L’horeca toujours fragile

Dans l’univers des PME, le secteur de l’horeca fait partie des plus fragiles. Yves Colette, qui gère un café en région liégeoise (deux employés), garde un souvenir amer de son activité entrepreneuriale passée, lorsqu’il possédait huit établissements et gérait 180 membres de personnel. “Je passais mon temps chez l’avocat fiscaliste et dans les administrations à me justifier, alors que les impôts de mes sociétés étaient toujours payés.”

Découragé, Yves Colette a mis la clé sous le paillasson il y a 10 ans. Aujourd’hui, il déconseille de se lancer dans l’horeca, secteur où la rentabilité est devenue une chimère. “Il suffit que des travaux démarrent dans la rue de l’établissement, ou qu’un membre du personnel tombe malade, et c’est le début de la fin.”

Anticipation!

Thierry Neyens est le gérant de l’Hostellerie du Peiffeschof et du restaurant Le Zinc à Arlon. Actif dans l’horeca depuis 25 ans, il rend compte de la fragilité du secteur : “L’augmentation des primes d’assurance, des prix de l’énergie et l’inflation grignotent la marge, ce qui pose un souci au niveau de la trésorerie, avec un déséquilibre entre les dépenses et les recettes.”

Thierry Neyens rappelle que le plus important reste l’anticipation. “On ne peut plus attendre que le client pousse la porte. En période creuse, il faut faire preuve de créativité pour relancer l’activité : soit on choisit de mettre une partie du personnel en chômage économique, soit on l’occupe avec d’autres tâches. Que l’activité ralentisse ou non, le montant du précompte mobilier reste le même…”

“Le contexte dans lequel on se trouve rend les PME plus vulnérables à la faillite. Au niveau politique, un certain nombre de réformes sont envisagées : dépenses militaires, soins de santé, pensions. Ces discussions ont un impact sur le comportement du consommateur, dont la confiance baisse : on observe que le taux d’épargne augmente sur la période récente. Pour les commerces, cela se traduit par une perte de clientèle”, relève Marcus Dejardin, professeur d’économie à l’Université de Namur.

Plusieurs faiblesses

Malgré leur dynamisme et leur grande flexibilité, les PME restent tributaires du contexte macro-économique, en raison de plusieurs faiblesses. “Elles ont une absence de taille critique pour investir, innover et aujourd’hui digitaliser”, remarque Frank Janssen. Le spécialiste des questions entrepreneuriales évoque aussi le problème du financement : “Ces TPE n’ont accès qu’aux ‘3F’ (Family, Friends and Fools, ndlr) et aux banques, qui restent frileuses.”

Plus largement, nos deux interlocuteurs mettent sur la table les problèmes de gouvernance auxquels beaucoup de petites entreprises s’exposent. “Souvent, elles se concentrent sur une logique opérationnelle – les tâches journalières – et manquent d’une réflexion stratégique pour leur avenir”, précise Frank Janssen. Les TPE restent majoritairement dépendantes des décisions d’une seule personne, dont la réussite de la boîte dépend, ajoute le professeur de l’UCLouvain. Une dépendance qui augmente les risques pour l’entreprise.

“Souvent, les PME se concentrent sur une logique opérationnelle – les tâches journalières – et manquent d’une réflexion stratégique pour leur avenir.” – Frank Janssen (UCLouvain)

“Et puis, beaucoup de petites entreprises sont isolées, complète encore Frank Janssen. Elles ne s’intègrent pas assez dans leur environnement, alors que rejoindre un réseau d’entreprises ou une chambre de commerce peut compenser le manque de ressources internes en cas de besoin.”

Marcus Dejardin cite deux autres facteurs. “Les PME ou indépendants qui disposent d’un seul client ou fournisseur seront davantage exposés à la faillite si ce dernier fait défaut ou arrête son activité du jour au lendemain.” Le professeur d’économie de l’Université de Namur constate aussi un manque de différenciation au sein du secteur des petites et moyennes entreprises. “L’attractivité de l’activité provient de l’apport d’une plus-value sur le marché, il leur faut donc trouver une niche pour se développer.”

Quelles solutions ?

Le microcrédit peut être une option intéressante pour pallier le manque de financement des petites entreprises. L’accès à ce prêt de faible montant demande moins de justificatifs que pour les crédits plus classiques.

Pour aider les patrons en difficulté, en cas d’absence pour cause de maladie, de deuil ou de burn-out, l’association BforB a développé un concept de “mentorat d’intervention d’urgence” entre pairs, ainsi qu’une offre de solutions liées à la prévention. Début novembre, L’Union des classes moyennes a rejoint l’ASBL dans son projet.

Selon une enquête menée en février dernier en partenariat avec l’UNamur, 72% des dirigeants de PME et des indépendants ont déjà été confrontés à une épreuve personnelle majeure, durant laquelle 61% se sont sentis isolés ou insuffisamment soutenus. L’initiative vise à anticiper les risques en activant les bons réflexes (notamment en termes de gouvernance), à un meilleur soutien en situation de crise, ainsi qu’à la création d’une communauté où règnent entraide et partage d’expériences.

Viabilité économique

“Les accompagnateurs à la création d’entreprises doivent mettre en garde ceux qui se lancent sur la nécessité d’une viabilité économique de leur activité”, juge Marcus Dejardin. Selon le professeur en économie de l’UNamur, le mode de financement des petites et moyennes entreprises montre ses limites. “Les banques peuvent aider les PME à franchir un cap en période difficile, mais elles leur demanderont quand même de rendre des comptes à un moment ou un autre.”

“Les accompagnateurs à la création d’entreprises doivent mettre en garde ceux qui se lancent sur la nécessité d’une viabilité économique de leur activité.” – Marcus Dejardin (UNamur)

“Il faut encourager la capitalisation, le renforcement des fonds propres et la planification stratégique des TPE pour régler leurs problèmes de trésorerie”, souligne pour sa part le professeur d’entrepreneuriat de l’UCLouvain Frank Janssen.

Depuis le 1er octobre, un indépendant qui veut lancer son activité en Wallonie ne doit plus démontrer des compétences en gestion. Une disposition prise par le gouvernement wallon afin de “favoriser un environnement plus propice à l’entrepreneuriat et permettre de stimuler la concurrence et l’innovation”.

Les banques, frileuses avec les PME ?

Selon les experts interrogés, la frilosité des banques vis-à-vis des PME est l’un des éléments expliquant leur manque de trésorerie. Qu’en pense le secteur bancaire ? “Les entreprises en difficulté continuent à avoir accès au crédit. Il faut rompre avec l’idée que les banques ne prêtent plus aux entreprises/PME. Et il est dans notre intérêt mutuel qu’elles puissent, in fine, renouer avec le succès”, recadre Valéry Halloy, porte-parole de BNP Paribas Fortis. Il fait valoir que le taux d’acceptation des crédits reste stable, entre 95% et 97% pour les petites entreprises.

“Chez Belfius, nous n’avons certainement pas réduit l’octroi de crédits”, lance Ulrike Pommée, porte-parole de la banque. Il rappelle que toute demande de financement est passée au crible de plusieurs critères. “Nous veillons à ce que l’entrepreneur dispose d’une marge de manœuvre suffisante pour faire face à des périodes difficiles, comme une perte de revenu temporaire”, complète Ulrike Pommée.

Au passage, BNP Paribas Fortis livre trois conseils aux dirigeants de PME : étaler les charges qui peuvent être financées (comme le financement du pécule de vacances ou des versements anticipés), optimiser le flux de revenus et protéger leur statut et activité. “Nos conseillers sur le terrain sont là pour rappeler l’existence des solutions de financement qui permettent de passer à travers ce cycle de ralentissement, de relancer l’activité et d’éviter ainsi de passer d’une crise de liquidité à une crise de solvabilité”, rappelle Valéry Halloy.

Nathan Scheirlinckx

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