Dans les coulisses de Menssa, le nouvel établissement du chef étoilé Christophe Hardiquest
Début février, le chef Christophe Hardiquest, bi-étoilé avec Bon Bon, a ouvert un nouvel établissement gastronomique à Bruxelles. Le chef a laissé Trends-Tendances entrer dans les coulisses de Menssa et dans la réalité économique et sociale du restaurant.
A la fin janvier 2022, Christophe Hardiquest annonçait la fermeture de Bon Bon, deux étoiles au Michelin, situé à Woluwe-Saint-Pierre. Plusieurs facteurs ont conduit à cet arrêt devenu réalité en juin, dont la fin de son couple. Dans les semaines qui ont suivi, les rumeurs les plus fantaisistes ont couru. Avec des ouvertures de resto un peu partout en France et des propositions de rachat de Bon Bon. Et pourtant…
“Oui, j’ai eu de telles propositions mais je n’y ai jamais donné suite. Pourtant, je n’étais pas sûr de rouvrir un autre resto à la place de Bon Bon. En tout cas pas pendant le premier mois après la fermeture. Une fois le moment de doute passé, j’ai décidé et n’ai cessé depuis d’aller de l’avant. Il me paraissait évident de garder un pied-à-terre en Belgique, ne serait-ce que pour des raisons familiales. Mes enfants sont ici, même si ma fille aînée étudie désormais la gestion hôtelière à l’Institut Paul Bocuse à Lyon. Ouvrir un resto en France? Non, vraiment pas. Hormis Paris et la côte dans le sud au sens large, le territoire est très compliqué. En province, si vous n’avez pas un ancrage local ou une réputation déjà établie, vous avez le temps de faire faillite 10 fois avant de connaître le succès. Le seul avantage, c’est un coût de personnel 15% moins élevé.”
Pas d’actionnaire
Depuis la fermeture de Bon Bon, le chef a endossé une casquette de consultant: il a repris le piano étoilé de la Mère Germaine à Châteauneuf-du-Pape et la brasserie de l’Hôtel Chetzeron à Crans-Montana. En Suisse, il s’agit d’un contrat d’un an éventuellement renouvelable. Dans le Rhône, Christophe Hardiquest est payé au pourcentage du chiffre d’affaires. Il gère les coûts du restaurant avec l’objectif d’être au moins à l’équilibre. Le but est d’assurer à l’établissement une étoile pérenne et justifiée. Et début de ce mois, il a ouvert Menssa dans la maison qui abritait Bon Bon. Menssa, c’est son vaisseau amiral, un labo de création et de partage où le chef entend faire preuve d’audace et nous faire manger de tout sans préjugés.
300 euros? Au moins 50% partent dans les frais de personnel et les matières premières (…) Tout est déclaré ici.
D’entrée de jeu, il tient à tordre le cou à un canard. Non, les Strasser, propriétaires, entre autres, de la Mère Germaine, n’ont pas financé la transformation de Bon Bon. “J’ai tout financé tout seul, comme un grand garçon. Avec l’aide des banques évidemment et notamment de Belfius qui me suit depuis longtemps. Je suis propriétaire de ma maison et seul actionnaire et investisseur. Jamais il n’y aura le moindre actionnaire dans mon flagship. Je suis chez moi en toute liberté et c’était fondamental vu le concept développé.”
L’addition en question
La magnifique déco de Menssa, en phase avec le concept et à cent lieues du côté bourgeois de Bon Bon, a coûté 650.000 euros. A cela s’ajoute le rachat de la moitié de la maison de l’avenue de Tervuren. Les deux millions de coût total sont ainsi largement dépassés. “La cuisine était quasi neuve, l’isolation avait été refaite, etc. Toutes ces années, nous n’avions jamais cessé d’investir dans la maison, le jardin et la terrasse. Elle est habitable dans les étages. Maintenant, à 47 ans, je suis parti pour les 15 prochaines années. A part un coup de pinceau de temps en temps sans doute. Ah non, il reste à réaliser une liaison directe de la salle avec les toilettes. Pour l’instant, il faut passer par la salle séparée avec une table de huit couverts. C’est gênant mais mon budget était dépassé et j’ai donc décidé d’attendre.”
Menssa est déjà complet à tous les services jusqu’à mi-avril. Nous vous avons déjà fait part de tout le bien que nous pensions du nouveau concept. Par rapport à Bon Bon, l’addition n’a pas changé et il faut compter 300 euros pour le menu à sept plats. Cette critique, Christophe Hardiquest l’a souvent entendue. “On me dit que je fais des additions d’étoilé sans l’être. C’est perturbant car ce que je demande est le reflet de mon engagement vis-à-vis de la qualité et de la sécurité de mon personnel. 300 euros, c’est le prix de la Belgique, qualité des produits incluse. Après le covid, tout le personnel de Bon Bon est revenu. Pourquoi? Ils étaient tous pleinement déclarés et ont pu toucher un chômage corona lié à un salaire sans la moindre once de black. Celui qui travaillait dans un établissement moins regardant et payé en grande partie avec de l’argent noir a moins rigolé, hélas. 300 euros? Au moins 50% partent dans les frais de personnel et les matières premières. A cela s’ajoutent les factures d’énergie et le remboursement des investissements. Tout est déclaré ici. Je suis ric-rac. Et je le serai sûrement pendant les quatre ou cinq prochaines années.”
Un nouveau modèle
Menssa tourne avec 12 ETP (la moitié de Bon Bon ou quasi) dont les deux chefs exécutifs qui créent pour les trois adresses. Une partie de leur salaire est d’ailleurs payée par les autres adresses en fonction du temps qu’ils y passent. Le personnel des maisons française et suisse est aussi formé dans les cuisines de Menssa. “Tout est fait maison ici, on transforme tout. Pour faire baisser les coûts, il faut faire du sourcing et acheter les produits tout faits. Comme des filets de poisson par exemple. Ce n’est pas ma philosophie. Il faut bien faire la différence entre une adresse tenue par un investisseur et celle d’un chef patron. L’un voit les chiffres et le cash-flow, l’autre l’artisanat et la satisfaction du client mais quand même sans perdre de vue son business model. Le métier de la restauration de nos jours, ce sont les chaînes, petites ou grandes. Mais il n’y pas d’âme ou de créativité dans ces endroits. Des établissements comme le mien, il faut les soutenir. Ce sont eux qui assurent la transmission du métier. Il faut des sentiments et pas une balance pour peser les ingrédients et un bon acheteur.”
Avant, chez Bon Bon, le personnel prestait quatre jours pleins, soit une bonne soixantaine d’heures. A part le vendredi, Menssa n’est ouvert que le soir du mardi au samedi. Soit une petite cinquantaine d’heures à prester, deux jours de congé et quasi toutes les matinées de libre. Le resto ne fonctionne plus sur un modèle pyramidal mais horizontal. “C’est une collaboration active où l’on travaille chacun sur nos faiblesses pour être meilleur. Ce modèle, combiné aux perspectives de développement dans les deux autres adresses, m’a permis de composer mes équipes sans aucun problème. Ce qui est remarquable vu la forte pénurie de main-d’œuvre dans l’horeca, tant en Belgique qu’en France. De nos jours, un restaurant vit dans un équilibre fragile. On l’a vu avec la pandémie. Tout peut vite s’effondrer. A côté des charges que l’Etat fait peser sur nous, il ne faut pas oublier l’inflation. Tout a augmenté, même le bête litre de lait.”
Christophe Hardiquest, avec Menssa, entend se positionner dans la lignée de chefs comme Arnaud Donckele (Paris) et Christophe Coutanceau (La Rochelle) qui mettent leur talent au service de produits pas forcément de luxe. Cette semaine, le chef bruxellois a proposé du diaphragme de bœuf avec un beurre d’oursin et des pissenlits de la Forêt de Soignes et une brioche avec fenouil, beurre et langue d’oursin et du filet d’Anvers. Cette audace vaut le détour mais a un coût. On l’assume ou pas.
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