De la sélection à la séduction: les candidats à un emploi dictent désormais leur loi
La pénurie de main-d’oeuvre et les changements induits par la pandémie ont contribué à inverser le rapport entre les recruteurs et les candidats, désormais en position de force. Il faut se montrer très attractif sur de nombreux plans pour convaincre un talent. A ce phénomène s’ajoute une autre dimension: pour beaucoup, le travail est devenu un bien de consommation comme les autres auquel on ne jure pas fidélité.
En août dernier, dans le cadre de deux articles sur la guerre des talents, nous évoquions la pénurie de main-d’oeuvre critique à laquelle faisait face la Belgique. Depuis, les choses se sont encore aggravées. Selon Statbel, le taux de vacance d’emploi de notre pays a encore grimpé pour atteindre 4,97%. Le nombre total d’emplois vacants a, parallèlement, augmenté de 4%. Nous ne reviendrons plus ici sur les raisons qui sous-tendent cette pénurie. Mais malgré le contexte économique compliqué lié à l’inflation et à l’indexation des salaires, il n’y a pas encore en Belgique de frein à l’embauche. Le dernier baromètre disponible de Manpower fait d’ailleurs état d’un désir d’embauche très important par nos employeurs avec une prédiction nette d’augmentation des cadres de 33% d’ici à la fin du mois.
Dans un contexte de pénurie et de guerre des talents, les candidats avec les bonnes compétences se sentent pousser des ailes.
Gefco en est un exemple typique. En Belgique, le groupe français dispose de trois implantations. A Braine-l’Alleud, il propose des services de logistique classiques. A Ghislenghien, il s’est spécialisé dans la logistique auto. L’entreprise reçoit les voitures en provenance des constructeurs, les stocke et, la plupart du temps, prépare aussi le véhicule avant de l’envoyer chez un concessionnaire. Enfin, elle dispose aussi d’un atelier qui lui permet de transformer, réparer et préparer des véhicules. Par exemple, c’est là qu’elle customise les véhicules de la flotte de Proximus avec flocage de la carrosserie et installation d’étagères spécifiques. Enfin, au port d’Anvers-Zeebrugge, elle s’occupe des formalités de douane des véhicules. Gefco emploie toutes sortes de profils: des commerciaux, des ingénieurs mais aussi des ouvriers qualifiés (mécaniciens, électriciens, tôliers, peintres, etc.). Le recrutement est de plus en plus difficile.
“L’inflation? Elle n’a aucun effet, j’ai besoin de recruter! assène Nathalie Ghiny, HR director North-West Europe. Le recrutement est compliqué et ce dans tous les pays dans lesquels nous sommes présents. Il est parfois plus difficile d’engager un ouvrier qualifié qu’un cadre. Et pourtant, chez nous, les horaires ne sont pas indécents et la pénibilité est assez limitée. Nous venons d’être rachetés par la CMA-CGM, le groupe français de Rodolphe Saadé. Nous allons ainsi être intégrés à Ceva Logistics, une de ses filiales. Cela va peut-être faciliter le recrutement, vu le branding assez intense de la CMA. Cela va aussi ouvrir des possibilités accrues de mobilité interne. Nous étions déjà très bons avec la Gefco University mais celle de Ceva est encore meilleure. Les formations plaisent beaucoup aux jeunes et c’est un incitant important à l’embauche.”
Avant, c’était l’entreprise qui imposait des contraintes, aujourd’hui, c’est elle qui est amenée à les subir.
Des comportements extrêmes
Dans ce contexte de pénurie et de guerre des talents, les candidats avec les bonnes compétences se sentent pousser des ailes et sont parvenus à rééquilibrer le rapport de force. Comme le dit Nathalie Ghiny: avant, c’était l’entreprise qui imposait des contraintes, aujourd’hui, c’est elle qui est amenée à les subir. Mais de quoi parle-t-on? De demandes précises sur l’équilibre vie privée-vie professionnelle (comme le télétravail, sa fréquence et son indemnisation), sur une responsabilisation rapide et un climat apaisé sur le lieu de travail, sur la RSE (responsabilité sociétale des entreprises), etc.
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“Cela fait 10 ans que recruter des pharmaciens est compliqué, souligne Cindy Dewitte, DRH de Multipharma. Mais là, on atteint des sommets même si l’on recrute ce qu’on doit recruter, et ce finalement dans toutes les fonctions de l’entreprise. J’ai 170 personnes au siège dont des profils très spécifiques, entre autres dans l’IT, qu’il faut garder ou attirer. On y arrive grâce à un gros travail fait en amont sur l’équilibre vie privée-vie professionnelle, le télétravail et la culture d’entreprise. Grâce aussi à un package salarial et des avantages de qualité. Grâce aussi à la Multipharma Academy. On y a ajouté un programme appelé Feel good bubble, des activités liées au bien-être. Elles ont un succès dingue même chez les gens qui ont peu de temps pour les formations. C’est un signe clair de l’ambiance actuelle. Alors oui, il manque des pharmaciens, c’est un métier en pénurie. Surtout en Flandre. On le sait et on agit en conséquence. Le changement sociétal dont vous parlez fait que nos pharmaciens vont vers d’autres métiers. Il transpire des entretiens de sortie qu’ils se dirigent vers l’industrie où les horaires sont plus simples. Oui, une pharmacie est ouverte le samedi et il faut assurer des gardes. La semaine des quatre jours? O.K. mais alors il faut fermer les pharmacies le vendredi et le samedi. Cela ne colle pas du tout avec la réalité du terrain. Le monde des RH est occupé à bouillir et il faut s’adapter pour rester pertinent. Sur la question de l’impact sociétal de l’entreprise, je suis aussi régulièrement mise sur le gril par des candidats qui ont bien préparé leur entretien. C’est devenu une question centrale.”
Certains multiplient les candidatures et vont jusqu’à renégocier trois fois les conditions salariales avant de choisir le mieux payant.
A côté de ces demandes à satisfaire jusqu’à un certain point pour rester attractif, les entreprises font aussi face à des surenchères sur le terrain des salaires. “Il y a, de fait, un certain nombre de candidats qui font ce que j’appelle du cherry picking, poursuit Cindy Dewitte. Certains multiplient les candidatures et vont jusqu’à renégocier trois fois les conditions salariales avant de choisir le mieux payant. Récemment, j’ai mis un stop au recrutement d’un candidat de 29 ans qui agissait de la sorte. A la première sirène financière plus douce à ses oreilles, il allait partir, j’en suis convaincue. Je ne suis pas sensible au chantage et je ne veux pas faire de folie pour engager un profil. Mais je sais, via mes contacts professionnels, que d’autres le font. Moi, je fais régulièrement une mise à jour des calibrages de fonctions et si l’entreprise est à niveau en termes de salaire et d’avantages, il ne faut pas céder. Pour ne pas créer des frustrations dans les équipes et par équité vis-à-vis des employés qui sont là. En tant que DRH, il faut toujours soigner les collaborateurs fidèles. Autre tendance: des employés qui ont frappé à ma porte avec une proposition plus alléchante venue d’ailleurs pour tenter d’améliorer leur sort. Je suis certaine que des candidats qui ont abandonné la procédure en cours chez nous, ont fait de même dans leurs entreprises.”
Nous ne reviendrons plus jamais au monde du travail d’avant. Et pour cause, pour beaucoup de gens, il n’est plus central dans leur vie.
Un objet de consommation
Une autre tendance de fond observée ces derniers temps est une espèce de désinvolture. Les candidats viennent aux entretiens, habillés n’importe comment ou dans un état de propreté douteuse. D’autres ne se présentent même pas au rendez-vous et n’en s’en excusent pas. D’autres encore abandonnent en cours de route, voire même en toute fin de procédure avec une proposition de contrat, sans donner de nouvelles. On appelle cela du ghosting…
“Je confirme, hélas! confie Sébastien Delfosse, managing director ManpowerGroup Belux. J’entends cela tous les jours parmi nos clients. Certains DRH sont littéralement exaspérés par ce comportement. J’entends aussi beaucoup que des nouveaux engagés s’en vont au bout de deux jours car l’ambiance ne leur plaît pas ou parce qu’on leur a fait une remarque. D’autres se mettent, pour les mêmes raisons, directement en maladie. Vu le marché, ils doivent se dire qu’ils vont vite trouver du travail ailleurs. Tout est devenu urgent. Les tendances de fond, comme la pénurie, l’inadéquation des compétences, la non-attractivité de certains emplois, les incitants sociaux qui transforment certains jobs en pièges à l’emploi, tout cela va perdurer.
Mais l’extrémisme des comportements qui virent quasiment à la caricature, il faudra voir s’il résistera au ralentissement de l’économie qui se profile. Ce ralentissement ne résoudra rien sur le fond mais cela risque d’en calmer plus d’un. Les candidats avec les bonnes compétences ont la main actuellement, c’est certain. Le changement de rapport au travail en marche depuis certainement 10 ans s’est accéléré avec la pandémie. Vous et moi avons été éduqués dans l’optique qu’il fallait travailler dur pour être quelqu’un de bien. Avant, on travaillait, donc on était. Ce n’est clairement plus cela aujourd’hui. L’employé est devenu un consommateur et le travail un bien de consommation auquel il n’est pas obligatoire d’être fidèle. Après, sur la question des salaires, il faut aussi balayer devant nos portes. Après la pandémie, il y a eu un engouement invraisemblable sur le marché du travail. Ce fut l’âge d’or du recrutement. Parfois, certains de nos clients ont engagé trop vite au mépris de leurs pratiques et sans être trop regardants sur le salaire. Cela a contribué à donner un mauvais signal aux candidats. Ceci dit, la pénurie touche aussi les jobs peu qualifiés et donc, la proportion de jobs concernés par cette inversion de la norme augmente.”
Une forme de vengeance
De nos jours aussi, il est fréquent de trouver dans les entretiens de recrutement des candidats qui ont décidé de quitter leur entreprise par un certain esprit de vengeance. Soit qu’ils ne se sentaient pas considérés à leur juste valeur, soit que, durant la pandémie, leur employeur ne les a pas traités comme il le fallait. Cela rejoint ce que Michel Mersch, le CEO de Nestlé Belgilux, disait dans ces colonnes à la sortie du premier confinement en 2020: “Nous serons jugés à la sortie de crise par nos employés. Les chefs d’entreprise qui ont été en ligne avec leurs valeurs et leurs paroles seront reconnus et respectés”.
“J’entends beaucoup cela ces derniers temps, conclut Cindy Dewitte. Les gens ont attendu la fin de la crise. Ils se sont rendu compte que leur entreprise n’avait, en fin de compte, pas les bonnes valeurs et qu’ils ne pouvaient plus continuer en reniant leurs propres convictions. J’ai recruté un certain nombre de ces profils pour le siège ces derniers temps. D’une façon générale, le covid et les confinements ont induit une baisse de l’attachement à l’employeur. C’est plus facile de partir, du coup. C’était attendu et cela arrive aujourd’hui. Multipharma n’a pas eu à souffrir de ce que l’on a appelé dans d’autres pays la grande démission. A l’inverse, je pense aussi que dans ceux qui pratiquent le ghosting, il y a des gens fatigués par ces crises permanentes et qui, en fin de compte, n’osent pas sauter le pas et perdre leur ancienneté. Ceci dit, le signaler au lieu de disparaître, ce n’est pas si compliqué…”
L’employé est devenu un consommateur et le travail un bien de consommation auquel il n’est pas obligatoire d’être fidèle.
“J’ai des ouvriers qui restent quelques jours, puis disparaissent pour aller gagner quelques centimes de plus ailleurs, renchérit Nathalie Ghiny. Le covid a donné de la liberté aux gens et ils s’en servent aujourd’hui. Parfois de façon trop extrême. Avant, nous avions un turnover proche de zéro en Belgique. Ce n’est plus le cas même si nous non plus n’avons pas connu la grande démission. Mais de nos jours, les gens partent aussi pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’argent: pour travailler près de chez eux, pour changer complètement de vie ou pour fuir des problèmes relationnels qu’ils ne supportent pas ou plus. Nous ne reviendrons plus jamais au monde du travail d’avant. Et pour cause, pour beaucoup de gens, il n’est plus central dans leur vie.”
Une épidémie de flemme
Sur le rapport modifié que nous avons vis-à-vis de notre travail et la valorisation accrue du temps libre et de la sphère privée, il faut épingler l’excellente étude publiée par la Fondation Jean-Jaurès en France. Sous le nom évocateur “Grosse fatigue et épidémie de flemme: quand une partie des Français a mis les pouces”, Jérôme Fourquier et Jérémie Peltier dissèquent avec acuité l’impact du covid sur la motivation et l’état psychologique des individus. On y découvre que depuis la crise sanitaire, un tiers des Français se sentent moins motivés qu’avant dans ce qu’ils font au quotidien et que quatre sur dix se sentent plus fatigués qu’avant. Cet effet de traîne de la pandémie se marque tant au niveau physique que psychologique. L’étude corrobore l’hypothèse d’une fragilisation mentale accrue et d’une perte de résistance psychologique, singulièrement chez les 25-34 ans. Entretenue par le business de la flemme (on peut tout se faire livrer et regarder ou même travailler sans quitter son canapé), cette fragilisation contribue aussi à abaisser le seuil de patience et de tolérance à la frustration. Un constat à mettre en parallèle avec les témoignages de nos intervenants car il n’y a aucune raison que les Belges soient épargnés par cette épidémie de flemme. Cette épidémie s’inscrit aussi, nous confirme l’étude, dans le phénomène progressif de perte de centralité du travail. Un chiffre suffit: quand Nicolas Sarkozy annonce son fameux “travailler plus pour gagner plus” au début de son quinquennat en 2007, 62% des salariés français étaient d’accord avec lui. Ils ne sont plus que 39% aujourd’hui.
Une bonne adéquation
Recruter la bonne personne et retenir ses salariés dans un environnement qui permet l’épanouissement sont, vu le contexte, devenus essentiels pour les entreprises. C’est à ce niveau qu’intervient HomeoR, une entreprise bruxelloise qui entend, à l’aide d’un outil d’assessment efficace, proposer le match parfait aux entreprises.
“Ce qui arrive aujourd’hui n’est que le reflet du désir des employés d’être valorisés en tant qu’êtres humains au travail, explique Virginie Fabre, cofondatrice. Ils ont besoin d’accomplir des actes à impact et ressentir de la passion et de l’épanouissement au travail. Ils sont aussi lassés du côté inutile de certains jobs où ils ont l’impression qu’on se moque de leur personnalité ou de leur avis. Cela rend ce que nous faisons encore plus important.”
Via une technique éprouvée, HomeoR va s’assurer que la personnalité du candidat est compatible avec l’équipe et son manager. Afin de permettre que le nouvel arrivé soit plus performant, plus heureux et reste plus longtemps. “Ce n’est pas de l’angélisme, sourit Laurent Van Duyse, cofondateur. Mais une véritable question de performance. Sans oublier le coût d’un recrutement raté tant au niveau opérationnel que financier. Nous sommes en quelque sorte des thérapeutes d’entreprise qui objectivent la sélection ou la décision. On enlève le côté émotionnel d’une telle décision afin, par exemple, d’éviter les pressentiments ou l’engagement de personnes qui ressemblent au recruteur. Ce que nous faisons est tout aussi utile en cas de mobilité interne ou pour l’optimisation des équipes. Il est plus facile à accepter pour un employé que telle promotion n’est pas bonne pour lui ou que tel déplacement dans une autre équipe lui ferait du bien, ou pour un candidat qu’un tel job n’est pas pour lui, si ce constat vient d’une personne indépendante de l’entreprise.”
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