David Orgaz (président de Schneider Electric): “Sans IA, pas de transition énergétique”
David Orgaz, président du cluster belge et néerlandais de Schneider Electric, se réjouit des perspectives de cette entreprise qui a le vent en poupe. Leitmotiv: consommer moins d’énergie est la meilleure réponse pour les citoyens et pour les entreprises, car elle améliore le bilan carbone et permet des gains économiques substantiels.
David Orgaz, président du cluster belge et néerlandais de Schneider Electric, est un homme heureux. Après avoir bourlingué aux quatre coins du monde, singulièrement en Asie, il dit avoir retrouvé dans nos pays une qualité de vie “que l’on ne reconnaît pas assez”. Sa mission en tant que représentant de ce géant mondial de la gestion de l’énergie et de l’automatisation, consiste à amplifier une révolution déterminante pour lutter contre le changement climatique. Leitmotiv : consommer moins d’énergie est la meilleure réponse pour les citoyens et pour les entreprises, car elle améliore le bilan carbone et permet des gains économiques substantiels. Les technologies y contribuent et l’intelligence artificielle accélère le mouvement.
TRENDS-TENDANCES. Schneider Electric est-elle là pour prouver que les technologies sont cruciales pour offrir des solutions au défi climatique, notamment en contribuant à une indispensable sobriété ?
DAVID ORGAZ. Notre mission en tant qu’entreprise technologique est de mettre des solutions au service de nos clients pour œuvrer à l’efficacité énergétique, en effet. Mais l’autre facette de cette réalité, c’est de concrétiser pour nous-mêmes ces remèdes afin de prouver qu’ils sont des succès. Il est évidemment important de développer l’énergie renouvelable et de s’approvisionner au maximum dans ce domaine, mais la priorité absolue consiste à travailler sur la demande et à réduire les pertes énergétiques. Notre mission consiste donc, en premier lieu, à déceler les pertes d’énergie, qui n’ont jamais coûté aussi cher ces dernières années avec la hausse des prix. L’efficacité énergétique peut être une source de profit considérable.
Concrètement, quelles solutions offrez-vous ?
Tout commence avec les datas. Que ce soit pour votre maison, un immeuble de bureaux ou un site industriel, la priorité consiste à mesurer toutes vos consommations. Nous avons réalisé une enquête l’année dernière démontrant qu’une majorité d’entreprises en sont conscientes, mais la réalité, c’est que les immeubles sont encore des lieux où l’on perd beaucoup trop d’énergie. La révolution, au départ des données enregistrées, débute par des senseurs qui gèrent les lumières, le chauffage ou l’air conditionné dans des pièces inoccupées. Cela semble évident, mais cela ne se fait pas assez. Un système intelligent permet de gérer cela dans de grands ensembles. La technologie existe!
Pour être concret, en Europe, les bâtiments consomment annuellement en moyenne 330 kilowatts par mètre carré. Notre nouveau quartier général construit à Grenoble utilise un dixième de cela ! C’est un complexe de 26.000 m² qui consomme moins de 37 kWh/m²/an. C’est un des immeubles les plus efficaces en Europe. Le grand défi de l’Union européenne, c’est que près de 97% des bâtiments sont inefficaces. Il y a là un enjeu énorme si l’on veut atteindre la neutralité carbone en 2050. Or, le taux de modernisation actuel s’élève à 1% par an, c’est largement insuffisant.
Les entreprises intègrent-elles ça dans leur stratégie en déménageant vers des bâtiments plus petits et plus efficaces depuis la pandémie ?
Il y a également beaucoup d’espaces inoccupés et le déménagement est également une partie de la solution, c’est vrai, c’est une approche très pragmatique. La meilleure énergie est celle que l’on ne consomme pas, tel doit être notre leitmotiv. Mais le “comment” n’est pas aussi clair. Une étude récente menée en collaboration avec Ipsos montre que le développement durable est une priorité absolue pour les entrepreneurs, que ce soit pour en raison d’une véritable conscience environnementale, pour attirer de jeunes talents ou pour réduire les coûts après la crise du covid. Mais les obstacles pratiques et le manque de connaissances ralentissent toutefois cette transition.
Quel parcours suivre, précisément ?
Au départ de nos années d’expérience, nous avons bâti un chemin idéal pour les entreprises. Comme je l’ai dit, le point de départ consiste à récolter toutes les datas et à réduire les pertes grâce aux technologies. Ensuite, il s’agit de remplacer les sources d’énergie. L’électricité est clairement la source principale de la décarbonation de notre économie. Tout ne peut pas forcément être électrifié : on ne peut évidemment pas envoyer un énorme bateau traverser l’océan avec une rallonge. Dans ce cas, on songera à l’hydrogène ou l’ammoniac. Mais sur un site industriel classique, une part importante peut être électrifiée. C’est un premier pas. Une fois cela fait, il est important de veiller à des accords pour réserver une part substantielle d’énergie renouvelable, solaire ou éolienne. Nous aidons nos consommateurs en ce sens.
“L’électricité est clairement la source principale de la décarbonation de notre économie.”
Comment établir son ambition dans le temps ?
Cela fait partie d’une discussion importante avec le management. Le rythme peut être déterminé, au même titre que l’horizon. En fonction du bâtiment ou du site, il convient de faire un équilibre entre les investissements consentis et les gains récupérés.
Mais avec 97% du parc inefficace, il y a du chemin…
Le chantier est considérable. Mais nous croyons à un effet boule de neige. Des entreprises comme la nôtre montrent le chemin. Nous ne travaillons pas uniquement au scope 2 de notre bilan carbone, qui concerne les émissions indirectes qui ne se produisent pas directement sur notre site, mais aussi au scope 3, c’est-à-dire en intégrant les émissions de nos fournisseurs et de nos clients. Nous avons, par exemple, mis en œuvre un programme pour réduire de 50% les émissions de nos mille principaux fournisseurs à l’horizon 2025. Ces fournisseurs vont eux aussi veiller à réduire les émissions des entreprises qui travaillent avec eux. Cet effet de contagion accélère le mouvement.
Que représente Schneider Electric en Belgique ?
Nous enregistrons environ 300 millions de chiffre d’affaires et employons 650 personnes. Cela implique un large travail de consultance. Nous aidons de nombreuses grandes entreprises à optimiser leur énergie, à hauteur de 3 térawattheures dans toute la Belgique.
Y aura-t-il suffisamment d’électricité pour cette électrification massive dans les prochaines années ?
Nous savons évidemment que la demande va croître de façon substantielle. Mais en Belgique, il y a des infrastructures solides. Il suffit pour s’en rendre compte de regarder notre voisin du nord, les Pays-Bas, où le risque de congestion est d’ores et déjà un problème majeur aujourd’hui. Pour obtenir une connexion fiable, il faut parfois attendre cinq ans. Nous ne sommes pas encore dans cette situation en Belgique. Bien sûr, l’électrification de l’automobile, les panneaux solaires et le doublement prévisible de l’usage de l’électricité sera un fameux défi, mais les infrastructures sont solides et les gestionnaires de réseaux annoncent des investissements. Dans ce contexte, l’efficacité énergétique constituera aussi une partie de la solution.
Précisons un effet de levier important, que l’on a tendance à oublier : pour chaque kilowatt que l’on utilise, il faut générer 3 kW au point de production. On perd 60% entre les deux avec la production et le transport, ce qui est dramatique en soi et on ne peut rien y faire. Cela signifie que pour chaque kilowatt non consommé, on génère trois fois plus d’économie. On ne doit pas le sous-estimer.
Que peuvent faire les gouvernements ?
Nous les appelons certainement à l’action pour simplifier les procédures : dès qu’il s’agit d’octroyer un permis de construire pour un projet d’énergie renouvelable ou de renforcement des réseaux, cela doit être une priorité absolue. Nous sommes dans une situation solide, mais cela peut basculer rapidement, comme en témoigne la situation des Pays-Bas. Si nous voulons conserver des industries en Europe, certainement face à la concurrence de la Chine et des Etats-Unis, nous devons agir sur ce volet énergétique.
Pour une entreprise comme la vôtre, cette révolution de l’efficacité énergétique est-elle la promesse d’une croissance importante ces prochaines années ?
Tout ce qui concerne la transition énergétique est au cœur de notre business et c’est vital pour ces prochaines années. Le développement de l’IA est une autre source de croissance importante. Nous sommes donc très optimistes au sujet de notre futur, oui.
Certaines entreprises peuvent doubler en quelques années: sera-ce votre cas ?
Le potentiel est certainement là et nos ambitions importantes.
En quoi l’intelligence artificielle est importante pour Schneider ?
Sans l’intelligence artificielle, la transition énergétique ne pourra pas avoir lieu. C’est aussi simple que cela. Pour combattre les pertes énergétiques et optimiser l’efficacité, on ne peut pas seulement compter sur des modèles basés uniquement sur des lois physiques. C’est trop complexe, cela ne fonctionnera pas. Pour gérer les flux dans des bâtiments d’envergure ou sur des sites industriels, le seul modèle possible doit être composé par l’intelligence artificielle. Nous l’utilisons déjà aujourd’hui depuis des années, mais on ne cessera de progresser ces prochaines décennies. Ce seront des années réellement excitantes.
“Si on utilise sagement l’IA, alors on en retirera tous les bénéfices.”
Nous, Schneider, appelons toutefois tous ceux qui utilisent déjà l’intelligence artificielle à le faire avec parcimonie. Parce que l’IA consomme également beaucoup d’énergie. Il ne s’agit pas d’utiliser ChatGPT pour générer de courts messages à l’attention de votre partenaire, par exemple, d’autres moyens existent pour cela. Si on l’utilise sagement, alors on en retirera tous les bénéfices.
Il y a un travail important d’éducation à mener ?
En matière d’énergie, il faut toujours rappeler aux gens qu’ils ont une responsabilité. Notre mission consiste à accompagner les entreprises vers un avenir durable.
Y a-t-il suffisamment de candidats dans vos métiers ?
C’est un défi, mais nous pouvons y faire face. Nous aimerions sans aucun doute qu’il y ait davantage d’étudiants dans les filières scientifiques, avec une plus grande diversité, ce qui est important pour les critères ESG. Nous sommes une société d’ingénieurs, mais nous ne les utilisons pas seulement, nous les formons aussi. On évoque souvent la crainte que l’intelligence artificielle ne provoque de nombreuses pertes d’empoi, mais elle en créera aussi énormément.
Il y a 100 ans, nous travaillions beaucoup sur le hardware, aujourd’hui davantage sur le software et des appareils qui communiquent entre eux. Nous avons une équipe de plus de 300 experts en IA dans le monde, qui développent chaque possibilité d’utiliser l’intelligence artificielle. Ce n’est là qu’un début.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici